Grâce à sa formation hybride très particulière et sa galerie reconnue dans toute la Francophonie, l’UQAM est un moteur important dans le paysage des arts visuels québécois. Plongeon dans l’antre de l’héritière de l’École des beaux-arts de Montréal.
Les derniers étages du pavillon Judith-Jasmin, situé entre les rues Saint-Denis et Berri, au cœur du Quartier Latin, regorgent de locaux aux noms atypiques. «Modèle vivant», «vapeur organique», «approche hybride»… À l’image des laboratoires d’alchimistes, les salles de classe de l’École des arts visuels et médiatiques de l’UQAM permettent aux étudiants, non pas d’accomplir le Grand-Œuvre, mais de pousser les limites de la création.
«Notre école est particulière», soutient le directeur de l’École des arts visuels et médiatiques (EAVM), Michel Boulanger. On n’aurait pu mieux dire. Aux étages supérieurs, ce sont des salles de classe aux murs éclaboussés de peinture, aux odeurs évanescentes de produits chimiques. «Le simple fait que nous offrons une formation artistique étalée sur les trois cycles est assez exceptionnel.» L’Université Concordia est aussi dotée d’un programme de doctorat, mais l’UQAM est le seul établissement en Amérique du Nord à l’offrir dans la langue de Molière. «Les programmes d’art offerts dans les universités sont généralement très disciplinaires, explique celui qui cumule les statuts d’artiste et de professeur. Depuis dix ans, nous tentons de sortir de ce carcan en jumelant la pratique à la théorie et en inscrivant la création en relation avec des questionnements contemporains.» En interagissant entre eux, les artistes en formation doivent éviter le cloisonnement des champs d’études, honni par l’École. «Ça ne peut pas être juste l’art pour l’art, insiste Michel Boulanger. Il faut le mettre en relation avec autre chose. Par exemple, le cours Écologie du regard amène les étudiants à mettre en relation la question du paysage et leur démarche artistique.» Pour le directeur, cette approche particulière contribue à rendre l’UQAM attrayante aux yeux des étudiants et professeurs étrangers.
Depuis six ans, un poste d’un an est ouvert aux professeurs étrangers entre les murs des locaux des derniers étages du pavillon Judith-Jasmin. Le mot d’ordre? Que son enseignement reste le plus fidèle à celui dans son pays, pour confronter les étudiants à d’autres pratiques artistiques. L’automne dernier, c’était l’Autrichien Michael Blum qui posait valises afin d’enseigner aux étudiants du baccalauréat et de la maîtrise de l’École des arts visuels et médiatiques. Le professeur, spécialisé en installations vidéo et photographiques, a arrêté son choix sur l’université québécoise en raison de son éclectisme. «L’UQAM offre un mélange très intéressant, très productif, explique le photographe. Elle est à la fois nord-américaine et francophone. Ça la rend plus ouverte, plus progressiste.»
Le professeur invité croit toutefois que la réputation de l’Université peine à percer les frontières de la Francophonie. «Le site Web de l’EAVM est uniquement en français, déplore-t-il. La loi 101 repose sur une logique indiscutable à l’intérieur du Québec, mais peut se révéler contre-productive en termes d’échanges internationaux.»
Loin de s’en mordre la langue, le directeur de l’École juge que l’utilisation du français ne nuit pas au rayonnement de ses programmes. «La Francophonie est multiple, signale Michel Boulanger. Nous privilégions les professeurs francophones. Nous avons déjà eu des Roumains, des Hollandais, des Argentins, des Autrichiens, etc.»
Composite académique
Tables à dessin, presses, bassins en fonte… Les étudiants de la Faculté des arts de l’UQAM évoluent dans un univers antique, bercés par le bruit des scies et du verre brisé. Descendante directe de l’ancienne École des beaux-arts de Montréal, l’Université du peuple conserve depuis les couleurs de sa noble lignée. Les vestiges de ce passé artistique permettent aujourd’hui à un millier d’étudiants de poursuivre leur cursus scolaire, et ce jusqu’au doctorat, dans les vapeurs de colle et de solvant. «À ma connaissance, nous sommes uniques au Canada, si ce n’est pas au monde, avance le directeur du programme Pierre Gosselin. Alors que de nombreux programmes doctoraux sont essentiellement axés sur la didactique ou l’histoire de l’art, le programme de pratiques et d’études des arts de l’UQAM offre aux étudiants une approche différente. Ils sont amenés à appliquer des concepts théoriques à une pratique artistique poussée.» Depuis treize ans, l’UQAM oblige ses futurs doctorants à sortir de la simple analyse artistique. «La thèse vaut autant que la création», précise le professeur. Ainsi, Constanza Camelo, dont la thèse a été acceptée en 2006, propose une analogie entre le développement des populations colombiennes et le corps de l’artiste en performance. Elle utilise l’art comme principal moyen de comparaison entre les violences vécues par ces gens et l’artiste lui-même.
Des artistes souhaitant achever leur développement académique aux jeunes praticiens ayant récemment complété leur maîtrise, toutes disciplines artistiques confondues, tous se partagent les 125 places du doctorat de l’UQAM. «Il est très rare, voire pratiquement impossible, de voir un étudiant effectuer son cheminement artistique de la maternelle au doctorat, soutient Michel Boulanger. Les étudiants sont fortement encouragés à aller voir ce qui se passe dans le milieu avant d’entreprendre le troisième cycle universitaire. Cette expérience dans le “vrai monde” leur donne généralement la maturité qu’ils n’ont pas lorsqu’ils sortent du baccalauréat ou de la maîtrise.»
