Petits prêts, gros effets

Crédit communautaire au Québec

Apprenez à un homme à pêcher et il pourra se nourrir toute sa vie. Des organismes prêchent cette parabole en offrant microcrédit et formation à des entrepreneurs ingénieux rejetés par les grandes banques.

Avenue du Mont-Royal. Une petite vitrine transporte les passants en plein cœur de l’Afrique. Masques traditionnels, statues insolites et tam-tams importés du Togo et du Ghana s’entassent dans l’exiguë boutique Couleurs d’Afrique. En démarrant son entreprise en 2005, le Togolais Akovi Gunn concrétise un vieux rêve. Il réalise toutefois que la bonne volonté ne suffit pas toujours à garder un commerce à flot. En difficulté financière, il cogne à la porte des banques pour obtenir les fonds nécessaires à la survie de son projet, en vain. Il se tourne alors vers les Cercles d’emprunt de Montréal, qui lui octroient un prêt d’environ 2 000 dollars. «Les banques, elles ne te prêtent pas d’argent à moins que tu aies une maison à mettre en dépôt», s’indigne-t-il.

Les Cercles regroupent quatre à six entrepreneurs. Sur le modèle de la Banque Grameen, au Bangladesh (voir encadré), ils accordent des montants d’argent modestes, variant de 1 000 $ à 5 000 $, qui servent de leviers à des entreprises naissantes. «Ce sont de petits montants, mais ils arrivent au bon moment», souligne Akovi Gunn, aujourd’hui membre. Les capitaux proviennent principalement de dons de particuliers, d’institutions financières ou d’organisations religieuses. Les Cercles d’emprunt de Montréal bénéficient aussi de subventions du ministère du Développement économique du Québec.

Les Cercles offrent aussi de l’accompagnement aux personnes qui souhaitent se lancer en affaires. «On n’est pas un guichet bancaire. Avant de faire un prêt, on regarde le plan d’affaire de la personne et on s’assure qu’il y a un marché pour son idée», explique le directeur des Cercles d’emprunt de Montréal, Hany Khoury. L’an dernier, 85 personnes ont pu bénéficier d’un coup de pouce de la part de l’organisme montréalais. Celui-ci est affilié au Réseau québécois de crédit communautaire (RQCC), qui regroupe aujourd’hui vingt-trois organismes de la province. Le réseau, qui souffle cette année ses dix bougies, a contribué à créer et à maintenir plus de 3 700 emplois.

Au moment où ils font une demande de prêt dans un cercle d’emprunt du réseau, près des trois quarts des emprunteurs ont un revenu annuel de moins de 20 000 $. «Dans tous les cas, on s’adresse à des gens qui n’ont pas accès au crédit traditionnel. On leur permet de réintégrer la vie sociale et économique en créant des emplois», souligne Simon-Pierre Goulet, agent de développement aux communications du RQCC. Près d’un tiers des membres du réseau sont immigrants ou issus de diverses communautés culturelles. «Il y a une forte tendance entrepreneuriale chez les immigrants, soutient Hany Khoury. Il faut avoir de la détermination pour tout larguer et changer de pays.» Il ajoute que les immigrants ont souvent très peu de ressources financières en arrivant ici et que leur réseau personnel est peu développé, ce qui les incite à chercher le soutien des organismes.

Bien que minimes, les prêts consentis par des organismes comme les Cercles d’emprunt de Montréal servent de tremplin aux entrepreneurs pour trouver d’autres sources de financement, explique le représentant du RQCC. «Parfois, une caisse populaire accordera un prêt à condition que l’emprunteur travaille avec nous. Comme ça, l’institution a la garantie que la personne bénéficiera d’un accompagnement.»

Un pour tous et tous pour un
Alors qu’ils nagent avec les requins de la finance et de voraces compétiteurs, les nouveaux entrepreneurs ont parfois besoin d’une oreille attentive à qui faire part de leurs états d’âme. «Même lorsqu’on a une copine, une famille, on ne peut pas tout partager avec eux, soutient Akovi Gunn. Les membres du cercle, eux, vivent souvent les mêmes problèmes et on peut en discuter.» Selon le directeur des Cercles d’emprunt de Montréal, Hany Khoury, c’est grâce à ce soutien que plus de 77% des entreprises financées par l’organisme parviennent à survivre à leurs cinq premières années d’existence. Au Québec, seulement une entreprise sur trois réussit un tel exploit.

Sans en faire une condition sine qua non, les organismes de crédit communautaire financent souvent des projets ayant une certaine portée sociale. C’est ainsi qu’est né le Café-coop Touski. Le projet, porté par trois mères monoparentales, offre depuis sept ans des repas sains et abordables entre deux cantines de fast-food de la rue Ontario.

Pour Akovi Gunn, sa boutique est une façon de «travailler avec l’Afrique». En achetant ses produits dans les villages africains, l’entrepreneur contribue à créer des emplois dans des régions souvent défavorisées. Une partie des profits provenant de la vente du beurre de karité, un produit fabriqué dans son pays d’origine, le Togo, est aussi donnée à une école togolaise. Qui aurait cru que le concept du crédit communautaire, emprunté à des pays du Tiers-Monde, deviendrait un baume pour soulager la pauvreté en Occident, berceau du capitalisme.

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Les Cercles d’emprunt de Montréal s’inspirent des idées du Bangladeshi Muhammad Yunus, lauréat du prix Nobel de la paix en 2006. Pionnier du microcrédit, il a mis sur pied la Grameen Bank, qui a financé plus de huit millions de projets en vingt-sept ans d’existence. Contrairement aux institutions financières traditionnelles, la Grameen Bank prête principalement à des femmes. La banque souhaite ainsi améliorer leur situation en leur permettant d’être propriétaires de leurs propres entreprises, plutôt que de dépendre de leurs patrons?

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