Le cri

Quand Neil Armstrong a pointé le nez en dehors d’Apollo 11, toute la planète avait les yeux rivés sur son pied. La semaine dernière, Felix Baumgartner a lui aussi attiré les regards en sautant du plus haut, le plus courtement vêtu. Nul besoin de tout l’attirail d’une navette, un tout léger parachute suffit. L’hypersexualisation spatiale, quoi. Et se prostituer pour Redbull, un coup parti, pourquoi pas?

La compagnie a diffusé le compte à rebours de ce plus haut saut au monde, de la cime de la stratosphère. Huit millions de personnes ont répondu à l’appel. Pour ainsi dire, ils ont contribué, en masse, à la stratégie communicationnelle de Redbull.

Blague à part, en dépit de la prostitution atmosphérique, on peut dire que ces astronautes ont réussi leur vie. Ils peuvent enfin se dire, «ça y’est j’suis dans les pages d’histoire, maintenant j’peux me la couler douce. J’peux même aller en politique comme Marc Garneau». Bon. Trêve de plaisanterie et de mauvaise foi. Comme Jean-François Nadeau l’a si bien dit dans Le Devoir, ce fut «un petit pas pour l’homme et un grand du côté du vide». Le «vide», c’est le mot juste.

S’il a relevé le défi et accoté la vitesse du son, c’est bien au vide que Baumgartner a laissé place. Le vide vu dans ces 8 millions de paires d’yeux qui ont eu l’envie simultanée de voir l’autre performer. Quand tout ce à quoi on performe, nous, c’est travailler, dormir, parfois voyager, puis revenir, bosser, d’arrache-pied, étudier, somnoler et très peu s’éveiller, sempiternellement comme cette phrase de s’étirer.

Le vide comme l’absence d’un but en or, du but en blanc, pour les gens qui ne sont pas astronautes. Si l’Homme carbure au café, au fil de nouvelles infini qui déferle. Si l’Homme ne dort pas, il ne saurait vous dire pourquoi. Il y a longtemps qu’il dort debout et qu’il est aseptisé, finalement, à tout ce pour quoi il se tenait éveillé.

Mais à voir quelqu’un faire le saut, plus rapide que le son, de fébriles petites étincelles s’allument dans le regard boursouflé du commun des mortels.

Avec tout ce qui aura été dit sur cet exploit, à la radio, dans les journaux et même sur les médias sociaux, personne n’aura pu répondre à ma question. Qu’entend-on quand on voyage à la vitesse du son? J’ai pensé d’abord qu’on percevait l’équivalent d’un acouphène de mille milliards de décibels plus intense. Mais ensuite je me suis dit, c’est ça, probablement que ce qu’a entendu le nouveau héros cyber planétaire, c’est le silence. Le silence pur et dur.

Pour être franche, je n’ai pas cherché plus loin. Cette réponse, non vérifiée, m’a plu. Je n’ai jamais entendu le silence absolu. Vous non plus d’ailleurs, n’essayez même pas de me faire croire le contraire. Et même si le silence, dans son absolutisme, nous était audible, personne ne saurait le supporter. Ce serait une angoisse totale pour une société hyperactive comme la nôtre. On ne peut se passer du bruit.

Chaque nouveau-né qui vient au monde brise la barrière du silence, pourfend l’air, une fois de plus en l’espace d’un seul cri.

Quand Felix Baumgartner a atterri de sa chute libre, le silence absolu, qu’il a momentanément percu, a brutalement été brisé. Mille cris de nouveau-nés ont résonné dans ses tympans.

Émilie Bergeron

Chef de pupitre Société

societe.campus@uqam.ca

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