L’imaginaire de Louis Saia, figure marquante du cinéma québécois, ne tarit pas. Avec la folie ordinaire comme leitmotiv depuis 1990, le scénariste et réalisateur continue de faire rire au petit comme au grand écran.
L’horloge indique 16h00: les producteurs de la série Les Boys sortent en gang d’une salle de réunion située rue Laurier. Au bout de la pièce, un homme à la stature imposante reste assis. Un coup d’œil aux montagnes de documents et de cartables épars sur la table qui inonde l’espace. Marqués du sceau «Les Boys – Saison 5», ils font sourire le cinéaste de 60 ans. Des cartables, Louis Saia en a accumulé toute sa carrière. Il a écrit des œuvres considérées aujourd’hui comme les plus gros succès télévisuels québécois comme La Petite Vie, Histoires de filles et la série populaire pour adolescents Radio Enfer. «Ces années-là sont bien loin derrière moi, je ne reconnais plus cet homme-là, partage-t-il tout en essayant de mettre un peu d’ordre dans son bazar. Je ne suis pas du tout nostalgique.»
Les premières images qui lui viennent en tête sont celles de ses années au Cégep de Saint-Hyacinthe. Inscrit à l’option théâtre à la fin des années 1960, le metteur en scène s’implique bien vite dans plusieurs productions étudiantes. «L’école, c’était plate parce qu’y avait pas de cours pratiques. On nous enseignait l’histoire du cinéma et les notions théoriques boring, raconte celui qui arbore aujourd’hui de longs cheveux blancs. Je voulais simplement devenir metteur en scène, alors au lieu d’écrire des dissertations, j’écrivais des scénarios.» Le jeune Louis Saia produit aussi une émission de radio qui jettera les bases de la série Radio Enfer.
Dès ses débuts, Louis Saia s’inspire des œuvres de l’Américain Woody Allen et de l’auteur français Eugène Ionesco avant de donner une saveur québécoise à l’humour absurde. Le novice d’alors brosse un tableau des banlieues de la province, empreintes d’un «côté dérisoire» et de «névrose ordinaire». Il coécrit près de la moitié des épisodes de La Petite Vie, diffusée sur les ondes de Radio-Canada entre 1993 et 1999. La série culte parodie le quotidien d’un couple québécois dans la cinquantaine et de leurs enfants. «Je viens de ces faubourgs, c’est un milieu que je connais très bien, explique Louis Saia, sourire en coin. Les années 1970 laissaient place à beaucoup de pièces de théâtre à caractère politique et je voulais créer quelque chose de plus humain, de plus social, du jamais vu à l’époque.»
Sur la vague du succès
Au début des années 1990, Louis Saia met en scène le spectacle de Rock et Belles Oreilles. Il remportera le Félix pour la meilleure mise en scène, sa première consécration. Même si la scène fut son premier coup de foudre, Louis Saia avoue avoir un penchant pour le septième art. En 1997, il écrit et réalise son plus grand succès: Les Boys. Le film récolte près de sept millions de dollars en recettes au box-office, un record à l’époque. «Les Boys, c’était gagné d’avance, parce qu’il s’agit d’un récit rassembleur, indique avec humilité Louis Saia. L’objectif de tout réalisateur est de rejoindre directement les gens. C’est ce qui démarque ton histoire de toutes les autres.»
Le film remporte le Prix Génie et la Bobine d’or pour avoir obtenu le plus de recettes au Canada, exploit réitéré avec Les Boys II et III, qu’il coécrit et réalise. En octobre 2007, la franchise passe du grand au petit écran avec Les Boys: la série sur les ondes de RadioCanada. «Réaliser un film relève d’un travail exténuant, car tu épuises tes idées et tes ressources assez rapidement, explique le grand gaillard. Aujourd’hui, il y a aussi beaucoup de réalisateurs et il faut attendre son tour, soit trois ou quatre ans. Avec la série, je peux continuer de faire ce que j’aime sans avoir à prendre de pause.» Des pauses qui seraient peut-être les bienvenues parfois. Avec 347 scènes par saison – en moyenne 20 par épisode –, Louis Saia doit répartir le temps d’antenne entre les onze personnages récurrents. «C’est tout un défi, car nous privilégions beaucoup les moments de groupe. Donc il faut arriver sur le plateau avec les mouvements de la caméra déjà préétablis», raconte-t-il, avant de sortir un gros cartable qui contient les croquis des séquences du prochain épisode.
Du pain sur la planche
Malgré ses 60 ans, Louis Saia ne compte pas tirer sa révérence de l’industrie cinématographique de sitôt. C’est une question de «survie et de santé mentale». Il sera aux commandes du film basé sur la série télévisée Vice Caché, qui est présentement en développement. L’auteur et réalisateur des Boys travaille aussi sur une nouvelle série pour Radio-Canada, Les Huissiers. François Papineau, Luc Picard et Sylvie Moreau figureront parmi la distribution. «L’idée m’est venue en tournant Vice Caché. L’équipe cherchait des maisons à louer pour la production et je suis tombé sur ces énormes baraques à Westmount, raconte Louis Saia, emballé par son projet. Les huissiers se retrouvent souvent dans des situations comiques, par exemple annoncer à un homme que sa femme le divorce alors que cette dernière ne le lui a jamais dit.» Fidèle à lui-même, il montrera les tribulations des gens ordinaires vivant à proximité de Montréal. Un coup d’œil rapide à l’horloge. Louis Saia se lève de sa chaise. La rencontre est terminée. Un bref au revoir. Pendant que son interlocuteur s’éloigne, il saisit le crayon le plus proche et se remet à travailler. Vous n’allez pas vous moquer d’un jeune journaliste dans vos prochains épisodes, hein, M. Saia?
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