L’histoire avec de grandes plumes

Du début du XXe siècle à nos jours, la presse universitaire a noirci ses pages des chambardements de la société québécoise. Cinquante ans après l’âge d’or du quatrième pouvoir estudiantin, au cœur de la Révolution tranquille, les journalistes-étudiants ont changé, leurs sujets de prédilection aussi.

Illustration: Florence Tison

 

En 1970, le McGill Daily et le Quartier Latin (QL) de l’Université de Montréal publiaient le manifeste du Front de libération du Québec. En 1980, Montréal Campus (MC) militait pour l’indépendance du Québec. En 2011, les débats politiques nationaux qui rassemblent tous les journaux étudiants se font plus rares. Ils s’attardent aujourd’hui davantage aux enjeux estudiantins, qu’ils soient propres à leur communauté ou à l’ensemble des étudiants de la Belle Province. La hausse des frais de scolarité est un exemple de ce qui  fait aujourd’hui les manchettes des journaux étudiants.

Rédactrice en chef du Quartier Libre en 2011, Leslie Doumerc affirme que la politisation des journaux étudiants s’est «effilochée» avec le temps. Elle refuse à ses journalistes de «chialer pour chialer». De toute façon, l’ambiance n’est plus à la mobilisation comme elle l’était dans les années 1960, ajoute Bernard Landry, plus de 40 ans après être passé au QL. Sans leur jeter la pierre, il qualifie les universitaires modernes de plus individualistes, plus tournés vers l’international et vers Internet. «Les journaux étudiants, dans ce temps-là, étaient presque aussi importants que les syndicats ouvriers aujourd’hui», assure Bernard Landry. L’ancien premier ministre du Québec se souvient avec nostalgie de la mobilisation des médias étudiants, alors en pleine Révolution tranquille. «On avait le sentiment qu’il fallait changer la société, le monde!»

Cette «identité québécoise» est devenu une «identité de l’Université de Montréal», affirme Leslie Doumerc. Ainsi, les journaux étudiants privilégient des sujets estudiantins à des sujets nationaux, couvrant plutôt une grève étudiante qu’une grève dans la fonction publique. Le temps a aussi adouci le style d’écriture des journalistes-étudiants. Il y a 40 ans, le ton était plus irrespectueux, soutient Michel Allard, historien spécialiste de l’éducation. «Je ne sais pas si ça passerait aujourd’hui. Plusieurs articles seraient considérés comme politically incorrect.» Par exemple, à la fin des années 1960, Impact Campus, journal étudiant de l’Université Laval, a publié un collage érotique avec des bébés morts et des filles à moitié nues. Un choix éditorial impossible de nos jours, assure François Gagnon, rédacteur en chef actuel du journal.

Au McGill Daily, une chaude lutte s’est opérée pour acquérir le droit d’être indépendant et, par conséquent, librement politisé. De 1911 jusqu’au début des années 1960, le quotidien était codirigé par l’Association étudiante générale et la direction de l’université. Cette dernière avait un droit de regard sur tout ce qui était mis sous presse. Dans les pages jaunies des éditions du début du siècle, les textes polémiques étaient rares. On y trouvait le menu de la cafétéria, la dernière partie de foot des Indians et l’annonce de la danse du printemps. Selon l’actuel rédacteur en chef du McGill Daily, Emilio Comay del Junco, le journal s’est politisé de plus en plus à partir des années 1960. Bien qu’ils étaient «ambivalents au sujet de l’indépendance» du Québec, puisque certains anglophones avaient «peur du séparatisme», le débat faisait rage dans les pages du quotidien.

De gauche à neutre
Des courants idéologiques discordants commencent à émerger dans la deuxième moitié du siècle dernier. Dans les années 1960, un dossier sur la nationalisation de l’électricité fait un tabac à l’Université de Montréal et, en 1983, MC questionne – de manière un peu biaisée – l’arrivée d’un magazine de droite à McGill, le McGill Magazine. En 2011, l’article le plus lu sur le site Internet du Quartier Libre porte sur Mathieu Bock-Côté, penseur réputé pour ses idées conservatrices. Difficile toutefois de dire aujourd’hui de quel côté penchent les salles de rédactions étudiantes. Elles suivent pour la majorité les codes  de déontologie et d’éthique de la profession, tentant d’être objectives plutôt qu’engagées. Les médias universitaires doivent prôner un «style plus journalistique», croit François Gagnon, rédacteur en chef d’Impact Campus, à l’Université Laval. «Avant, les éditos et les articles, tout était mélangé. Aujourd’hui, l’information a sa place, l’opinion aussi», ajoute-t-il.

