Tricotées serré

Dépassée, l’image des grands-mères qui tricotent des pantoufles en Phentex en médisant contre leurs voisines. Quatre-vingt-quinze ans après leur création, les Cercles des Fermières du Québec s’offrent une cure de rajeunissement.
 
Illustration: Florence Tison
 
Métro, boulot, dodo. Depuis l’intégration des femmes sur le marché du travail, les mamans manquent de temps pour partager avec leurs filles les secrets ancestraux du tissage et des bons petits plats mijotés. Si pour certains la fibre de fée du logis a sauté une génération, les membres des Cercles des Fermières du Québec (CFQ) ne laissent pas s’éteindre le patrimoine culturel de la Belle Province sans dire mot. Elles partent en campagne de séduction pour conquérir la nouvelle génération.
 
«Pour la terre et le foyer». Telle était la devise des fondateurs des CFQ, empruntée à Marie Rollet, la première Française à avoir émigré au Canada. Près d’un siècle plus tard, la mission de l’organisation se transforme pour mieux s’adapter à la réalité de la femme moderne. Dans l’imaginaire collectif, les Fermières sont confinées aux aiguilles à tricoter et à leurs recettes de cuisine. «Actuellement, on se remet en question pour voir ce que nos membres souhaiteraient améliorer», assure la présidente des CFQ, Yolande Labrie. De 78 000 membres en 1981, les Cercles des Fermières du Québec ont vu leur nombre d’adhérentes fondre au cours des deux dernières décennies, pour finalement se stabiliser autour de 37 000. Les CFQ, en majorité dans des zones rurales et à la moyenne d’âge élevée, éprouvaient des difficultés à recruter de nouvelles Fermières.
 
L’exode des populations rurales vers les grands centres urbains aurait pu signer l’arrêt de mort de l’organisme «de la terre». Au contraire, il a donné un petit coup de pouce aux Fermières. «Je pense que c’est plus facile de faire du recrutement en ville présentement parce que le message circule plus rapidement», constate Lucille Legault, la présidente de la Fédération 13, regroupant entre autres les Cercles de Laval et de Montréal. D’autant plus qu’une grande partie de leur promotion passe par le bouche à oreille.
 
Les  CFQ prennent aussi d’assaut les écoles primaires pour sensibiliser les fillettes dès leur plus jeune âge aux vertus des tâches manuelles. Elles devront cependant attendre fébrilement l’âge de quatorze ans pour finalement devenir membre du Cercle de leur région. Mais pour Yolande Labrie, présidente des CFQ, les visites dans les écoles ne servent pas uniquement à recruter la relève des Fermières vieillissantes. «On veut également rejoindre les petits garçons, qui ont aussi un intérêt pour certains de nos ateliers.»
Fermières militantes
Sans délaisser le très populaire volet artisanal, les CFQ ont choisi, dans les dernières années, de redonner au volet social de leur mission son importance de jadis. «Notre rôle est évidemment de faire la transmission du patrimoine culturel, mais on souhaite aussi assurer de meilleures conditions de vie aux femmes et aux familles du Québec», rappelle Yolande Labrie. Elle est d’ailleurs confiante que cette stratégie pourra attirer les femmes qui, sans avoir de réel intérêt pour l’artisanat, souhaitent faire une différence dans leur communauté.
 
Forts de leurs 37 000 membres et de leur riche histoire, les Cercles des Fermières peuvent peser dans la balance politique. En 2010, les Cercles ont par exemple choisi de faire front commun pour défendre les droits des aidants naturels, dont 80% sont des femmes au Québec. Elles soumettront leurs recommandations au gouvernement provincial sous peu.
 
Dans la métropole, les Fermières ont aussi tricoté tuques, foulards et mitaines pour les camelots du magazine L’Itinéraire, qui doivent faire face aux diverses intempéries tout l’hiver durant, sans avoir les moyens de s’en procurer.
Fermières solidaires
Mais les CFQ servent surtout à sortir les femmes de leur isolement, peu importe leur milieu social. C’est ce qui a convaincu Karine Roussel, une jeune mère de trente-deux ans, de rejoindre le Cercle des Fermières de Pincourt, il y a maintenant cinq ans. «À la base, je l’ai fait pour sortir de chez moi. J’ai de jeunes enfants et je peux adapter les activités du Cercle pour faire du bricolage avec eux.» Membre du conseil d’administration de son groupe, elle consacre trois ou quatre heures par semaine aux activités du CFQ.
 
Chez les doyennes des Cercles, le besoin de briser l’isolement se fait encore plus grand. Pour Marielle Ouellette, membre du Cercle des Fermières de Saint-Philippe d’Argenteuil depuis près de trente ans, les rencontres du groupe offrent une distraction bien appréciée. «Il y a beaucoup d’entraide. On vit souvent les mêmes choses. Juste d’en parler avec les autres, ça fait du bien», affirme la sexagénaire. En riant, elle se demande même si elle n’est pas parfois un peu trop occupée. «En tous cas, il n’y a pas de dangers qu’on s’ennuie. Même des fois, c’est pire que quand on travaille à plein temps!»
 
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Un brin d’Histoire
1915: Alphonse Désilet et Georges Bouchard fondent les Cercles des Fermières du Québec.
1945: Les CFQ comptent près de 50 000 membres.
1967: Les Fermières exposent leur savoir-faire à l’Expo 67 de Montréal.
1993: La Société canadienne des postes émet cinq timbres à l’effigie des Fermières.
2005: Les recommandations des CFQ à l’Assemblée nationale influencent l’adoption d’une résolution sur l’interdiction de fumer dans les lieux publics.

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