Or bleu contre billets verts

Le gouvernement du Canada ouvre discrètement la voie à la privatisation de l’eau: les multinationales lui font de l’œil et les subventions offertes aux services publics chutent. Les Canadiens devront-ils piger dans leurs poches pour boire un verre d’eau?

En juin dernier, alors que le mercure flirtait avec les 30 degrés et que les Canadiens cherchaient à se rafraîchir au bord d’un lac ou d’une piscine, Ottawa voyait, dans ces étendues bleues, bien plus qu’une simple pataugeoire. Soucieux de régler la dette publique, le gouvernement fédéral se laisse peu à peu séduire par l’idée de privatiser les sources d’eau potable, une façon d’économiser dans l’entretien des infrastructures. Mais les opposants à la privatisation s’inquiètent de voir la qualité de l’eau et son accessibilité diminuer si les multinationales s’en mêlent.

À l’heure actuelle, le système de traitement des eaux et d’aqueduc canadien nécessite un minimum de 31G$ en retouches, selon le Conseil des Canadiens, une organisation militant pour le respect des droits des citoyens. Environ 60 000 Canadiens, dont des autochtones et des personnes vivant en milieux ruraux, n’ont pas encore accès à un système de traitement de l’eau, voire à de l’eau potable. Ottawa fait donc appel à l’investissement privé pour secourir les ressources publiques. Le gouvernement conservateur a mis en place le Fonds Chantiers Canada, exigeant que tout projet de 50M$ et plus examine la possibilité d’un partenariat public-privé avant d’octroyer certaines subventions. «Les municipalités peuvent choisir de se privatiser ou de demeurer publiques. Cependant, le gouvernement peut diminuer les subventions allant jusqu’à forcer une municipalité à se privatiser», explique Meera Karunananthan, militante au sein du Conseil des Canadiens.

La ville de Moncton, au Nouveau-Brunswick, est actuellement la seule municipalité à gérer son réseau d’aqueduc en partenariat avec une compagnie privée. La ville d’Hamilton a également tenté l’expérience dans le passé, mais a choisi de revenir au système de gestion publique après avoir connu une diminution de la qualité de l’eau.

Incapable de concevoir que son verre d’eau se retrouve à la bourse, Meera Karunananthan s’oppose à la privatisation. «C’est le gouvernement qui devrait payer et plus on attend, plus ça se détériore!» Selon elle, le secteur privé permet aux compagnies de tirer profits de la mauvaise gestion du gouvernement. «Les compagnies privées ne réinvestiront pas dans le système public s’il ne peuvent pas faire de grands profits.»

Elle met en garde la population face aux dangers de la privatisation. «Toutes les expériences de privatisation dans le monde ont eu des conséquences négatives», affirme-t-elle, en pointant du doigt la France, les villes de Moncton et de Hamilton au Canada, ainsi que Détroit, aux États-Unis. Dans tous les cas, les prix ont augmenté et certaines familles, faute de pouvoir acquitter les frais, ont été privées d’eau. «Il y a trop d’abus et trop de risques possibles, comme la diminution de la qualité de l’eau encourue par les coupures dans la main-d’œuvre. C’est une question de santé publique, pas seulement d’argent!»

Même si Ottawa a annoncé, dans son dernier budget, la coupure de 700 postes à Environnement Canada, ainsi qu’une diminution de 43 % du budget de l’Agence canadienne d’évaluation environnementale – soit 13M$ – l’administration assure que la surveillance des sources d’eau potable ne diminuera pas.

Une foire commerciale
En septembre 2010, le Congrès mondial de l’eau a eu lieu à Montréal, organisé par le Conseil mondial de l’eau. Sous le couvert d’un congrès philosophique sur les droits fondamentaux d’accès à l’eau, ce congrès serait en vérité une foire commerciale, selon le Conseil des Canadiens. Son président, Loïc Fauchon, est aussi le président de la Société des eaux de Marseille, une filiale de Véolia Environnement, entreprise française qui reluque les sources d’eau canadiennes.
Pour Meera Karunananthan, chef de campagne sur l’eau du Conseil des Canadiens, le Congrès mondial de l’eau est «un lobby caché, car il permet aux entreprises d’entrer dans l’espace gouvernemental pour leur vendre directement une marchandise». Selon elle, les multinationales ont accès au gouvernement à travers ces forums. «Ce sont des espaces où les citoyens ont très peu d’accès et de pouvoir», insiste-t-elle.