Les lignes éditoriales changent aussi au gré des cohortes. «Ça change au fil du temps, mais surtout au fil des groupes de rédaction, affirme Marc-François Bernier, titulaire de la Chaire de recherche en éthique du journalisme de l’Université d’Ottawa. Certaines sont plus investigatrices, d’autres privilégient l’opinion».

Autre éternel débat, le combat linguistique mobilisait les troupes francophones il y a 30 ans. La loi 101, adoptée en 1977 par le Parti Québécois, donnait plusieurs armes aux Québécois francophones. Aujourd’hui, The Concordian, de l’Université Concordia, n’hésite pas à défendre bec et ongles les droits des étudiants anglophones et la langue de Shakespeare. «On parle des problèmes que les anglos vivent dans une société unilingue francophone, parce qu’on est un journal anglophone dans une université anglophone», souligne Sarah Deshaies, rédactrice en chef du Concordian.

Certaines choses refusent de changer
À travers l’histoire, les Quartier Libre, Montréal Campus, Impact Campus, The Concordian et autres médias étudiants ont conservé leurs principaux mandats: en premier lieu, offrir de l’information de première main à propos de la réalité universitaire. «Les journaux étudiants sont une importante source d’informations pour les grands quotidiens, soutient Isabelle Hachey, rédactrice en chef du Montréal Campus en 1996-1997, aujourd’hui journaliste à La Presse. Ils leur permettent de rester branchés sur ce qui se passe à l’Université, mais aussi sur la vie et les préoccupations des étudiants».

Ceux qui sont passés par les bureaux souvent exigus et encombrés des médias étudiants en gardent un souvenir impérissable. Pour Bernard Landry, son implication étudiante a été son premier engagement social et politique. «Après mon passage là-bas, tout est allé dans le même sens», affirme-t-il. Frédérick Lavoie, pigiste en Russie, quant à lui, assure que son passage à Impact Campus lui a permis de vendre ses reportages dans les médias professionnels avec un minimum d’assurance et d’expérience. Depuis un siècle maintenant, les médias étudiants sont de véritables pépinières pour le quatrième pouvoir. La liste des journalistes professionnels qui y sont passés est longue… Et soyez certains que les journalistes étudiants d’aujourd’hui sont bien déterminés à lui ajouter encore de nombreuses lignes!

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Montréal Campus, je me souviens

Il y a 30 ans, l’UQAM se cherchait encore une identité. Fraîchement installée dans le Quartier Latin, la jeune université fondée en 1969 était encore en pleine mutation. Une de ses lacunes: elle n’avait pas de journal étudiant! En 1980, le professeur à l’École des médias Roch Côté et une bande de jeunes journalistes un peu zélés se donnent pour mission d’informer les étudiants de l’UQAM. «Le Montréal Campus est là pour combler un vide.» (Yvon Brossard, rédacteur en chef, 1re édition, 1981.)

Le journal a d’abord été snobé par quelques responsables du Département de communications. Le fait de rémunérer les journalistes avec l’argent de la publicité est vertement critiqué. Certains autres journaux étudiants parlaient alors «d’argent sale». Mais le bateau a tenu le cap, avec indépendance et le vent dans les voiles.

Le mandat campussien s’est renforcé avec les années… et les déboires. MC s’est efforcé, contre vents et marées, de conserver «ce souci constant, mais fragile d’une information honnête et complète» (Éric Barbeau, rédacteur en chef, 10e édition, 1991). Les équipes successives de rédaction, comme leurs collaborateurs, ont toutes eu le Montréal Campus tatoué sur le cœur. De tout temps, le même message d’éthique: «L’équipe peut dénoncer, louanger, pencher à gauche comme à droite, tant que la rigueur y est» (Alexandre Shields, rédacteur en chef, 25e édition, 2005).

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La petite histoire
Le Campus a suivi son périple de trois décennies tant bien que mal, en sortant toujours sa tête de l’eau. Les premières années, cela relevait du miracle. La crise financière de 1982-1983 a presque eu raison du journal. Faisant tout pour rester indépendant financièrement, MC publiait des éditions de quatre pages afin d’éviter la faillite.

Le Campus a aussi essuyé des insultes à plus d’une reprise. «Si certains nous louangent (on s’en méfie), d’autres nous lapident (on s’en méfie aussi)» (Éric Barbeau, rédacteur en chef, 10e édition, 1991). «Le journal a survécu aux crises et aux déchirements, aux tempêtes et aux bourrasques, après s’être planté et s’être fait planter. Bref, il s’est remis en question et s’est réorienté. Il a acquis la crédibilité qu’il méritait» (Marc Fortin, 15e édition, 1996).

