Dépenser pour un héritage

L’adoption de la nouvelle loi sur le patrimoine culturel ne s’avérait qu’une simple bande-annonce, selon certains spécialistes impatients. Intrigante, mais sans dénouement concret pour l’instant. Le suspense se poursuit.

La saga du projet de loi 82 sur le patrimoine culturel semblait s’être achevée par l’adoption de celui-ci en octobre dernier. Même si le canevas est maintenant rédigé et approuvé, les principaux acteurs en préservation du patrimoine n’en sont qu’aux prémisses. Ils se questionnent encore et ne s’entendent pas sur le type de mécanisme à mettre en place pour bonifier le scénario futur.

Alors que certains défendent les bienfaits d’un inventaire de l’immatériel, d’autres croient plutôt à une méthode axée sur la promotion. Depuis 2004, Laurier Turgeon, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en patrimoine ethnologique et directeur de l’Institut du patrimoine culturel à l’Université Laval, a échafaudé un inventaire multimédia exhaustif du patrimoine immatériel. «Il permet de connaître, d’archiver et de véhiculer notre héritage. Tous les textes, images et effets sonores sont accessibles sur un site Internet. C’est une première mondiale», s’enthousiasme le spécialiste. Mais pour le directeur du Conseil québécois du patrimoine vivant (CQPV), Antoine Gauthier, ce procédé comporte plusieurs failles. «Personne n’utilise ça. Ça ne sert à personne et à aucune étude. Il faut plutôt trouver la forme qui va intéresser les gens. Le but n’est pas de faire des archives, mais que ça continue d’être pratiqué», croit-il. Selon Laurier Turgeon, les allégations du directeur du CQPV découlent de jalousie envers les subventions reçues par l’Université Laval.

«Monsieur Gauthier donne des avis qui ne sont pas toujours bien documentés ou bien contextualisés, proteste-t-il. Ce ne sont pas des chercheurs, mais des praticiens qui œuvrent en ethnologie depuis peu alors qu’il y a des experts qui étudient les questions patrimoniales depuis des années.» Celui qui se concentre sur la question depuis 20 ans dénonce également le manque de créativité du CQPV en accusant ses membres de trop facilement tomber dans la reproduction des répertoires antiques. «Pour qu’une tradition survive, on doit s’adapter au monde actuel. Plus on imite les anciens à la lettre, plus ça conduit à la mort d’u
Il taxe certains intervenants actifs dans la préservation du patrimoine d’opportunistes qui tendent à faire de la désinformation en se proclamant, à tort, spécialistes en matière de patrimoine immatériel. «Il y a dix ans, la population disait que le patrimoine vivant ne valait rien et quand c’est devenu à la mode, tout le monde s’est intéressé à ça», s’agace le spécialiste.ne pratique», ajoute Laurier Turgeon.

En attendant

«Il est encore prématuré pour parler de développements», affirme Daniel Arsenault, directeur du Centre d’Études interuniversitaires sur les Lettres, les Arts et les Traditions (CELAT) et chercheur fondateur du nouvel Institut du Patrimoine à l’UQAM. Si des recherches sur le patrimoine immatériel sont effectuées depuis plus de 40 ans au Québec, le ministère de la Culture vient à peine d’amorcer la mise en place de structures pour mettre en valeur le patrimoine immatériel. «On aimerait avoir une consultation publique pour discuter des modalités d’application de la loi. Il n’y a rien qui est suffisamment différent dans la nouvelle législation pour dire où ça s’en va juridiquement», soutient Antoine Gauthier.

Des montants d’argent ont toutefois été annoncés récemment pour aider les communautés inuits à documenter leur patrimoine immatériel. D’ailleurs, le ministère de la Culture prévoit renouveler l’expérience en mandatant les municipalités d’identifier et même de gérer, elles-mêmes, le patrimoine de leur région. «Ce n’est pas mauvais en principe, mais quand on délègue, il faut que ça s’accompagne de montants d’argent. C’est pourquoi l’attribution des fonds s’annonce laborieuse», soulève Daniel Arsenault.

Le Parti québécois, globalement satisfait de la nouvelle législation, se questionne aussi sur l’absence actuelle de plan d’action clair et de développements concrets dans le dossier. «Théoriquement, il devrait y avoir une étude sur le terrain en ce moment, mais il n’y a encore rien de publicisé, indique Maka Kotto. Il est encore tôt, mais une transition s’impose entre la phase de laxisme d’avant et la phase convoitée.» La suite dans le prochain épisode.

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Définition

Le patrimoine immatériel, aussi appelé patrimoine vivant, regroupe l’ensemble des traditions ou expressions vivantes héritées de nos ancêtres, selon l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO). Se basant sur les préceptes de l’UNESCO, la définition du patrimoine a changé à quelques reprises. Les notions «événements, lieux et personnages historiques», «patrimoine immatériel» et «paysage culturel patrimonial» ont été ajoutés.

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D’une main plus ferme

Le Ministère a établi des sanctions plus nombreuses et plus sévères pour ceux qui ne prennent pas les mesures nécessaires pour assurer la préservation de la valeur patrimoniale de leurs biens. Les contrevenants recevront une amende allant jusqu’à 190 000 $ pour les personnes physiques et jusqu’à 1 140 000 $ pour les personnes morales. Une note bien salée qui, selon la ministre, en découragera plus d’un de récidiver. «C’est bien puisque auparavant, le patrimoine était galvaudé sans aucune conséquence sévère. Il ne faudrait toutefois pas prendre les gens par surprise avec ces nouvelles sanctions. C’est pourquoi on a proposé à la ministre de mettre sur pied une campagne pour informer la population», précise le porte-parole de l’opposition officielle en matière de culture, Maka Kotto.

Crédit photo: Marcel Laprise (2009)

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