Plusieurs compagnies étrangères – dont Suez, une multinationale française de développement énergétique au lobby très puissant, et Véolia –, sont prêtes à exploiter l’or bleu du Canada. «Il y a eu des tentatives d’implantation de leur part, dont plusieurs offres ont été rejetées au Québec», précise Meera Karunananthan. Mais d’après le ministère de l’Environnement du Canada, les citoyens n’ont rien à craindre. «Le gouvernement maintiendra son engagmenent (sic) à protéger notre eau potable, et encourage toutes les juridictions à travailler de pair pour protéger cette ressource si unique et vitale», indique Henry Lau, porte-parole aux services ministériels des communications, dans un courriel à Montréal Campus.

Selon André St-Hilaire, président de l’Association canadienne des ressources hydriques, la question des compagnies étrangères est un débat de société et le gouvernement doit prendre position là-dessus. «Les compagnies pompent de l’eau de nos nappes phréatiques, notre eau de surface ou l’eau du fleuve sans qu’on ait plus de détails. Ces prélèvements sont faits sans qu’on connaisse la capacité hydrique de nos aquifères, par manque de recherche. C’est inquiétant.»

Mettre de l’eau dans son vin
Pour limiter les dégâts et restructurer les politiques environnementales, l’Association canadienne des ressources hydriques voudrait que l’ensemble des partenaires s’assoient pour élaborer une stratégie et des valeurs communes de développement durable. «Il faut que les industries, les municipalités, le fédéral et les provinciaux discutent de valeurs communes et de développement économique durable. Tant qu’ils ne se parleront pas, il y a un risque de dérive de la part de tous les partenaires», s’inquiète André St-Hilaire.

Le Conseil des Canadiens demande quant à lui une politique nationale de gestion de l’eau ainsi que des hiérarchies dans la distribution et l’exploitation. «D’abord, il faut protéger nos ressources pour des raisons écologiques. Ensuite, l’ordre va de la consommation d’eau potable à la production alimentaire ainsi qu’à l’utilisation pour des besoins culturelles, les surplus peuvent ensuite être disponibles aux industries.»

Dans le même ordre d’idée, le concept des communautés bleues a été développé au Canada – à Victoria et dans quelques villes ontariennes – et proscrit à ses adhérents la vente de bouteille d’eau ainsi que la privatisation de leur système d’eau municipal. Une vague d’idées qui prévoit déferler sur l’ensemble du Canada d’ici peu, car semblerait-il que la vie en bleue en fait rêver plus d’un.

***

Coupures et évaluations insuffisantes
André St-Hilaire, président de l’Association canadienne des ressources hydriques, déplore que plusieurs stations hydrométriques (outil de mesure du débit des rivières), météo (outil de mesure de la quantité de pluie) et de puits (outil de mesure des niveaux d’eau souterrains) ont été fermées au cours des dernières années par le gouvernement. «Plusieurs associations de chercheurs disent que le nombre de stations pour faire un suivi est insuffisant sur le territoire canadien.» On en trouve cinq à dix fois plus dans le Sud du pays, tandis que le Nord-Ouest serait quasi-désert. Pourtant, au Québec par exemple, 40% de nos ressources en eau proviennent de la Baie James,» explique le spécialiste en eau.

À la claire fontaine
En retard sur certaines universités du Canada en matière environnementale, l’UQAM prévoit enfin bannir les bouteilles d’eau sur le campus. Cynthia Philippe, conseillère en développement durable du service de prévention et de sécurité de l’UQAM affirme que son comité sera prêt après six mois de travail à porter l’idée en consultation d’ici la fin de l’automne 2011.

La distribution des bouteilles d’eau à l’UQAM relève du service des entreprises auxiliaires, dont André Robitaille est le directeur. En collaboration avec Cynthia Philippe, il élabore des stratégies budgétaires pour combler le déficit qu’engendrerait la fin des bouteilles d’eau et éviter la fermeture de postes. «Limiter les impacts négatifs de la fin des ventes, c’est aussi ça le développement durable», rappelle Cynthia Philippe. La vente de gourdes d’eau réutilisables serait l’alternative verte. «L’envers de la médaille est que plusieurs étudiants peuvent perdre ces gourdes, ce qui en fin de compte, génère autant de déchets que les bouteilles d’eau traditionnelles», ajoute André Robitaille.

«L’an dernier, 60 000 bouteilles d’eau ont été vendues sur le Campus, ce qui fait une moyenne d’une et demi par étudiants par année, rapporte André Robitaille. Ce n’est pas beaucoup.» Cependant, quatre ans passeront d’ici la fin du contrat avec Nestlé Pure life, dont le montant est gardé confidentiel. D’ici là, pour diriger les étudiants vers les fontaines plutôt que vers les machines, le comité de développement durable fera une campagne de publicité et pourrait ajouter de nouvelles fontaines.

Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *