Tragédie

L’histoire de l’actuelle et de la future hausse des frais de scolarité ressemble à une antique tragédie grecque. Une de ces terribles, inéluctables tragédies grecques. Celles où le héros, d’abord naïf, vit dans l’ignorance de son destin fatal. Suit son déni de l’ignoble scénario. Ce n’est que trop tard qu’il remue alors ciel et terre pour déjouer les plans divins. Mais sa vie est déjà écrite dans les cieux, du candide début à la funeste fin. Et les spectateurs horrifiés ne peuvent qu’en constater le désastre.

 

Dans l’histoire des frais de scolarité, ce devrait être nous – étudiants – les héros. Mais des héros de blockbusters américains, dont la bonne volonté et la bonne foi les sauvent in extremis des plus catastrophiques situations. Avouons que de notre côté, nous sommes plutôt les spectateurs de notre propre destinée. Et les souffre-douleur aussi. Nous n’avons pas pu empêcher la hausse des frais de 50 $ par session de 2007 à 2012. Reste à découvrir le prochain chapitre dans un suspense dramatique, qui se résume simplement: arrêterons-nous l’hémorragie de nos portefeuilles de 3 000 $ supplémentaires? Serons-nous assez convaincants pour empêcher une nouvelle hausse de nos factures étudiantes?

 

L’Histoire est déjà écrite dans les budgets, et ce, depuis longtemps. Nous voici devant le fait accompli: pour pallier le sous-financement des universités, ce sont les étudiants qui devront mettre les mains à la poche. À la manière d’Œdipe, nous prenons conscience de notre réalité trop tard.

 

En 2008 déjà, soit un an à peine après le début du dégel actuel, les membres de la Commission jeunesse du Parti libéral du Québec – des étudiants en majorité – votaient en Congrès annuel une motion pour augmenter les frais universitaires à près de 6 000 $ par année. Ils proposaient que le gouvernement paie la différence avec le montant actuel et qu’il se rembourse par des impôts post-universitaires proportionnels au salaire gagné par le diplômé.

 

Deux ans plus tard, le 10 février 2010, la ministre de l’Éducation de l’époque, Michelle Courchesne, évoquait pour la première fois à La Presse une possible hausse des frais après 2012. Elle avait d’ailleurs émis quelques propos restés dans les annales: «Je pense qu’il y a un consensus qui est en train de se mettre en place au Québec. Quand je parle de consensus, j’exclus les étudiants.» Elle suggérait alors au journaliste d’attendre le prochain budget… qui arriva un mois plus tard à peine avec effectivement une hausse, mais non déterminée.

 

Entre-temps, des sorties médiatiques fusaient de part et d’autre. Une des plus remarquées fut celle menée par Lucien Bouchard, ex-premier ministre péquiste. Il était accompagné pour l’occasion d’anciens représentants de la Fédération étudiante universitaire du Québec et de la Fédération étudiante collégiale du Québec, ainsi que d’anciens recteurs de l’Université Laval et de l’Université de Montréal. Les signataires du Pacte pour un financement concurrentiel des universités souhaitaient une hausse comprise entre 2 000 $ et 10 000 $. Cette dernière serait proportionnelle au probable futur salaire du diplômé.

 

Plus récemment, c’était à la Conférence des recteurs et des principaux des universités du Québec de proposer une hausse des frais de 500 $ sur trois ans après 2012. Une autre hausse suivrait pour atteindre, aux horizons de 2020, la moyenne canadienne d’environ 5 500 $ par année universitaire.

 

Tout cela ne ressemble-t-il pas à une longue suite de dominos alignés? La pichenette qui fait s’effondrer le jeu a été donnée il y a longtemps. Nos représentants étudiants n’étaient pas dupes. Ils ont toujours clamé haut et fort leur opposition. Mais la mobilisation de leurs membres a semblé loin de leurs espérances… À la manière des dominos, beaucoup d’étudiants semblent avoir courbé l’échine. Du coup, le débat public leur a échappé: il n’est plus autour d’une hausse ou non, mais d’une hausse de combien.

 

C’est d’ailleurs pourquoi, le 6 décembre dernier, les représentants étudiants claquaient la porte au nez de l’actuelle ministre de l’Éducation, Line Beauchamp, et du ministre des Finances, Raymond Bachand. Mais cela n’a pas empêché la Rencontre des partenaires en éducation d’avoir lieu. Environ 3 000 étudiants manifestaient d’ailleurs ce jour-là à Québec, protestant contre la hausse post-2012. Ce nombre ne représente même pas 0,02 % de l’ensemble des étudiants de la Belle Province…

 

Alors, relisez le deuxième paragraphe. Relisez la question qui le clôture. En voici une variation intéressante: sommes-nous nous-mêmes suffisamment convaincus pour lutter contre la hausse des frais de scolarité? Un pessimiste aurait remué le couteau dans la plaie en posant cette question au passé…

 

Dans les tragédies grecques, plus le scénario avance, plus la cause du héros se révèle désespérée. Les plus militants d’entre nous promettent des grèves pour cette session d’hiver 2011 à peine entamée. L’avenir dira si le dernier acte sera à la hauteur de Sophocle et d’Euripide, ou si tout sera bien qui finira bien, comme cela n’arrive qu’au cinéma. Chose certaine, le noeud de l’intrigue sera notre mobilisation.

 

Naël Shiab

Rédacteur en chef

redacteur.campus@uqam.ca 

 

***

Les frais de scolarité depuis 1968:

 

1968 à 1989: Aucune augmentation des frais de scolarité. Ils sont en moyenne de 500 $ par année.

1989 à 1993: Ils triplent en quatre ans, passant à plus de 1 500 $.

1994: Arrivée au pouvoir du Parti québécois. Gel des frais à 55,61 $ par crédit universitaire.

1996: Le Parti québécois tente d’amorcer un dégel. Il se ravise devant la grogne populaire.

2003: Arrivée au pouvoir des libéraux. Jean Charest promet d’arrêter le gel des frais de scolarité.

2007: Le dégel commence. Les étudiants paient 50 $ de plus par session jusqu’en 2012. En cinq ans, les factures étudiantes passent d’environ 1 600 $ à 2 100$.

2012: Une seconde hausse des frais de scolarité aura lieu, avec des modalités encore indéterminées. Toutefois, les tenants de cette augmentation souhaitent voir les frais de scolarité québécois atteindre la moyenne canadienne, soit environ 5 000$. Il s’agit d’une hausse de 150%.

Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *