Plus grande chorale classique au Québec, le Chœur de l’UQAM résonne dans le monde entier depuis plus de 30 ans. Mais, pris à la gorge par le manque de financement, le chœur refuse de chanter son requiem.
Au troisième sous-sol de la Place des Arts, un piano à queue noir trône au fond de la grande salle de répétitions. À ses côtés, vêtu d’une chemise blanche et d’une jaquette noire, le maestro Miklós Takács prépare ses partitions. Les derniers retardataires se faufilent entre les rangées alors qu’un «1, 2…», suivi d’un «3» autoritaire, guident les voix qui s’élèvent soudain à l’unisson. Malgré la virtuosité du chœur, invité tant à New York qu’en Europe, l’UQAM a coupé les vivres de son réputé ensemble vocal.
Depuis quelques années, le Chœur de l’UQAM a un chat dans la gorge. Alors que la troupe comptait jusqu’à 250 chanteurs à son apogée, ils ne sont plus qu’une centaine aujourd’hui. Et la chorale tente de garder la note malgré les coupures budgétaires des Services à la vie étudiante. Si en 2005-2006, son allocation s’élevait à 4 100 $, Miklós Takács ne dispose désormais plus que de 2 500 $. Et les cotisations annuelles de 80 $, déboursées par les membres du Chœur, ne suffisent pas à assurer la pérennité de la chorale. «Le pavillon de musique me charge la location de mon bureau, soit 1 222 $ tous les cinq mois, parce que je suis maintenant professeur retraité, mentionne le maestro du Chœur de l’UQAM, aussi directeur général et artistique de la Société philharmonique de Montréal. Je suis là depuis plus de trente ans, le fait de payer ne me dérange pas. C’est le principe même qui me déçoit.» Il ajoute qu’avec la somme qui lui est accordée, louer le studio-théâtre Alfred-Laliberté de l’UQAM est impossible. Il s’est donc dirigé vers la Place des Arts. «C’est ironique quand on y pense, car la location de la salle de répétition de la Place des Arts, plus luxueuse, coûte moins cher que celle de l’UQAM, souligne Miklós Takács. C’est à n’y rien comprendre.»
Le directeur des communications à l’UQAM, Daniel Hébert, précise toutefois que l’Université propose à Miklós Takács plusieurs tarifs concurrentiels en ce qui concerne la location des salles de répétitions sur le campus. «Nous soutenons le chœur du mieux qu’on peut, mais compte tenu de nos modestes budgets, ce n’est pas facile», indique-t-il.
Depuis 1978, le Chœur de l’UQAM regroupe étudiants et employés de l’Université du peuple, auxquels s’ajoutent des mélomanes montréalais et d’anciens uqamiens. C’est le cas de Marc Desautels, qui a rejoint la chorale l’année dernière. «Je ne me suis jamais considéré comme un grand musicien, mais être autour de professeurs et de retraités d’expérience a réveillé l’artiste en moi», ajoute le diplômé de l’UQAM.
Un chemin de croix
Inspirée par sœur Marcelle Corneille, ancienne directrice du département de musique de l’UQAM, la chorale uqamienne a atteint une notoriété internationale et les invitations prestigieuses viennent du monde entier. L’ensemble vocal s’est notamment produit à la Cathédrale de Salzbourg, en Autriche, et à cinq reprises à la célèbre salle de Canergie Hall, à New York. «Notre premier concert à New York, en 1991, s’était déroulé dans des conditions très difficiles», confie Miklós Takács, ancien professeur au département de musique de l’UQAM. L’entente avec les directeurs de Carnegie Hall stipulait que c’était au Chœur de l’UQAM de défrayer le déplacement. «Nous avons fini par dormir trois à quatre personnes par chambre et le voyage a été fait de nuit pour économiser une nuit d’hôtel. L’Université ne nous avait trouvé qu’un tout petit fond de tiroir.» Invitée de nouveau cette année, la troupe ne sera pas du spectacle, vu les désagréables conditions de voyage des dernières fois. «L’UQAM ne se rend pas compte de l’importance de cette invitation», déplore le directeur du chœur depuis 33 ans.
Un constat qui bouleverse Donald, choriste depuis sept ans. «Le Chœur de l’UQAM porte le nom de l’Université partout où il va, je ne comprends pas pourquoi la direction ne veut pas en profiter!» s’exclame-t-il. L’ensemble vocal participe tout de même depuis 1985 au traditionnel Requiem du Vendredi saint organisé par la Société philharmonique de Montréal, à l’église Saint-Jean-Baptiste.
Partitions personnelles
Manque de financement ou pas, une chose est certaine pour Estelle Grandbois, étudiante en sociologie à l’UQAM et membre du chœur depuis deux ans: Miklós Takács est le diapason du Chœur de l’UQAM. Hongrois d’origine, le mélomane de 78 ans a immigré au Canada au milieu des années 1970 à la suite de l’invitation de l’UQAM, pour un poste de professeur à la Faculté de musique. Depuis, il charme autant les étudiants que les orchestres étrangers.
En 2002, il était à la direction de l’Orchestre symphonique du Caire en Égypte et a dirigé La Création de Haydn, une composition dramatique lyrique écrite par Joseph Haydn à la fin du XVIIIe siècle. Il a aussi été lauréat de la médaille du Gouverneur général du Canada en 1992 et du prix Pro Cultura Hunganica de la République de Hongrie, l’année suivante. «C’est un professeur, mais une âme de poète et un esprit libre avant tout, explique l’uqamienne Estelle Grandbois. Les répétitions avec cet homme sont un vrai voyage culturel, un dépaysement extraordinaire.» Le répertoire de la chorale est vaste: Brahms, Mozart, Rossini, Vivaldi, Beethoven, Bruckner. Mais cette année, c’est Franz Liszt, célèbre pianiste du XIXe siècle, qui est chanté, à l’occasion de son 200e anniversaire de naissance. La chorale a été invitée à Budapest cet été pour qu’on lui rende hommage, mais elle devra renoncer à ce rêve une fois de plus, faute de budget.
Miklós Takács souhaite diriger le Chœur de l’UQAM encore plusieurs années. Mais pour des raisons personnelles, il tirera bientôt sa révérence. «Je commence déjà à reprendre contact avec mes anciens étudiants par-ci par-là pour trouver un successeur, avoue le maestro. Mais la mission pour le moment est de garder le chœur en vie, car il n’a pas fini de chanter.»
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