Constanza Camelo et Martin Boisseau ont cela en commun. Bien que leur parcours respectif ne soit pas identique, ces deux diplômés du doctorat en étude et pratique des arts ont décidé de prendre de l’expérience dans leur domaine avant de retourner s’asseoir sur les bancs d’école. «J’exposais depuis dix-sept ans quand je suis retournée à l’université», raconte Constanza Camelo. Colombienne d’origine, l’artiste quitte son pays natal une première fois en 1995 pour effectuer une maîtrise en art à l’Université Laval. Après un bref retour chez elle, elle revient en 1999 après l’obtention d’une bourse d’excellence. Celle-ci lui permet de choisir l’UQAM pour conclure son cheminement d’études. «Ça m’a permis d’inscrire mon travail pratique dans un cadre théorique, ajoute celle qui a ensuite été chargée de cours à l’UQAM durant huit ans. Cette université est reconnue par le milieu artistique et l’écriture de ma thèse m’a donné la chance d’exprimer d’une autre façon ce que je suis: une citoyenne, une artiste, une femme.»
Même son de cloche chez Martin Boisseau. «Faire mon doctorat m’a surtout permis d’officialiser une recherche personnelle que j’avais déjà entreprise en parallèle à ma carrière professionnelle en art contemporain», indique l’artiste multidisciplinaire, représenté depuis 2002 par la Galerie Graff, située rue Rachel à Montréal. Aujourd’hui professeur en arts plastiques au Cégep de Sainte-Foy, l’artiste de 43 ans soutient que l’UQAM occupe une place centrale sur la scène artistique montréalaise et québécoise, ne serait-ce que par son emplacement géographique. «À cause de ces multiples lieux de diffusion, comme la salle Pierre-Mercure, l’Agora de la danse ou la Galerie de l’UQAM, l’Université est un lieu très dynamique», expose-t-il.
Nombre d’or uqamien
La Galerie de l’UQAM profite de l’attrait exercé sur les étudiants par le programme, nombreux à rester attachés à leur première nourrice. «Plusieurs reviennent exposer chez nous, fait remarquer la directrice de la Galerie de l’UQAM, Louise Déry. Les galeries universitaires sont un peu considérées comme des laboratoires.»
Les artistes étrangers eux-mêmes voient un intérêt certain à passer par ce lieu d’exposition. «Personnellement, c’est avant tout la réputation de la galerie qui m’a attiré, se souvient Peter Gnass, graveur et sculpteur d’origine allemande ayant exposé à l’UQAM en 2004. Elle joue autant un rôle éducatif que de diffusion.»
Critique d’art depuis 10 ans et collaborateur régulier au quotidien Le Devoir, Jérôme Delgado a depuis longtemps fait ses marques dans le paysage de l’art contemporain québécois. «Certains critiquent Louise Déry en affirmant qu’elle a fait de la galerie son univers personnel», explique-t-il. Pour sa part, il croit que le «musée» de l’UQAM doit beaucoup à sa tête dirigeante. «Elle a réussi à sortir de la Francophonie, par exemple lors de la biennale d’Istanbul, en Turquie, en 2003. La Galerie de l’UQAM, ce n’est pas que l’UQAM, c’est bien plus. C’est un joueur incontournable du milieu de l’art contemporain.» Le diplômé de l’Université de Montréal en histoire de l’art nuance toutefois ses propos. «Je ne dirais pas que c’est la meilleure galerie universitaire, puisque celles de Concordia et de l’Université Laval l’accotent.»
L’UQAM s’assure ainsi une relève perpétuelle, autant pour le renouvellement de l’enseignement au sein de ses programmes que pour diffuser son art. «Si l’on faisait la liste objective de tous les artistes québécois qu’il y a eu depuis 40 ans, un nombre extraordinaire d’entre eux auraient étudié, exposé ou enseigné ici, conclut Louise Déry. Pour moi, l’UQAM est probablement l’université montréalaise la plus québécoise qui soit.»
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La genèse des arts visuels à l’université
Au milieu des années 1960, une première Commission royale d’enquête sur l’enseignement au Québec prend forme sous la direction de Monseigneur Alphonse-Marie Parent, de laquelle naît une seconde université francophone à Montréal, l’UQAM.
En 1966, alors que le rapport Parent est à peine présenté, une seconde commission d’enquête est commandée par le gouvernement libéral de Jean Lesage. Il s’agit alors d’un dossier conjoint entre les ministres de l’Éducation, Paul Gérin-Lajoie, et des Affaires culturelles, Pierre Laporte, qui engage le gouvernement dans son ensemble. Présidée par le controversé sociologue Marcel Rioux, la commission avait pour mandat d’évaluer la place des arts dans la société québécoise contemporaine et de déterminer la meilleure façon de les enseigner.
Encore aujourd’hui, le rapport Rioux est considéré comme l’une des pierres angulaires de l’enseignement des arts au Québec. Avant la commission Rioux, «l’enseignement des arts [était] complètement éclaté au terme d’un développement dirigé par des autorités multiples, aussi bien privées que publiques, et sans aucune vue d’ensemble ni méthodique», explique Claude Corbo dans son ouvrage Art, éducation et société postindustrielle, paru en 2006. Dans cette anthologie de la Commission d’enquête sur l’enseignement des arts, l’actuel recteur de l’UQAM soutient l’importance qu’a eue le rapport Rioux sur la place qu’occupent aujourd’hui les arts dans la société québécoise. «Les programmes artistiques offerts par l’Université rendent possibles les objectifs de la Commission Rioux, explique Claude Corbo en entrevue. Ils rendent l’art accessible et permettent la mise en place d’une relève artistique.»
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