Certains reportages, à défaut d’être glorifiés par tous, ont marqué l’histoire de l’UQAM,  que ce soit l’entrevue avec la féministe Marilyn French en 1980 ou le dévoilement d’une photo officielle truquée sur laquelle la présence du recteur Claude Corbo avait été effacée. Celui-ci venait alors de démissionner de son deuxième mandat à ce poste, le 7 janvier 1996.

Isabelle Hachey dénonçait alors les méthodes «soviétiques» de l’Université. «Ça a été repris par l’Actualité. La consécration quoi!» se souvient la journaliste aujourd’hui à La Presse. La leçon d’anarchie, écrit par David Riendeau en 2010, a aussi causé beaucoup de problèmes à son auteur et à Montréal Campus. Cette enquête sur le financement de groupes anarchistes par des associations étudiantes a valu au journal son lot de courriels haineux. Des personnes visées sont même venus rendre des visites à l’équipe, plus d’intimidation que de courtoisie, directement au local du journal.

Avec ses 30 ans bien sonnés, Montréal Campus reste le journal étudiant le plus lu à l’UQAM. «Le MC est un vent du large qui balaie les idées toutes faites, la lassitude et l’ennui. Voilà pourquoi Montréal Campus sera toujours, même à 75 ans, un journal jeune» (Marc Fortin, rédacteur en chef, 15e édition, 1996). Rendez-vous dans 45 ans donc, autour d’un beigne et d’un café.

 
Au fil du temps
1916. En ces temps de guerre, L’Escholier de l’Université de Montréal publie poèmes et pamphlets politiques d’auteurs sous pseudonymes. Le McGill Daily, quant à lui, couvre la Grande Guerre avec parcimonie, censuré par l’institution. Peu de mots sur les conflits mondiaux, sauf si un professeur en parle ou si McGill est touchée. «Selon le Dr. Joseph Goebbels, la propagande est le seul type de littérature, a dit M. Ernest Carter lors d’une conférence de la Société de littérature, à McGill, hier soir.» (McGill Daily. 1939.)

1963. La plume de Bernard Landry cause des remous au Quartier Latin, ancêtre du Quartier Libre. Le journal soutient la nationalisation de l’électricité, l’élection de Jean Lesage et défend la langue de Molière. Jacques Girard, rédacteur en chef en 1963, milite pour une université laïque. Quatre ans après le décès de Maurice Duplessis, la Révolution tranquille est bien ancrée dans les hauts lieux du savoir. «Les associations et les journaux étudiants participaient à cette époque cruciale dans l’histoire du Québec», se souvient Bernard Landry, ancien premier ministre du Québec.

1970. Un étudiant en science politique, membre du Parti communiste ouvrier, dirige l’équipe du désormais QL magazine. Son nom: Gilles Duceppe, l’actuel chef du Bloc Québécois. Sous ses directives, le manifeste du Front de libération du Québec (FLQ) fait la une, quelques jours après sa diffusion par Radio-Canada, le 8 octobre 1970. Cette prise de position du QL magazine entraînera la grogne des publicitaires. Plusieurs d’entre eux tournent le dos au journal. La faillite est proche. Avant la fin du mois, le McGill Daily se joint à la vague. Il prend aussi position en faveur du manifeste et appuie totalement la lutte du FLQ.

1995. À l’UQAM, Montréal Campus est sur le point de fêter ses 15 ans. Le journal couvre le référendum de 1995 avec passion. «Pour que le Québec prenne sa place sur la planète, pour que la scène politique cesse d’être paralysée par le débat constitutionnel et qu’on puisse se mettre au travail avec les coudées franches, pour que nous, les jeunes, puissions avoir un pays bien à nous pour y concrétiser les rêves qui nous habitent, Montréal Campus croit que la réponse qui s’impose, c’est Oui. » (Charles Grandmont, rédacteur en chef, 30 octobre 1995.)

2005. Frédérick Lavoie, journaliste étudiant et correspondant pour le journal universitaire L’Exemplaire de l’Université Laval, écrit des chroniques sur son séjour en Russie. Un an plus tard, il se fait arrêter en Biélorussie alors qu’il couvre la révolution. Alors que la FPJQ critique ce genre de journalisme casse-cou, l’éditorial d’Impact Campus prend position pour son ancien collaborateur.

Ligne historique

1895
Université de Montréal
Le journal des étudiants

1911
McGill
The McGill Daily

1919
Université de Montréal
Quartier Libre

1919
Université Laval
Le Bérêt

1944
Bishop’s
The Campus

1977
Université Sherbrooke
Le Collectif

1979
Université du Québec à Chicoutimi (UQAC)
La Petite Caisse

1979
Université du Québec à Chicoutimi (UQAC)
Le Griffonier

1980
Université du Québec à Montréal (UQAM)
Montréal Campus

1982
Concordia
The Concordian

1987
Université Laval
Impact Campus

2005
Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR)
Zone Campus
 

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