Entre le marteau et l’enclume

Personne n’est au-dessus des lois. Et pour les étudiants aux faibles revenus, le marteau de la justice est plutôt une épée de Damoclès.
Illustration: Florence Tison
 
Quelques mois avant que Kevin* commence un baccalauréat en histoire, son père lui promet de l’aider à payer ses études. Ils signent même un contrat. Mais quand les premières factures arrivent, rien ne va plus. Les relations père-fils se détériorent et les cordons de la bourse paternelle restent noués. Le jeune homme, fauché, n’a pas le choix: il doit intenter un recours contre son père. Mais à un tarif horaire oscillant entre 75 et 300 $, impossible pour lui de se payer un avocat. L’étudiant se tourne donc vers l’aide juridique. 
 
Pour avoir accès à ce service gratuit, il faut gagner moins de 12 844 $ par année, soit 3 500 $ de moins que le seuil de pauvreté. Une étude publiée en novembre 2010 par la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ) révèle que 50% des étudiants inscrits à temps plein gagnent moins de 12 200 $ par année. Actuellement, seule la moitié de la population étudiante québécoise bénéficie de l’aide juridique gratuite. Kevin est chanceux, il est admissible. 
 
L’étudiant en histoire avait plusieurs a priori avant de rencontrer son avocat de l’aide juridique. «Je m’attendais à un service de moins bonne qualité, avoue-t-il. Je pensais devoir faire une partie du travail moi-même puisque les avocats qui font de l’aide juridique reçoivent peu d’argent pour chaque cause.» Une présomption que Jean-Pierre Villaggi, professeur spécialisé en droit social à l’UQAM, s’empresse de démentir. «Les services offerts à l’aide juridique sont d’aussi bonne qualité que dans la pratique privée, soutient-il. C’est une question d’éthique de s’investir autant pour chaque cause. N’oublions pas qu’un avocat n’a jamais l’obligation de représenter un client!» 
 
Kevin garde toutefois un goût amer de son expérience avec l’aide juridique. Un mois après leur première rencontre, son avocat n’avait toujours pas donné signe de vie. La mésaventure de l’étudiant durera neuf mois. «Je devais constamment l’appeler pour connaître l’évolution de mon dossier. C’était sans fin. J’avais autant de problèmes avec mon avocat qu’avec mon père! s’exclame Kevin dans un grand éclat de rire, maintenant que tout est derrière lui. En plus, cet avocat n’a servi à rien! Le conflit avec mon père s’est soldé par une entente hors cours.» 
Passifs, les étudiants? 
Pour Jean-Pierre Villaggi, Kevin fait partie des rares étudiants à connaître les recours possibles en cas de pépin judiciaire. «Mon impression générale, c’est que les étudiants ne connaissent pas leurs droits, avance-t-il. Ce n’est pas dans la dynamique étudiante de s’intéresser à ces questions-là.» Louis-Philippe Savoie, président de la FEUQ, apporte une nuance: «Certains pro- grammes, comme l’Aide financière aux études, peuvent être extrêmement compliqués sur le plan juridique. Alors c’est certain qu’il y a un travail de sensibilisation à faire auprès des étudiants.» Le principal problème serait la désinformation, selon Lise Ferland, avocate et porte-parole de la Coalition pour l’aide juridique. Trop d’étudiants se fient à leur entourage plutôt qu’à des experts. «Quand vient le moment de se défendre, beaucoup sont découragés par l’aspect complexe du système judiciaire. Ils se disent que ça a l’air trop compliqué et abandonnent, déplore l’avocate. Pourtant, si on laisse toujours faire et que personne ne dit rien, il y aura toujours des abus.» Lise Ferland souhaiterait que davantage d’étudiants prennent exemple sur Émilie Laurin-Dansereau, mère monoparentale qui étudie en droit. «Elle a déposé un recours collectif pour que les pensions alimentaires ne soient plus définies comme un revenu dans le calcul de l’aide financière.» Le verdict de la Cour supérieure ne sera rendu qu’en avril 2011, mais l’implication de cette étudiante est soutenue par plusieurs organismes communautaires. 
Pour les pauvres parmi les pauvres 
C’est dans cette optique que la Clinique juridique de l’UQAM a été mise sur pied en 1998. Composée d’étudiants en droit supervisés par Me Amélie Lavigne, celle-ci offre des consultations gratuites ouvertes à tous. Elle s’évertue à vulgariser le langage judiciaire. Une option de plus pour les étudiants perdus dans les couloirs du palais de justice. «Les gens essaient de s’en sortir par eux-mêmes, mais avec un spécialiste du droit, ils sont mieux protégés», soutient Lise Ferland. 
 
Cette dernière rappelle toutefois que l’accès à l’aide juridique est menacé. En 2005, le ministre de la Justice Yvon Marcoux mettait en place une réforme de l’aide juridique qui devait s’étendre sur cinq ans. L’objectif: hausser les seuils d’admissibilité pour permettre à 900 000 personnes de plus de bénéficier de ce programme. Cinq ans plus tard,il n’y a eu aucune augmentation du volume de dossiers traités, selon la Coalition pour l’aide juridique. Depuis dix ans, le seuil d’admissibilité a très peu augmenté. «Actuellement, une personne seule avec un salaire annuel de plus de 12 844 $ n’a pas accès aux services gratuits, s’indigne Lise Ferland. Il y a des étudiants avec des revenus annuels plus élevés que ce seuil d’admissibilité, ce qui ne veut pas dire qu’ils ont assez d’argent pour se payer un avocat!» 
*Nom fictif 
 
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L’aide juridique en chiffres 
1972 : La Loi sur l’aide juridique est adoptée en même temps que d’autres mesures sociales, comme la Loi sur l’assurance maladie. 
1981: Le seuil d’admissibilité dépasse le salaire minimum annuel, une première depuis la création de l’aide juridique. 
1996: Réforme majeure du programme. Les services offerts sont réduits. Autrefois considérée comme un droit, l’aide juridique devient un privilège. Au volet gratuit s’ajoute un volet contributif (aujourd’hui, pour les citoyens gagnant entre 12 844 $ et 18 000 $, 100 $ à 800 $ sont exigés pour les services de l’aide juridique.) 
2005 : Le ministre de la Justice de l’époque, Yvon Marcoux, met en place une réforme. Il veut injecter 30M $ sur cinq ans pour augmenter l’accessibilité au programme. 
2010: Les changements promis en 2005 n’ont pas eu lieu. Des organismes déplorent que le seuil d’admissibilité ne suive pas au minimum l’inflation. 

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