Une fois tous les trois ans, des femmes de combattants plient bagage et changent d’horizon pour suivre leur conjoint, au détriment de leur propre carrière. Les obstacles sur le parcours de ces femmes se multiplient inexorablement au rythme des changements d’affection et d’affectations.
Nathalie Dupont rencontre son homme en 2003, alors qu’elle accepte d’accompagner, le temps d’une soirée, le copain d’un copain. Après un échec conjugal, elle s’était promis de ne pas s’engager dans une nouvelle relation à long terme. Elle croyait à tort qu’un militaire – en pré-déploiement de surcroît – ne s’attacherait pas. Aujourd’hui, ils sont inséparables… Du moins, lorsque son petit copain n’est pas appelé à combattre en terrain miné. «Lorsque nous avons convenu de fonder une famille, nous avons vite réalisé que l’un d’entre nous devait assurer une stabilité au foyer, raconte-t-elle. Sa sécurité d’emploi l’a vite emporté sur ma précarité.»
Pendant l’absence de son conjoint, Nathalie Dupont tente de concilier boulot – quelques contrats d’enseignements –, maison et finances. Aujourd’hui, avec la petite famille, un tel rythme est désormais impossible à tenir. L’ex-enseignante est donc à la recherche d’un nouvel emploi à temps partiel, plus flexible. «Je sais d’avance que tous mes efforts ne seront déployés que pour une courte durée. Mon conjoint attend d’ici le début de l’an prochain son avis de réaffectation dans une autre province canadienne.»
Pour les conjointes de militaires, s’investir dans une carrière représente un défi colossal. Affectées par les mutations fréquentes de leur copain – tous les trois ans –, plusieurs d’entres elles jugent plus sages de tout abandonner pour s’occuper de la maisonnée.
C’est notamment le cas d’Hélène Gagnon, avocate et propriétaire d’un cabinet à Montréal jusqu’en 2005. Un an plus tôt, son conjoint s’enrôlait et était affecté à Valcartier. La femme de 39 ans, consciente des bouleversements à venir, a préféré fermer sa pratique privée et dire adieu à sa passion pour suivre son conjoint. «À chaque déménagement, je dois quitter l’emploi que j’occupe et je me retrouve sans emploi pour quelques mois», lance la mère de deux enfants issus d’un mariage antérieur.
Aujourd’hui directrice générale d’un organisme communautaire, elle critique la vitesse à laquelle les événements changent et ce, sans avertissement. «Mon conjoint a su le 9 avril 2010 que nous devions déménager de Québec à Saint-Jean… le 17 avril! Oui, j’ai été chanceuse: Montréal, Québec, Saint-Jean… mais le jour où ce sera Shilo au Manitoba ou Gagetown au Nouveau-Brunswick, on s’en reparlera!»
Pour ces femmes, poursuivre une carrière n’est pas de tout repos, notamment parce que certaines formations ne sont pas reconnues à l’extérieur du Québec, alors que d’autres demandent une mise à niveau. «Dans mon cas, pour certaines provinces, je devrais retourner sur les bancs d’école pendant un an et demi, dit-elle. Sachant que l’affection n’est que de trois ans, le jeu en vaut-il la chandelle?»
Ces embûches font que près du tiers des conjointes de militaires échouent l’ajustement professionnel en raison de leur mode de vie militaire, selon une étude de la firme de recherche EKOS, réalisée à la demande du ministère canadien de la Défense.
Ces nombreux échecs sont une problématique importante pour les Forces armées canadiennes (FAC), qui tentent de venir en aide à ces femmes. Plus de trente centres de soutien et de ressource financés par les Forces sont disponibles au pays et offrent des cours de langue seconde et d’orientation professionnelle.
«Les épouses de militaires méritent de poursuivre leurs propres objectifs de carrière, comme tous citoyens canadiens, souligne l’Officier d’affaires publiques aux Services de soutien aux personnes et aux familles des forces canadiennes, le Capitaine Rob Bungay. Les centres d’aide canadiens offrent des rencontres individuelles aux conjointes, en plus de cours de rédaction de curriculum vitae.»
Hélène Gagnon mentionne également l’utilité des logements militaires familiaux, qui évitent de se casser la tête lorsque vient le temps de chercher un logement. «Ce ne sont pas toutes les familles qui le font, mais ce service existe et je l’apprécie.»
Des femmes au front
En avril 2008, l’Association des conjointes de militaires canadiens (ACMC) voit le jour dans le but de représenter, soutenir et informer les femmes. À la suite de la mission en Afghanistan de 2007, la présidente de l’ACMC, Marie-Josée Huard, réalise que les services offerts sont méconnus des conjointes de militaires, et peu accessibles. «Tout est au nom du militaire, raconte-t-elle. Imaginez qu’il arrive un pépin avec des paiements et que le conjoint soit ailleurs… nous ne pouvons rien faire en tant que conjointe.» Au cœur des doléances: le manque de transparence des Forces armées canadiennes (FAC). Selon les membres de l’ACMC, il existe bel et bien des institutions et des programmes consacrés aux familles militaires. Le hic? Ces services varient selon les régions. «L’armée, c’est une grosse bureaucratie, avec tous les labyrinthes que ça implique, se décourage Nathalie Dupont. De mon côté, j’ai appelé à l’Agence de logement militaire pour rapporter un dégât d’eau, mais comme mon nom n’apparaissait pas sur le bail, je n’étais pas en droit de laisser entrer les réparateurs.»
Hélène Gagnon montre aussi du doigt le manque d’aide financière de la part des FAC. La trésorière de l’association aimerait qu’un programme soit créé spécifiquement pour les conjointes militaires, le temps que celles-ci trouvent un emploi. « Les employeurs pourraient y adhérer et remettre jusqu’à 90% du salaire en cas de chômage, indique-t-elle. Ça serait bien, non, sachant que nous sommes six mois au chômage tous les quatre ans?»
Quoi qu’il en soit, une chose est certaine: être la conjointe d’un soldat est un vrai parcours de combattant. «En m’engageant avec lui, je savais dans quoi je m’embarquais et je l’accepte, partage la présidente de l’ACMC, Marie-Josée Huard. Mais je suis tombée amoureuse de la personne. Pas de l’uniforme.»
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Statistiques
Au Canada, on compte 65 000 militaires et plus de 30 000 réservistes. Il y a 32 bases militaires de l’Armée canadienne au pays. Aujourd’hui, 3 000 soldats sont en Afghanistan.
Mamans à la maison
Nathalie Dupont, détentrice d’une maîtrise en gestion des ressources humaines, pense que le choc culturel est une des raisons pour lesquelles tant de femmes restent à la maison. Selon elle, les conjointes de militaires retournent au foyer non par choix, mais par dépit, les garderies à 7$ n’existant qu’au Québec. «Le coût quotidien d’un service de garde est de 50$ par jour par enfant, excluant repas et collations, mentionne la diplômée en éducation préscolaire et primaire en 1994. Vous comprendrez que dans certaines provinces, il va de soi que les mères restent à la maison tant que leur enfant ne fréquente pas l’école.»
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