Finances non vérifiées, données comptables qui disparaissent, politique institutionnelle non respectée: les associations étudiantes ne se plient pas aux critères de vérification comptable de l’UQAM et l’institution ne leur en tient pas rigueur.
Depuis 2006, la politique 32 de l’UQAM exige des associations étudiantes qui reçoivent plus de 40 000 $ par année de cotisations étudiantes, comme les sept associations facultaires, de procéder à une vérification de leurs états financiers afin de s’assurer de la saine gestion de leurs finances (voir encadré). Ce document doit ensuite être déposé au Secrétariat général de l’UQAM. Aucune des sept associations facultaires n’a respecté les procédures pour l’année 2009-2010. Elles se défendent en pointant l’Université, qui ne leur impose pas de respecter le règlement. «Nous avons une bonne relation avec l’institution, indique le président de l’Association étudiante de l’École des sciences de la gestion (AEESG), Felix-Antoine Daigle. Ils nous demandent ces informations seulement si quelque chose semble aller mal, comme des allégations de fraudes.»
Adoptée à l’unanimité par le Comité à la vie étudiante en 2006, la nouvelle politique 32 s’était alors attirée les foudres de plusieurs associations facultaires étudiantes. Lors de son instauration en 2007, l’Association étudiante du secteur des sciences (AESS) et l’Association facultaire étudiante des sciences humaines (AFESH) refusaient de s’y conformer. Quatre ans plus tard, la situation est chaotique. La directrice du Secrétariat des instances, Johanne Fortin, a hérité du dossier il y a quelques mois sans savoir de quoi il s’agissait. Cinq associations ont remis des états financiers pour l’année 2009-2010 qui ne se conforment pas à la politique 32, alors que deux ont complètement omis d’en déposer.
L’Association facultaire des étudiants en langues et communications (AFELC) et l’Association facultaire des étudiants en arts (AFEA) n’ont remis aucun état financier au Secrétariat depuis deux ans. Depuis, aucune mesure n’a été prise par l’Université à propos de cette entorse aux règles de l’UQAM. «L’AFEA cumule les retards, souligne Johanne Fortin, responsable du dossier. On s’inquiète tout particulièrement pour eux.» Les membres de l’exécutif de l’AFEA n’ont pas retourné nos appels et courriels, malgré nos nombreuses tentatives.
Capharnaüm comptable
Johanne Fortin se dit surprise de l’application lacunaire de la politique 32. «Je n’étais pas responsable du dossier personnellement à l’époque. Mais ce qui est arrivé selon moi, c’est que nous tenions pour acquis que c’était respecté lorsqu’une association étudiante nous remettait un document nommé “États financiers” signé par un comptable», admet la directrice, ajoutant d’un ton inquiet que personne ne l’avait informée des irrégularités avant d’hériter du dossier.
Jusqu’à présent, la majorité des associations facultaires étudiantes procèdent à des missions d’examen (voir encadré). Elles se contentent même parfois d’un contrôle de leurs états financiers par des étudiants ou finissants en comptabilité. Cependant, l’UQAM exige une mission d’audit (voir encadré), anciennement appelée mission de vérification, beaucoup plus précise et exigeante de la part du comptable comme de la part des associations étudiantes. Une telle vérification coûte plusieurs milliers de dollars. Seuls les détenteurs d’un titre comptable CA, CGA et CMA et qui détiennent un permis d’auditeur ont le droit de signer une mission d’audit.
Professeur au Département des sciences comptables à l’UQAM, Jean-Claude Lauly estime essentiel que les associations étudiantes privilégient la mission d’audit exigée par l’UQAM. «Il y a énormément d’argent en espèces dans les mains des associations et le risque d’irrégularités en est d’autant plus grand, explique le professeur. Avec une mission d’examen, on a 50% de risques qu’il y ait des erreurs ou des anomalies dans les livres et le comptable n’émet pas d’opinion sur la qualité de la comptabilité. On valide les chiffres et les maths. L’audit donne le plus haut niveau d’assurance et c’est nettement plus prudent.»
Des comptes à rendre?
Depuis quand le règlement est-il enfreint? Difficile à dire. Personne n’a pu confirmer que la politique ait déjà été pleinement respectée. «Ça fait plusieurs années qu’aucune mission d’audit n’a été faite ici», avoue Félix-Antoine Daigle, président de l’AEESG, assurant du même souffle «qu’avec des centaines de milliers de dollars de budget, c’est ridicule de ne rien vérifier. Nous voulons procéder à une mission d’examen cette année.» L’Association n’avait pas pu faire vérifier leurs livres comptables l’an dernier, puisqu’un problème informatique à ce jour inexpliqué avait fait disparaître l’équivalent du quart de l’année de données comptables. Interrogé sur la possibilité d’une fraude, le président de l’AEESG assure avoir procédé à un nouveau calcul approximatif des dépenses avec le responsable des finances et n’avoir identifié aucun trou dans les livres. Plusieurs associations ont d’ailleurs fait l’objet de rumeurs de détournement de fonds il y a quelques années. C’est notamment le cas de l’AEESG, qui aurait vu disparaître une dizaine de milliers de dollars de son coffre entre 2003 et 2004.
Le comptable Bruno Émond, qui examine les états financiers de plusieurs associations étudiantes de la métropole, estime que l’UQAM en demande peut-être beaucoup avec une mission d’audit. «Une mission d’audit c’est très coûteux, souligne le comptable. D’un autre côté, ce n’est pas normal que des associations qui gèrent tant d’argent ne fassent aucune vérification comptable.»
