Tout se passe au ralenti. Anticipant l’horreur, les témoins ne peuvent détourner le regard. Ils cherchent désespérément un moyen d’éviter la catastrophe. Mais le train continue sa course folle, droit vers le mur.
Non, ce n’est pas la bande-annonce du dernier Destination ultime. C’est plutôt ce que ressentent les milliers de Québécois qui n’ont pas voté pour Stephen Harper aux dernières élections fédérales.
Le siège vide de Jack Layton à la Chambre des communes, 19 septembre dernier, était un aperçu douloureux de la session parlementaire qui s’amorce: devant trois partis sans chef, Stephen Harper et son gouvernement majoritaire feront ce que bon leur semble. Abolition du registre des armes à feu, compressions budgétaires, loi omnibus sur le droit criminel: les députés de l’opposition – et ceux qui les ont élus – chercheront en vain une façon d’éviter la catastrophe.
Comme devant un accident de train – ou d’omnibus, c’est selon –, impossible de détourner les yeux du drame qui se joue aux Communes. Pourtant, nous savons bien que le carnage est inévitable. Culture, environnement, liberté de presse: les saignées ont commencé, et le premier ministre n’est pas près de ralentir la cadence. Il souhaite, entre autres, faire adopter son projet de loi omnibus modifiant le Code criminel d’ici 100 jours. Et malgré toute la volonté du monde, les partis d’opposition ne pourront rien faire pour l’en empêcher.
Au mois de juin dernier, le dépôt de la loi spéciale forçant le retour au travail des employés de Postes Canada nous a donné un avant-goût inquiétant de «l’ère majoritaire». Malgré 58 heures de débat en Chambre, l’opposition officielle n’avait pu faire plier les conservateurs. Au début du mois, la ministre fédérale du Travail, Lisa Raitt, a de nouveau brandi la menace d’une loi spéciale, en prévision d’une grève des agents de bord d’Air Canada (qui n’a finalement pas eu lieu). Une telle façon de faire bafoue les droits et libertés de la population canadienne. L’argument économique énoncé par la ministre ne peut justifier un usage aussi abusif de la force législative chaque fois que surviendra un conflit de travail au pays.
Mais face à ce véritable déraillement gouvernemental, l’opposition officielle se sait bien impuissante. Encore affligés par le décès de leur leader, les députés du Nouveau Parti Démocratique (NPD) mèneront-ils les prochaines luttes avec autant d’ardeur que celle de Postes Canada, même s’ils savent que la partie est perdue d’avance?
100 miles à l’heure
Stephen Harper est parfaitement conscient de la position avantageuse dans laquelle il se trouve. Il profite donc de la désorganisation du NPD, du Parti libéral et du Bloc québécois pour faire adopter certains de ses projets de loi les plus controversés sans rencontrer trop de résistance. Après tout, 100 jours, c’est bien peu de temps pour trouver trois chefs de partis et s’entendre sur une stratégie pour mettre des bâtons dans les roues d’un premier ministre déterminé.
Et même si Stephen Harper affirme que l’économie est sa priorité, ce sont plutôt les réformes idéologiques qui défilent à toute vapeur en ce début de session parlementaire. Rien de rassurant pour les Québécois, qui ont voté massivement contre le Parti conservateur aux dernières élections fédérales. Les intérêts de la «nation québécoise», peu représentée par le parti au pouvoir, risquent d’avoir bien peu d’échos en Chambre.
N’oublions pas non plus que Stephen Harper prévoit une refonte de la carte électorale qui diminuera le poids politique de la Belle Province au sein de la Confédération. Le premier ministre ne semble pas saisir l’ironie de la situation: il reconnaît (en grande pompe) la nation québécoise, mais la bâillonne à chaque occasion qui s’offre à lui. Il ajoute même l’insulte à l’injure en embauchant un directeur des communications unilingue anglophone, reconnu pour ses commentaires peu flatteurs à l’endroit du Québec et des francophones. La nomination de l’ex-journaliste Angelo Persichilli à ce poste est un véritable pied de nez au Québec, que Stephen Harper a perdu tout espoir de séduire. Quitte à leur déplaire de toute façon, se dit-il, tâchons au moins de satisfaire le reste du pays.
Témoins d’un désastre politique d’une ampleur inédite, les Québécois passeront vraisemblablement les quatre prochaines années à regarder filer le train, en attendant qu’un super héros à la cravate orange descende du ciel pour le remettre sur les rails. Ou qu’il frappe enfin un mur.
Émilie Clavel
Rédactrice en chef
redacteur.campus@uqam.ca
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