Le patrimoine vivant

Le Québec recèle de traditions et de connaissances transmises de génération en génération. Pourtant, en 2011, aucune loi québécoise n’assure encore la sauvegarde du patrimoine immatériel malgré les pressions des organismes œuvrant dans le domaine.
Courtoisie: Société du patrimoine d'expression du Québec
 
Le Carnaval de Québec, la fabrication des fromages de Charlevoix, la légende de la Chasse-Galerie… Le patrimoine immatériel, aussi appelé patrimoine vivant, regroupe l’ensemble des traditions ou expressions vivantes hérités de nos ancêtres, selon l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO). L’organisme a finalement ajouté à ses politiques, en 2003, cet aspect de la mémoire collective longtemps absent de la sphère juridique mondiale. L’héritage immatériel reste toutefois peu ou pas du tout reconnu au Québec.
 
«Comme son nom l’indique, le patrimoine immatériel est intangible [voir encadré Sur les traces du patrimoine], explique le directeur de l’Institut du patrimoine culturel, Laurier Turgeon. Il survit grâce à la transmission.» Selon le professeur de l’Université Laval, de cette transmission émane une grande fragilité. «Aujourd’hui, avec l’urbanisation des civilisations et la mondialisation, il n’y a plus personne qui s’intéresse au passé, à l’histoire. Si on ne reconnaît pas ce patrimoine et qu’on ne commence pas à le transmettre maintenant, il risque de disparaitre. Et ça, ça équivaut à perdre notre identité.»
Législation unilatérale
Depuis 2008, une consultation parlementaire suit son cours. Laurier Turgeon, professeur en histoire et en ethnologie à l’Université Laval, y participe afin d’aider la mise sur pied du projet de loi 82 dans lequel serait défini et reconnu le patrimoine immatériel québécois. Pour le Conseil québécois du patrimoine vivant, un des organismes ayant participé à la consultation, la position du gouvernement du Québec est très encourageante. «Le Québec est un gros moteur culturel au pays, soutient le directeur du Conseil, Antoine Gauthier. Il faut aussi se souvenir que la culture est de compétence provinciale. La reconnaissance du patrimoine vivant est donc une décision québécoise. Il faut que ce soit fait ici.» Concrètement, l’inclusion législative de cet héritage permettrait la mise en place d’un programme de sauvegarde et de conservation. Le Conseil du patrimoine vivant espère voir davantage de fonds débloqués pour promouvoir le savoir-faire traditionnel du Québec.
 
Ainsi, le gouvernement québécois s’inspire des orientations de l’UNESCO. «Le Québec choisit d’aller dans le même sens que la communauté internationale en proposant d’inclure le patrimoine immatériel dans l’actuelle Loi sur le patrimoine culturel», explique la responsable des relations avec les médias du ministère de la Culture, Annie Legruiec.
 
Bien que le Québec s’oriente pour une prise de position intéressante pour les défenseurs du patrimoine vivant, il n’en reste pas moins que le canevas législatif se concentre uniquement sur un recensement de ce dernier, dénonce la Société du patrimoine d’expression du Québec. «Pour le moment, il n’y a rien sur la diffusion ou la reconnaissance de la culture traditionnelle, déplore le secrétaire général de la Société active depuis plus de 35 ans dans le domaine du patrimoine vivant, Guy Landry. Ce qu’il faut mettre en place, ce sont des outils aidant ceux qui tentent de transmettre la culture d’ici.» Les différents organismes souhaitent l’application des préceptes de l’UNESCO [voir encadré Politique de l’UNESCO] avec davantage de programmes d’éducation, de sensibilisation et d’information.
Réticences fédérales
En 2003, l’UNESCO a officialisé la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel. «Le gouvernement canadien a été un participant actif», défend Geneviève Myre, relationniste au ministère du Patrimoine canadien. Le Canada a proposé une formulation qui aurait permis aux États signataires de déterminer leurs propres stratégies de sauvegarde. «Les responsables de la Convention n’ont pas tenu compte de ces suggestions. La formule adoptée accorde relativement peu de flexibilité quant au choix de l’approche qui serait la plus appropriée au contexte canadien», ajoute-t-elle. Ottawa ne possède peut-être pas l’expertise nécessaire pour mettre en place un inventaire du patrimoine immatériel du pays, avance Laurier Turgeon, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en patrimoine ethnologique. «C’est comme si les experts sur place s’étaient dit: « on ne sait pas, donc on ne signe pas », soutient le professeur. Le gouvernement a peut-être aussi eu peur d’avoir à mettre sur pied un programme clair de reconnaissance des cultures autochtone et francophone.» 
 
Les réticences du gouvernement fédéral à ratifier la Convention le laisse cependant sceptique. «En 2005, le Canada a ratifié une autre convention de l’UNESCO dans lequel la promotion de certains éléments du patrimoine immatériel, dont les cultures des Premières Nations par exemple, est clairement indiquée. Depuis, le Canada se vante d’être une des figures de proue de cette entente. La position canadienne est donc plutôt ambigüe, voire complètement contradictoire.» 
 
De son côté, Antoine Gauthier, directeur du Conseil québécois du patrimoine vivant, reste optimiste. «La décision du Québec, appuyée par celle de la province de Terre-Neuve-et-Labrador, concernant la reconnaissance du patrimoine vivant dans la législation culturelle, donne bon espoir que le Canada signera éventuellement.» Et si le gouvernement conservateur n’a toujours pas signé, des organismes fédéraux, tels qu’Environnement Canada et le Musée canadien des civilisations, sont tout de même actifs dans ce domaine.
 
Courtoisie: Marie-Hélène Massé, www.mariehelenemasse.com.
 
Les villes, chefs de ligne
Si le Canada refuse de signer et que le Québec prend son temps, les villes prennent d’ores et déjà le taureau par les cornes. En 2005, la Ville de Montréal a adopté une nouvelle politique culturelle dans laquelle est incluse la notion de patrimoine vivant. Encore une fois, l’identification du patrimoine et la mise en place de programmes d’enseignement pour favoriser la transmission sont au rendez-vous. Mais la lenteur du processus nuit à la mise en place d’actions tangibles. «La Ville de Montréal est endormie, regrette Guy Landry de la Société du patrimoine d’expression du Québec. Ils ont mis en place une politique engageante, mais ils n’ont encore rien développé concrètement. Il y a encore beaucoup à faire.»
 
Les audiences publiques de la Commission parlementaire de la culture et de l’éducation à laquelle l’Assemblée nationale a confié la question de l’inclusion législative du patrimoine vivant (projet de loi 82) ont débuté le 18 janvier dernier. C’est l’occasion pour la communauté québécoise de se prononcer sur un sujet qui la touche de très près. Car si le projet de loi existe, il n’est pas encore à la hauteur de tous ceux qui souhaitent son amendement. «Il y a encore plusieurs ajustements à apporter au projet de loi, conclut Laurier Turgeon. Il faut que le patrimoine vivant soit reconnu à part entière, comme un nouvel élément de la loi. Si le ministère ne fait que l’ajouter au patrimoine culturel actuel, c’est comme mélanger des pommes avec des oranges. Le patrimoine immatériel doit être traité comme il est, comme quelque chose de vivant.»

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