Journée d’un gréviste

6 h. Je marche sur un nuage, tout est blanc, le ciel me parle et la terre est si loin… Je m’y dirige lentement, puis j’accélère brusquement. J’atterris et j’ouvre les yeux. La radio me parle et me raconte la vie. Je l’écoute calmement, cligne des yeux, et quitte mon rêve. Ma main se lève et s’abat sur le cadran. Plus un son. Je me lève lentement et me dirige vers un rêve qui est tout autre. Un rêve qui reste à être rêvé, un projet qui reste à être construit, une idée qui évolue à l’état de fait, un concept qui veut changer le monde. J’entre dans cette journée chargée qu’est celle du gréviste.

7 h. Métro Berri-UQAM. Nous sommes une trentaine et nous attendons les consignes. Nous prions fort pour que plus de manifestants se présentent. La prophétie se concrétise. Nous sommes alors cinquante, soixante, quatre-vingts, cent… Les consignes arrivent enfin. Nous suivons le chef de file, et constatons la ribambelle de policiers, d’agents de la paix qui nous guettent et qui nous talonnent. Surprise! Ils se mettent alors à nous escorter, et nous pouvons nous approprier la rue. À qui la rue ? Elle était à nous. Nous avions du poids, l’autorité nous entourait. Nous arrivons ensuite au pavillon des sciences de l’université, où plusieurs compagnies pharmaceutiques adhèrent à la mentalité privée de nos droits. Nous bloquons alors tous les accès à ce pavillon. Ces compagnies ne feront pas tourner la roue mal vissée de l’économie, aujourd’hui du moins.

8 h 30. Métro Jean-Talon. Que se passe-t-il ? Une vingtaine de personnes sont attroupées dans un coin de la rampe de métro et attendent quelque chose. Ils sont tous habillés en rouge. De la tête aux pieds. Le rouge est la couleur de prédilection des grévistes, c’est connu. Le rouge, c’est l’arrêt. L’arrêt de la hausse des frais de scolarité, l’arrêt de l’hypocrisie et de la guerre de chiffres dans laquelle on nous lance. Ces étudiants indignés se déplacent ensuite de façon à ce que chacun ait une porte de wagon qui lui est propre. Les usagers du métro commencent à leur poser des questions sur leurs vêtements, puis sur leurs revendications. La sensibilisation est au cœur de ce projet, qui se veut intrigant et original. Ce projet, c’est la «ligne rouge».

9 h.  Au Café des Arts, à l’UQAM. L’initiative de nourrir les grévistes gratuitement a été prise. On nous offre de nous installer sur un fauteuil et l’on accepte de se reposer un instant, café à la main. Quelques minutes plus tard, les étudiants de la «ligne rouge» arrivent, tout de rouge vêtus. Ils ont faim, eux aussi. Tout comme nous, ils s’installent, mais nous devons partir : le repos du gréviste ne peut durer trop longtemps…

9 h 30. Bureaux de l’Association facultaire étudiante des sciences humaines (AFESH). La rencontre entre plusieurs étudiants se fait ici pour effectuer la levée des cours, activité nécessaire au déroulement et à l’évolution du mouvement étudiant. On prend alors une série de cours à lever, et c’est parti. Nous cognons aux portes des cours qui ne doivent pas avoir lieu, et il n’y a généralement personne à qui expliquer notre légitime présence. C’est une décision qui a été prise en assemblée générale, et la solidarité des étudiants et professeurs est touchante, puisque souvent, les cours que nous levons sont… vides.

11 h. Place Pasteur, devant les bureaux de l’administration de l’UQAM. Une étudiante est assise sur un sac de couchage, et roule des sous noirs. Que fait-elle ? Elle roule 1 625 dollars en sous noirs. 1 625, c’est ce à quoi correspond la hausse des frais de scolarité annoncée par le gouvernement en place. C’est une action symbolique, qui gagne la sympathie des passants lorsqu’on constate que l’étudiante a les mains gelées, travaillant frénétiquement dans un mercure de moins quinze degrés Celsius.

12 h. Agora de l’UQAM. Un comité s’est donné comme mission de nourrir tous les étudiants en grève, afin que ceux-ci consacrent le plus de temps possible à rendre le mouvement vivant. En tant que gréviste, je ne me soucie donc pas de la façon dont je me nourrirai, mais bien de l’ampleur des gestes que je pose chaque heure depuis le début de la journée. J’arrive alors à l’agora de l’UQAM où m’attendent un potage et une salade de riz. Des œufs durs sont également au menu. J’ai vite le ventre plein. Je suis prêt, les grévistes sont prêts, nous sommes prêts à faire rouler la machine que nous avons astiquée depuis bientôt un mois, celle de la grève générale illimitée.

