L’Îlot de malheur

L’UQAM toujours coincée avec l’Îlot voyageur

Négociations secrètes, bâtiment à moitié construit, dépenses cachées et enquête policière… Ce n’est pas le scénario d’un polar mais celui de l’Îlot voyageur. Depuis l’abandon de sa construction, il y a trois ans, et malgré les promesses d’un dénouement rapide par le ministère de l’Éducation, l’UQAM continue à payer pour ses erreurs.

Photo:Frédérique Ménard-Aubin

L’épée de Damoclès qu’est l’Îlot voyageur oscille toujours au-dessus de l’UQAM. Si l’Université est libérée de toute responsabilité financière depuis l’automne 2008, elle reste copropriétaire du bâtiment tant qu’il ne sera pas racheté. Bien qu’il soit inachevé, le squelette de la rue Berri coûte une fortune à l’UQAM en frais d’entretien et de sécurité. L’Université n’a pas voulu dévoiler ses dépenses liées à l’Îlot pour la dernière année, mais elles s’élèveraient à plusieurs millions de dollars par session.

L’Îlot voyageur a été laissé en plan au printemps 2007, un an après le début des travaux. Ce projet de pavillon universitaire devait combler le manque d’espace à l’UQAM et inclure des résidences, des bureaux et des commerces. Mais à cause du manque à gagner de 200 millions de ce projet pharaonique, cher à l’ancien recteur Roch Denis, l’Université a frôlé la faillite. C’est la vice-rectrice aux affaires administratives et financières, Monique Goyette, qui a tiré la sonnette d’alarme la première lorsqu’elle a remarqué le dépassement de coûts de 40 millions de dollars au Complexe des sciences, un autre projet immobilier, à son arrivée en poste en 2006. Des chiffres qui avaient été cachés au conseil d’administration. «Avant les emprunts de 419 millions pour le Complexe des sciences et l’Îlot voyageur, l’UQAM avait 800 millions en actifs et aucune dette, indique-t-elle. On est chanceux, après quatre ans, de s’être sortis de ça.» Mais ce n’est pas sans aide que l’Université s’est extirpée de ce bourbier financier. C’est le diagnostic du Vérificateur général du Québec, Renaud Lachance, qui a sauvé l’UQAM en 2008, selon Monique Goyette. «Il a prouvé qu’il était impossible qu’elle s’en sorte seule», affirme-t-elle. Dès la sortie du rapport de Renaud Lachance, qui mettait dans l’eau chaude les anciens dirigeants de l’UQAM, la Sûreté du Québec a amorcé une enquête sur le fiasco de l’Îlot voyageur. En octobre, le gouvernement a débloqué 85 millions en subventions conditionnelles, auparavant retenues à cause des déficits cumulés de l’Université. Un mois plus tard, le ministère des Finances a placé un fonds de 200 millions dont les intérêts servent encore aujourd’hui à payer les frais engendrés par l’Îlot voyageur.

Malgré plusieurs annonces du ministère de l’Éducation – la dernière datant du 25 mai dernier –, les négociations pour la vente de la carcasse incomplète de l’Îlot font du surplace. La société immobilière SITQ, filière de la Caisse de dépôt et de placement du Québec, qui étudie depuis mars 2008 la possibilité de racheter l’Îlot, se heurte au mécontentement de la Station centrale d’autobus de Montréal. La voisine de l’UQAM, locataire du bâtiment, exige que les aménagements qui lui ont été promis au départ, un accès au métro et un quai d’embarquement, soient faits par la SITQ. La Station utilise actuellement l’Îlot voyageur pour ses autobus vides, son service Expédibus et pour permettre à ses chauffeurs de se reposer entre deux trajets. À cause d’une entente de confidentialité entourant le dossier, le promoteur immobilier Busac, l’UQAM et le ministère de l’Éducation ont refusé de commenter les négociations.

Retour à la case départ

Si l’UQAM n’a plus à se saigner à blanc pour l’Îlot voyageur, le manque d’espace continue à prendre de l’ampleur: l’Université doit trouver le moyen de loger 145 professeurs et 700 étudiants supplémentaires d’ici 2014. Pour ce faire, le recteur de l’Université, Claude Corbo, a annoncé un nouveau plan immobilier, plus modeste et moins risqué que les précédents, attendu pour décembre. Selon le chercheur à l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS), Simon Tremblay-Pépin, c’est la preuve que le gouvernement aurait dû aider l’UQAM à construire ses pavillons dès le départ. «Rembourser l’Université pour que ce ne soit pas un fardeau trop lourd, c’est mettre un plaster, estime l’ancien membre étudiant du conseil d’administration de l’UQAM. On n’avait pas besoin d’un centre d’achat, ni de bureaux: juste d’un pavillon universitaire.» Le sous-financement des universités du Québec, qui aurait poussé l’UQAM vers un partenariat public-privé (PPP), est fréquemment invoqué pour expliquer le fiasco de l’Îlot voyageur. Une vision réductrice, selon Simon Tremblay-Pépin. «Les universités reçoivent de plus en plus d’argent, défend-il. Ce qu’il faut questionner, c’est leur façon de dépenser. Lorsqu’elles se font compétition entre elles en construisant des pavillons dans d’autres villes, qu’est-ce que l’éducation y gagne?» Sur cette question, l’UQAM aura de quoi faire dans les prochaines années. Pour rétablir l’équilibre budgétaire en trouvant un moyen de caser de nouveaux professeurs et étudiants, tout en jonglant avec dépenses de promotion et de construction, le prochain défi de l’UQAM risque d’être, non pas financier, mais administratif.

Historique de l’Îlot voyageur

Mars 2005: Le recteur de l’UQAM, Roch Denis, annonce le projet.

Avril 2006: Début des travaux de construction.

Novembre 2006: Le Devoir révèle des dépassements de coûts de 40 millions dans la construction du Complexe des sciences, un autre projet immobilier. Peu après, Roch Denis démissionne.

Printemps 2007: L’UQAM découvre un manque à gagner de 200 millions. La construction de l’Îlot voyageur est abandonnée.

Août 2007: Le ministère de l’Éducation annonce qu’il prend en charge les finances et la gestion de l’Îlot voyageur.

Juin 2008: Le Vérificateur général du Québec dépose son rapport dans lequel il blâme l’ancien recteur.

Été 2008: Après le dépôt du rapport, la Sûreté du Québec enquête sur le fiasco de l’Îlot.

Octobre 2008: Le gouvernement verse à l’UQAM 180M$ pour le Complexe des sciences et 85 M$ en subventions conditionnelles.

Novembre 2008: Le ministère des Finances annonce la création d’une fiducie de 200 M$ pour couvrir les dépenses de l’Îlot voyageur.

Mai 2009: La Station centrale commence à utiliser l’Îlot.

Décembre 2009: TVA annonce qu’une entente serait intervenue entre le promoteur immobilier Busac et le gouvernement du Québec.

Mai 2010: Michelle Courchesne promet un dénouement rapide du dossier de l’îlot Voyageur.

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