Un an seulement a passé. J’écrivais alors un article sur les difficultés des disquaires indépendants, à la merci des magasins à grande surface. Leur capacité à acheter tirait le prix des disques vers le bas, et dans ce concours de limbo inéquitable, faisait chuter les ventes des véritables mélomanes à la barbe hirsute. Ces passionnés, dans leur caverne d’Alibaba cool, malgré leur dégoût pour les mercenaires de la rondelle de verre, trouvaient encore de bons mots pour les HMV, les Archambault et les Renaud-Bray de ce monde musical. Ces passionnés y trouvaient encore des conseillers appréciables, par opposition aux vendeurs javellisés des Zellers et Wal-Mart de ce monde bébellissime.
Un an plus tard, ces mêmes disquaires auraient sans doute un discours différent sur ces espaces emblématiques de diffusion de la «culture». Travaux de rénovation, réaménagement de l’espace, réorientation: la superficie consacrée aux romans et aux disques, québécois de surcroît, se réduit comme une peau de chagrin. Le glas de la musique physique, voire de la littérature, sonne depuis les premiers cris des baladeurs numériques, en 1998. Voilà que le corps pourrit et se décompose. Émane une odeur nauséabonde de ces anciens temples du divertissement et du savoir. Les mélomanes, lecteurs assidus ou simples curieux en quête de l’œuvre à découvrir, ont désertés. Les guerriers les plus tenaces sont confinés dans les sous-sols et les fonds de magasins, derrière les posters de Katy Perry, la biographie de Justin Bieber et les consoles de jeux. La bataille est perdue.
Les Archambault, HMV et autres Renaud-Bray ont succombé à l’appel de la lucrative gugusse. Disquaire-Libraire-Chosiste. Petite incursion dans les allées du Archambault de Brossard, après reconversion. Des CDs? Oui. Des livres? Oui. Mais aussi des Monsieur Patate, des papillons encadrés, des ensembles de hockey intérieur, du savon au pamplemousse, des tapis de yoga, des cartes Pokémon. La Wal-martisation…si ce n’était que ça. S’il n’y avait pas de coûts d’option. Les conséquences, c’est une section de poésie québécoise qui se résume à quelques œuvres majeures et nouveautés remarquables. Essayez de trouver les recueils de Dany Plourde, Daniel Leblanc-Poirier, Guillaume Lebel. Pourtant, tous publiés aux éditions de l’Hexagone, propriété de Quebecor. Quand on laisse mourir sa propre famille, imaginez ce qu’on réserve à ceux qui nous indiffèrent.
Parmi ceux qui en paient le prix? Bien sûr, les artistes, mais aussi les disquaires et libraires d’occasion. Les magasins recyclés dans la vente de bébelles, de plus en plus, ne conservent que les disques et les livres les plus payants, souvent des rééditions, des best-of ou des nouveautés qu’ils paient à des prix ridicules. Impossible pour nos amis de l’avenue du Mont-Royal de concurrencer. Combien de fois ai-je vu un CD neuf vendu moins cher que son jumeau usagé! Ensuite, c’est la diversité qui est compromise. Si les importateurs principaux délaissent les œuvres rares, spécialisés ou simplement moins en demande, les chances que ces œuvres aient une deuxième vie dans les petites boutiques diminue considérablement. Seule solution: l’importation à l’unité, sur demande du client, onéreuse et peu pratique.
La musique et la littérature n’ont pas besoin de verre ou de papier pour vivre, mais peut-être pour voyager. Pas les longs voyages outre-mer. Un courriel suffit. Pas les voyages dans le métro. Le iPad, j’imagine, convient. Plus près, sur son lit par exemple. D’abord, voyager à travers les disques, les livres. En choisir un. Puis, à travers les pages, les chapitres, les chansons. Une marche, prendre le rythme. Fermer le livre. Extraire le disque. Répéter. En rien nécessaire, je l’accorde. Juste que le corps travaille un peu, même quand tout s’achètera en ligne. Ah, et en passant, ce disquaire de Québec qui était, il y a un an, l’intervenant principal de mon article…enfin, vous vous en doutez, ce disquaire a fermé ses portes.
Charles-Éric Blais-Poulin
culture.campus@uqam.ca
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