Si Renaud avait été en cloque, c’est sans doute de Benoît Dorémus qu’il aurait accouché. Montréal Campus était à Paris pour rencontrer le chansonnier aux textes acerbes et révoltés, mais pourtant si timide en dehors de la scène.
Malgré le soleil radieux qui brille sur Paris, la terrasse du Select, une brasserie située au cœur de Montparnasse, est presque vide. Quand il arrive, peinard, les mains dans les poches, les quelques clients ne lèvent pas les yeux de leur verre. Il s’assoit, sort un paquet de cigarettes. «Tu fumes?». Non. Une vague lueur de déception traverse son regard, mais il pose sagement le paquet de Camel sur le coin de la table.
Vêtu d’un simple jean et d’un t-shirt bleu, Benoît Dorémus ne fait pas ses 30 ans. Il a pourtant passé ce cap en mai dernier, à quelques jours à peine de la sortie de son second album, 2020. «J’ai pas eu à faire le fameux bilan de la trentaine, explique-t-il. Pour moi, avoir 30 ans, ça représentait ce nouvel album. Et comme je suis content de l’album, je suis content d’avoir trente ans.» Il avoue cependant avoir fait beaucoup de chemin depuis sa rencontre avec le chanteur Renaud, en 2005, qui a été un véritable tremplin pour sa carrière.
Lorsqu’il fait le récit de cette rencontre, Benoît Dorémus esquisse un sourire timide, mais ses yeux bleus se mettent à briller. «Il y un avant et un après cette rencontre.» C’est son ami Sarclo, un musicien suisse, qui lui a permis de faire connaissance avec son idole. «Sarclo avait une vieille Martin, une guitare des années 20 que Renaud voulait offrir à sa femme, raconte le jeune chanteur, en manipulant distraitement son paquet de cigarettes. Sarclo m’a envoyé lui porter la guitare.» Benoît Dorémus se présente donc avec l’instrument dans une brasserie parisienne où il fait enfin connaissance avec l’homme qui lui a donné l’envie d’écrire.
«J’suis tombé sur un bon jour», suppose-t-il. Le jeune chanteur donne son disque autoproduit à la star, qui lit les paroles et promet de l’écouter. «Même s’il était persuadé que la musique serait de la merde», se remémore l’artiste en riant. Ravi d’avoir pu rencontrer le mythique chanteur, Benoît Dorémus avait bien peu d’attentes en lui confiant le fruit de son labeur. «Ben voilà, se disait-il, s’il a mon album quelque part chez lui, ça me suffit.» Deux jours plus tard, la voix de Renaud résonnait au bout du fil. «T’as un producteur? Non? Eh ben voilà, maintenant t’en as un.» En plus de produire le premier opus de l’artiste, Renaud ira même jusqu’à reprendre une de ses pièces, Rien à te mettre, sur son propre album. «C’est le plus beau cadeau qu’on m’aie fait dans la vie», affirme le musicien.
Chanson française aux accents rock et hip-hop, la musique de Benoît Dorémus est très axée sur les textes. De l’aveu de l’artiste, son premier album, Jeunesse se passe, est essentiellement autobiographique, porté par des textes cinglants et honnêtes. C’est d’ailleurs cette honnêteté qui séduit la critique et le public, malgré des ventes modestes. Le deuxième album est «musicalement plus mélodique, plus pop», admet le chanteur. Il se défend par contre d’avoir fait un album léger. «Bien sûr, celui-ci est moins enragé. Mais dans la vie, c’est pas parce que t’es enragé un jour que t’es obligé de le rester tout le temps. Ça n’empêche pas que les thèmes abordés dans 2020 sont assez sérieux». Il avoue trouver difficile d’entendre les critiques du public. «Les gens ont l’impression que tu leur appartiens. Ils te livrent leurs impressions crûment. Je ne peux pas leur en vouloir d’être spontanés, mais ils ne sont pas dans ma vie…»
De temps à autre, il pose sa main sur le paquet de Camel, le retourne négligemment, mais sans jamais faire mine d’en sortir une. Il s’anime en parlant de son public, de sa passion pour l’écriture. Il explique qu’à la critique du public s’ajoute aussi celle, parfois tout aussi impitoyable, de l’auteur lui-même. La chanson L’Enfer, tirée de son premier album témoigne d’ailleurs de sa relation tumultueuse avec l’écriture. «Quand j’écris, le temps ne passe pas. C’est un travail indolore, indépendant du métier, du succès. La seule douleur que je connaisse, c’est quand les mots ne viennent pas, quand je ne peux pas écrire.»
Par ailleurs, même si certains de ses fans lui reprochent de s’être assagi, le dernier disque de Benoît Dorémus a été assez bien reçu par le public français. L’artiste se prépare même à entamer sa première tournée en tête d’affiche, après avoir fait la première partie de Renan Luce, icône de la nouvelle chanson française, pour une série de concerts. Alors qu’au départ, il était assez timide en concert, le jeune homme se surprend à apprécier de plus en plus la scène. «Le concert, c’est plus concret. Et puis, entendre 5000 personnes rigoler à une de tes blagues… ça le fait!», lance-t-il en riant.
Malheureusement, la tournée de Benoît Dorémus ne s’arrête pas au Canada. Il aurait pourtant bien aimé revoir le Québec, qu’il a visité il y a quelques années. «Je me verrais bien vivre sur votre continent. La culture me plaît, les hot-dogs… et bien sûr le hockey. J’y ai joué pendant près de 15 ans.» Il espère donc voir sa popularité grandir au sein du public québécois d’ici quelques années pour pouvoir rechausser ses patins.
17h00. L’entretien tire à sa fin. En s’éloignant, Benoît Dorémus s’arrête auprès de deux jeunes femmes, assises plus loin sur la terrasse, tire une cigarette de son paquet, leur demande du feu. Puis, il repart d’où il est venu, avec son sourire timide, une main dans la poche, l’autre tenant la Camel dont il a dû rêver pendant toute l’entrevue.
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