Rigueur en vue
Au Secrétariat des instances, on dit vouloir améliorer la situation dans les années à venir. «On va envoyer un mémo aux associations et on pourrait leur retirer leurs chèques de cotisations si le règlement n’est pas respecté», assure la directrice Johanne Fortin, excluant par ailleurs des sanctions pour l’année en cours. Les cotisations que paient les étudiants pour les associations facultaires sont perçues par l’UQAM à même leur relevé d’inscription-facture. L’Université remet ensuite par chèque le montant perçu aux associations.
La directrice craint par contre qu’il soit difficile pour les associations de trouver un comptable prêt à faire la vérification de leurs états financiers. «Pour qu’un comptable puisse faire une vérification complète, il faut que les livres soient tenus d’une façon assez rigoureuse. Dans le cas contraire, il est difficile pour lui d’avoir un niveau d’assurance élevé dans l’opinion qu’il donne des finances de l’organisation. Pour tout de suite, nous craignons que les associations manquent de professionnalisme dans la tenue de leurs livres pour qu’un comptable puisse accepter de les vérifier.»
Les craintes de Johanne Fortin sont fondées. En 2009-2010, l’AFELC n’a pas pu faire de mission d’examen. Le comptable engagé pour examiner les états financiers a retourné les documents aux bureaux de l’Association. Avant qu’il n’accepte de travailler sur leurs finances, l’AFELC devra classer et mettre de l’ordre dans ses documents.
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Vos cotisations étudiantes par association
Association des étudiantes et étudiants de la faculté des sciences de l’éducation
Cotisations étudiantes perçues en 2009-2010: 200 000 $
Nombre de membres : 5 000
Une mission d’examen a eu lieu pour l’année 2009-2010 et a été remise au Secrétariat des instances. Toutefois, l’accès aux états financiers a été refusé à Montréal Campus
Association étudiante de l’École des sciences de la gestion
Cotisations étudiantes perçues en 2009-2010: 600 000 $ selon nos estimations basées sur les données du registrariat.
Nombre de membres: 12 000
Aucune mission d’audit n’a été faite depuis plusieurs années. Le Secrétariat des instances indique toutefois avoir reçu une mission d’examen pour l’année 2009-2010. L’Association prévoit procéder à une mission d’examen pour l’année en cours.
Association des étudiants du secteur des sciences
Cotisations étudiantes perçues en 2009-2010: 135 000 $ en cotisations étudiantes selon leur budget 2009-2010 affiché sur leur site Web.
Nombre de membres: 3 500
L’exécutif n’a jamais retourné nos appels et nos courriels malgré nos nombreuses tentatives. Une mission d’examen pour l’année 2009-2010 a toutefois été déposée au Secrétariat des instances.
Association facultaire des étudiantes et étudiants en arts
Cotisations étudiantes perçues en 2009-2010: 160 000$ selon nos estimations basées sur les données du registrariat.
Nombre de membres: 4 000
L’exécutif n’a jamais retourné nos appels et nos courriels malgré plusieurs semaines de sollicitation. Rien n’a été remis pour les deux dernières années.
Association facultaire des étudiants en langues et communications
Cotisations étudiantes perçues en 2009-2010: 190 000 $
Nombre de membres : 4 000
L’Association n’a pas encore procédé à un examen pour 2009-2010. Ils ont permis à Montréal Campus de consulter leurs états financiers compilés par un commis-comptable.
Association facultaire étudiante en sciences humaines
Cotisations étudiantes perçues en 2009-2010: 163 055 $
Nombre de membres: 4 000
L’Association a remis une mission d’examen pour l’année 2009-2010. L’AFESH a permis à Montréal Campus concernant ses états financiers.
Association facultaire étudiante de sciences politiques et de droit
Cotisations étudiantes perçues en 2009-2010: 75 000 $ de cotisations étudiantes selon le plan budgétaire 2009-2010 présenté sur leur site Web.
Nombre de membres: 2 000
Une mission d’examen a été remise au Secrétariat des instances. L’exécutif n’a jamais retourné nos appels et nos courriels malgré nos nombreuses tentatives.
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Mission d’examen/mission d’audit
Il existe deux types de «missions comptables», expression utilisée par les comptables professionnels pour désigner le travail qu’ils font pour un client.
Lors d’une mission d’audit – jusqu’à tout récemment appelée mission de vérification – le comptable scrute entre autres les chèques, les factures et les dépenses de son client. Il vérifie les variations des postes de dépenses par rapport aux années antérieures. Il regarde aussi si les dépenses correspondent effectivement à des actifs qui existent –si une facture d’ordinateur correspond à un ordinateur physique. La mission d’audit (ou vérification des états financiers) permet au comptable d’émettre une opinion sur la qualité de la comptabilité. Toutes les entreprises cotées en bourse doivent procéder à des missions d’audit, selon la loi.
Lors d’une mission d’examen, le comptable procède à un «examen» de l’information obtenue auprès de la direction en se limitant à évaluer si ces informations sont plausibles et cohérentes avec ce qu’il connaît de l’organisation et de son secteur d’activité, selon l’Ordre des CA du Québec. Le comptable n’émet pas d’opinion quant à la qualité de la comptabilité. Le comptable procède à la mission d’examen (ou examen des états financiers) en validant les calculs et en discutant avec la direction, entre autres. Il ne s’agit pas d’une vérification complète La mission d’examen permet seulement de conclure si les chiffres inscrits aux livres sont plausibles ou non.
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