«Attention. La présence d’œuvres d’art cause un ralentissement de service sur l’ensemble des lignes. D’autres détails suivront.»
Certains fixent leur lecteur mp3, d’autres le quai de la station Berri-UQAM. Le regard d’Anis, 14 ans, s’arrête longuement sur une publicité géante d’Apple, puis se pose sur la verrière Fondateurs de la ville de Montréal où dansent des teintes rouges, bleues et vertes. «C’est beau… Ça fait longtemps que c’est là?» demande-t-il. L’adolescent l’ignore, mais il est au cœur du «musée d’art contemporain le plus fréquenté à Montréal, avec 220 millions de visites par année», plaisante Benoît Clairoux, conseiller en communications à la Société de Transport de Montréal (STM). Quelque 80 fresques, sculptures et vitraux sont dispersés dans une cinquantaine des 68 stations du métro de Montréal. «S’il y a de l’art dans un endroit aussi banal que le métro, cela montre que les Montréalais tiennent à la culture», croit Annie Gérin, professeure d’histoire de l’art à l’UQAM.
La naissance de l’archipel d’œuvres souterrain s’étale sur 40 ans, entre le vitrail Histoire de la musique à Montréal de la Place des Arts, inaugurée en 1967, et la sculpture Fluides intégrée à la station Montmorency, ouverte en 2007. Comme tous les bâtiments publics, les nouveaux édicules sont soumis à la politique gouvernementale d’intégration des arts à l’architecture. Selon cette règle, environ 1% du coût d’un bâtiment doit servir à l’achat d’œuvres d’art.
Un jury choisit les pièces parmi celles soumises lors d’un appel de candidatures. Sont généralement sélectionnés les artistes les plus représentatifs d’un courant majeur au moment de la construction de la station. Résultat? «Le métro est un panorama des grandes tendances de l’art moderne et contemporain du Québec, explique le professeur Patrice Loubier. On pourrait y donner un cours d’histoire de l’art.»
Ainsi, sur la carte du métro, les œuvres s’assemblent en une mosaïque de messages créés par des artistes différents, à des époques distinctes. Une mosaïque dont certaines pièces soulèvent d’ailleurs la question identitaire, non sans controverse. Les artistes Richard Purdy et François Hébert l’ont appris lorsqu’ils ont gravé sur un mur extérieur de la station Mont-Royal le poème Tango de Montréal de Gérald Godin, dans lequel le métro est «plein d’immigrants» qui font battre «le vieux cœur usé de la ville». Le choix du poème n’a pas fait l’unanimité lors de son installation, en 2000.
Une liberté limitée
«Plus anodin et plus consensuel», selon Suzanne Paquet, professeure d’histoire de l’art à l’Université de Montréal, l’art abstrait est chouchouté par les comités de sélection et, du coup, très présent sur l’ensemble du réseau. «Les gens qui aiment l’art contemporain apprécient, et ceux qui ne sont pas très pro-art ne sont pas trop dérangés», poursuit-elle. La signification d’une œuvre dépend aussi de la commande et du commanditaire, souligne la professeure. «Puisque le but de l’exercice est d’être choisi, on ne peut pas rester dans une vision romantique de l’artiste libre et indépendant.»
Mais les artistes ne s’autocensurent pas pour autant, croit Jacques Carpentier, créateur des deux tuyaux écarlates entrelacés, sculpture située derrière la station Beaudry. «Accepter de participer au concours, c’est accepter ses contraintes. Tu as le choix de les confronter ou non.» L’artiste considère qu’être choisi, c’est recevoir un petit velours et un cachet juste, mais que la reconnaissance est parfois insuffisante. «Souvent les artistes ne sont pas identifiés. Parfois leur nom semble caché et il faut le chercher, déplore le sculpteur. C’est un manque de respect envers eux.»
Quadragénaires à rafraîchir
Autre moule imposé aux œuvres: celui de la durabilité. Pour résister à l’achalandage élevé, l’humidité, la pression d’air et le vandalisme, les pièces d’art dans le métro doivent être réalisées à partir de céramique, d’acier inoxydable ou de pierre.
Responsable de l’exploitation du réseau de métro et propriétaire des pièces d’art qui s’y trouvent, la STM n’avait jusqu’en 2006 aucun programme d’entretien de ses œuvres. C’est cette année-là que la Société a répertorié sa collection. Son Rapport d’état de la même année, le premier du genre, concluait alors que les pièces étaient «dans un état général assez bon», d’après Isabelle Landry, technicienne en architecture à la STM.
Depuis, la société de transport cible de quatre à douze œuvres à restaurer chaque année. La STM profite aussi de certains travaux dans les stations pour rajeunir les pièces d’art qui s’y trouvent. C’est le Centre de conservation du Québec ou les artistes eux-mêmes qui s’en chargent. En 2010, 300 000 $ ont été investis dans leur cure de jouvence. «Nous construisons pour longtemps, dans le but que les œuvres durent 50, voire 100 ans», dit Benoît Clairoux.
Le jeune Anis aura donc tout son temps pour découvrir le musée souterrain. Un art qui l’affecte déjà, même s’il est plus ou moins conscient de sa présence. «C’est une perception lente, par osmose, explique l’historien de l’art Patrice Loubier. Nous, passagers, ne sommes pas là pour regarder, mais nous sommes inévitablement influencés par l’ambiance que l’art crée».
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Révolutionnaire cadette des métros
Né dans un berceau marqué par la Révolution tranquille et la parution du Refus Global, le métro de Montréal a été l’un des premiers au monde à se parer d’art. À l’opposé des souterrains sombres et uniformes de ses prédécesseurs, chacune des stations montréalaises a été dessinée par un architecte différent, et chaque concepteur était invité à varier matériaux, volumes et forme du mobilier.
Le premier directeur artistique, Robert Lapalme, voyait l’art public comme une façon d’instruire les Montréalais. Sous son règne, des œuvres figuratives, «décrivant la société québécoise ou en présentant une histoire idéalisée», sont financées par des donateurs privés et ajoutées aux édicules après leur construction, indique l’historienne Annie Gérin. Chaque station du réseau initial avait un thème attribué et des espaces réservés pour l’ajout des pièces. Mais en l’absence de mécènes, 18 des 26 projets ne verront jamais le jour.
Si Lapalme refusait les œuvres abstraites, son successeur Jean-Paul Mousseau leur a ouvert les portes du métro au début des années 1970, alors que naissaient les premiers prolongements du réseau. Une tendance maintenue quarante ans plus tard: l’art dans le métro est surtout abstrait, financé par le public et intégré aux stations dès leur conception.
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