Des bancs d’école à la Chambre des communes

Ces étudiants de McGill pensaient continuer leur baccalauréat ou commencer une maîtrise cet automne. La vague orange les aura arrachés à leurs livres, pour les propulser dans les sièges de l’opposition officielle à Ottawa. Un choc pour les électeurs autant que pour eux.

Le 2 mai 2011, soirée d’élection fédérale. Mylène Freeman s’affaire au comptage des votes à Outremont. Entourée d’une dizaine de bénévoles, dont ses collègues d’école Laurin Liu et Matthew Dubé, l’étudiante de 22 ans constate, bulletin après bulletin, la victoire du député Thomas Mulcair. À la télévision, Céline Galipeau commente avec stupéfaction l’ampleur du tsunami orange qui balaie le Québec.

Mais pour ces trois étudiants de l’Université McGill, la soirée électorale a une saveur bien particulière. Âgés de 19 à 22 ans, ils ont été sélectionnés par le Nouveau Parti démocratique du Canada (NPD) pour être des «candidats-poteaux» – des candidats qui ne croient pas avoir de réelles chances de gagner – dans des circonscriptions où il n’y avait pas de candidats locaux. C’est donc avec surprise qu’ils apprennent tour à tour qu’ils viennent d’être élus comme députés fédéraux.

La nouvelle a eu l’effet d’une gifle pour Mylène Freeman, nouvelle députée d’Argenteuil-Papineau-Mirabel, dans la région des Laurentides. «C’était un choc. Un deuil de la vie étudiante aussi, puisque je venais de terminer mes examens finaux.» La jeune femme s’apprêtait à entrer à la maîtrise lorsque ses électeurs lui ont ouvert les portes de la Chambre des communes.

Le choc a aussi été grand pour certains citoyens qui, au lendemain des élections, réalisaient qu’ils avaient voté pour de jeunes étudiants. Plusieurs d’entre eux, touchés par la fièvre orange, avaient placé leur croix à côté des noms des candidats du NPD, sans même prendre le temps de s’informer à leur sujet. «Généralement, moins de 5% de la population vote pour le candidat local, explique Frédérick Bastien, chercheur pour le Groupe de recherche en communication politique (GRCP) à l’Université Laval. C’est l’image de fraîcheur et de virginité du NPD qui a influencé le choix des électeurs lors de la dernière élection, pas les candidats.»

Mylène Freeman, Matthew Dubé et Laurin Liu, très impliqués au sein des Jeunes Démocrates du Québec et au regroupement du NPD à leur université, ont peu fait campagne dans leurs circonscriptions respectives. «Pendant la campagne électorale, notre équipe a concentré ses efforts sur les candidats qui avaient des chances de gagner, comme Thomas Mulcair», se défend Mylène Freeman. Les candidats du NPD, souvent jeunes et peu expérimentés en politique, ont pourtant raflé 58 sièges dans la Belle Province.

Selon Frédérick Bastien, il est normal qu’un parti présente des «candidats-poteaux» afin de s’assurer une meilleure visibilité. «Il faut être réaliste: peu de partis peuvent se vanter d’avoir des membres dans toutes les circonscriptions du pays, ajoute-t-il. Se présenter comme candidat est une belle occasion pour des jeunes de se faire connaître au sein du parti.»

Dans la cour des grands
L’entrée en matière a été brève, mais intense, selon les nouveaux députés, qui reçoivent tous l’aide d’un député plus expérimenté. «Il y a tellement de choses à apprendre. Heureusement que j’ai un mentor, parce que je ne savais même pas comment m’habiller à la Chambre des communes», raconte Laurin Liu, députée de Rivière-des-Mille-Îles.

À en croire la nouvelle porte-parole adjointe en matière d’environnement, la rentrée parlementaire a été rude. La députée ouvre grands les yeux lorsqu’elle se remémore les 58 heures ininterrompues de débat concernant Postes Canada. «Il fallait être prêts, dit-elle, sourire en coin. Tous les députés ont prononcé un discours d’une durée de dix minutes.» Matthew Dubé, élu dans Chambly-Borduas, admet lui aussi qu’il a mis les bouchées doubles pour bien comprendre les dossiers débattus en Chambre. «Mais on a les compétences et on fournit l’effort nécessaire», assure le jeune homme.

Mylène Freeman n’avait même jamais mis les pieds dans sa circonscription avant d’en devenir la députée fédérale. Elle a donc dû se familiariser rapidement avec les préoccupations des citoyens et des municipalités. Un travail qu’elle fait à merveille depuis le début de l’été, selon le maire de Lachute, Daniel Mayer. «Elle a une connaissance surprenante de l’humain. Elle ne connaît pas encore les dossiers de la circonscription, mais ça viendra en prenant de l’expérience, prédit-il.

Le doute plane tout de même: comment peut-on bien représenter sa circonscription avec si peu d’expérience de vie? Cheveux serrés en chignon et veston orange-NPD lui donnant un air professionnel, Laurin Liu défend ses compétences et celles de ses collègues face au scepticisme affiché par certains médias. «Je trouve bizarre de critiquer les jeunes députés. Nous avons de nouvelles façons de faire les choses et nous apportons une nouvelle perspective au débat». Selon Mylène Freeman, l’expérience en politique est relative à chacun et ne devrait pas empêcher de nouveaux candidats de se présenter. «Non, je n’ai pas été avocate pendant 20 ans, mais est-ce que ça fait de moi une députée moins compétente? Même si je suis jeune, je suis activement impliquée en politique depuis que j’ai l’âge légal de voter», fait remarquer celle qui est maintenant à la tête d’un ancien château fort du Bloc québécois.

Pour l’instant, Mylène Freeman et Matthew Dubé comptent laisser leurs projets de maîtrise de côté pendant leur mandat. Quant à Lauren Liu, elle pense poursuivre son baccalauréat en histoire et études culturelles à McGill, à raison d’un cours par session.

Comptent-ils se présenter à nouveau lorsque viendra l’appel aux urnes? Tous les trois considèrent qu’il est encore trop tôt pour décider. Une chose est sûre: le défunt chef du NPD, Jack Layton, fondait beaucoup d’espoir dans cette nouvelle génération de députés. «Vous avez le pouvoir de changer ce pays et le monde», leur assurait-il, dans une lettre écrite quelques jours avant sa mort, survenue le 22 août dernier.

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