13 h. Salle Marie-Gérin-Lajoie à l’UQAM. L’association facultaire étudiante de science politique et droit (AFESPED) tient une Assemblée générale de reconduction de grève. Nous assistons alors à tout un débat. Bien que la majorité des étudiants semblent vouloir contrer la hausse des frais de scolarité imposée par le gouvernement, une poignée d’entre eux se risque à aller au microphone et dire leur façon de penser. On peut leur donner une médaille pour leur bravoure, la foule était charmée d’avance par le clan opposé. La grève est alors reconduite, signe encourageant d’engagement social accru.

14 h. Bureaux de l’AFESH. Nous nous représentons à cet endroit pour recevoir une nouvelle série de cours à lever. Il est alors intéressant de constater la présence accrue de gardes de sécurité. On suit tous nos pas, mais le respect demeure. Nous nous heurtons par la suite à deux gardes nous bloquant le passage en nous informant que cette voie est condamnée momentanément… c’est que les bureaux de l’administration ne sont pas loin, et l’on craint le débordement que pourraient engendrer quatre étudiants armés d’une feuille. Nous avons finalement pu lever les cours, mais des souterrains dont j’ignorais l’existence m’ont vu surpris de leur présence.

16 h. Café philanthrope (Café de la faculté des sciences de l’éducation de l’UQAM). Comme tous les lundis, les étudiants en éducation de l’UQAM se réunissent pour parler de leur plan d’action et des événements à venir. Nous échangeons nos points de vue par rapport à la façon d’aborder les aspects de la grève devant les médias, les autres facultés de l’UQAM en grève, celle qui ne l’est pas, etc. Ce long processus est nécessaire, car pour manifester, il faut manifester dans un but commun. Il en va de même pour la grève. Ce conseil de grève se termine aux alentours de 19 h 45, et nous devons faire vite, car un autre événement débutera sous peu.

20 h. Bar l’Absynthe. Lors de cette grève étudiante, plusieurs universités populaires sont nées de l’initiative d’étudiants impliqués et engagés dans le mouvement de grève. Ce soir, c’est au bar l’Absynthe que se tient la deuxième édition de l’université populaire M.A.P.S. Ce sont deux professeurs d’université qui nous donnent un cours, car même en temps de grève étudiante, le savoir peut et doit tout de même se transmettre. Mentionnons également que le savoir dont il est ici question ne s’achète pas. Ce soir, s’éduquer, c’est gratuit. Le sujet d’aujourd’hui est la bureaucratisation des universités. Intéressant. Ambiance chaleureuse. Tout ça entre le lancement de la troisième édition du magazine Fermaille et diverses annonces telles que la reconduction de la grève générale illimitée à l’AFESH, et ce, jusqu’à ce que la ministre Beauchamp fasse une offre. Cette annonce a d’ailleurs grandement été saluée par la majorité des personnes présentes dans la salle.

23 h. Mon chez-moi. Mon lit. Mon oreiller. Je pense à ce long combat que nous avons entamé. Je pense aux gens, y compris des étudiants, qui nous disent que ça ne sert à rien de continuer, et que de toute manière, ce combat dont nous parlons est inutile. Je ne réussis toutefois pas à les saisir. Nous avons gagné une petite bataille lorsque l’on a dépassé le cap des 100 000 étudiants en grève. Je ne pense maintenant qu’à gagner cette grève. Comment reculer alors que je suis aux devants de milliers d’étudiants aussi attristés que moi de ces bavures gouvernementales que l’on tente de nous imposer par la force fictive d’un langage économique ? Je réponds que j’avance. J’avance et je ne reculerai pas, parce que le savoir, ce n’est pas monnayable. Et à ceux qui croient qu’être en grève c’est profiter de vacances sur le dos d’une idéologie à laquelle les étudiants n’adhéreraient même pas, je demande de me prouver que cette journée du 5 mars 2012 était aussi chargée pour eux que pour moi, étudiant en grève pour une cause à laquelle je crois.

 

Lorenzo Benavente

Étudiant en enseignement du français langue seconde

UQAM

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