Financement illégal des partis politiques
Printemps 2010. Le député de Québec Solidaire, Amir Khadir, dépose un dossier fracassant détaillant les liens de financements douteux entre plusieurs firmes de génie-conseils et les trois autres partis à l’Assemblée nationale. À la suite de vérifications faîtes par le Directeur général des élections du Québec, la firme Axor admet avoir contribué illégalement aux caisses des trois partis (PLQ, PQ et ADQ) à hauteur de 150 000 dollars. Rencontre avec Anne-Marie Provost, l’uqamienne dont le travail acharné, dans l’ombre du député de Mercier, a fait frémir les partis et les contributeurs illicites.
Montréal Campus : Comment vous êtes-vous lancé dans une enquête sur le financement des partis?
Anne-Marie Provost : À l’époque, le Parti québécois (PQ) monopolisait le discours sur la corruption et se présentait comme lavé de tous péchés. Il devenait donc impératif que Québec Solidaire (QS) ait une présence publique par rapport à ce dossier. L’étude du financement des partis permet également de comprendre les rouages du monde politique puisque la colonne vertébrale d’un parti, c’est son argent. J’en ai discuté avec un autre militant et nous avons proposé le projet à Amir Khadir, qui s’intéressait depuis longtemps au projet.
M.C : Quels étaient vos objectifs?
A-M. P : Nous avions trois objectifs. Le premier était de prouver qu’il y avait un système de prête-nom. Le deuxième était de prouver que ce n’était pas seulement le Parti libéral du Québec (PLQ) qui en bénéficiait, le PQ et l’Action démocratique du Québec (ADQ) aussi. Puis le dernier était de voler la vedette au PQ dans l’espace public sur la question de la corruption.
M.C : Quelle était la nature de votre travail?
A-M. P : Les données sur le financement des partis politiques sont disponibles sur le site du Directeur général des élections du Québec (DGEQ). Grâce à d’autres banques de données publiques, il est possible d’obtenir de l’information sur les donateurs, en l’occurrence, leur lieu de travail. Après ce travail de recherche, il suffit de compiler par bases de données. Par exemple une colonne représentait la firme Axor et à l’intérieur y figurait le nombre d’employés qui avait fait un don en 2008. Ensuite vient un travail de vérification, c’est là que le DGEQ entre en compte.
M.C : Le DGEQ a poursuivi votre travail par quelles mesures?
A-M. P : Le DGE envoie une lettre aux personnes concernées par ces allégations, soit celles qui donnaient 3000$ ou moins. Ces derniers devaient prouver si cet argent provenait d’eux ou de leur compagnie qui leur a donné pour qu’ils puissent faire un chèque aux partis. Advenant que ces individus ne soient pas en mesure de répondre c’est que nous sommes devant un système de prête-nom et c’est ce qui est arrivé avec Axor, qui a plaidé coupable dernièrement.
M.C : Qu’avez-vous trouvé?
A-M.P : À la suite de nos recherches, nous avons découverts que des employés de quatre firmes-conseils –Axor, SNC Lavallin, BPR et Cima+, donnaient généreusement aux trois autre partis politiques. Plusieurs ont versés aux partis le montant maximum permis par la loi (3000$), d’autres moins. Même si c’est le PLQ qui a reçu le plus de dons, le PQ et l’ADQ ont également reçu des montants d’argent. Comme quoi les compagnies prévoyaient le coup si le PQ ou l’ADQ venait au pouvoir.
M.C : Avez-vous eu des craintes, considérant que toi et ton équipe mettiez en cause des entreprises d’envergures (Axor, SNC Lavalin, Cima+ et BPR)?
A-M.P : Non. Toutes les allégations que nous avons présentées étaient basées sur des faits et non sur des présomptions. Ce qu’ils ont fait était répréhensible et nous avons joué notre rôle de citoyen.
M.C : Êtes-vous satisfaite du travail du DGEQ jusqu’à présent?
A-M.P : le Directeur général des élections du Québec (DGEQ) semblait préférer le statu quo plutôt que de soulever un tôlé sur la place publique. Chose certaine, pour l’instant personne n’a perdu très gros dans cette histoire. Nous avons remis nos dossiers au DGEQ à la fin du printemps, mais la nouvelles n’a été rendu publique que cet été alors que le DGEQ était lui-même en vacances et que personne n’écoute les nouvelles. Jean Charest, quand à lui, était ailleurs au Canada pour discuter fédéralisme avec les autres premiers ministres. Les journalistes se sont donc butés à des portes closes et cette histoire de trafic d’influence aura passé sous silence.
M.C : Croyez-vous que les sanctions émises contre Axor sont suffisantes?
A-M.P : Avant 2008, la loi électorale stipulait que les partis politiques recevant des dons illégaux devaient simplement les rembourser. Axor, dont les dons ont été fait en 2008 jouit toujours de cette juridiction. La compagnie s’en tire donc à bon compte avec une perte totale de 9000$ : la firme est soumise à une amende de 87 907$, mais recevra des trois partis politiques un total de 79 300$.
M.C : Amir Khadir a mentionné dernièrement qu’il serait urgent de réformer les règles du financement électoral pour mettre un frein au trafic d’influence, notamment en abaissant la limite de don à 500 $ par année. Est-ce suffisant?
A-M.P : Cette mesure constitue un bon début. Or, il faudrait adopter un système de sanctions plus sévère pour les contrevenants à la loi. Mais je reste sceptique. J’ai l’impression que ces firmes trouveront toujours différentes façons de contourner le système. Elles sont comme des insectes sur lesquels on un vaporise insecticide puissant, mais qui vont muter et y résister.
M.C : À quoi t’attaqueras-tu prochainement?
A-M.P : Les gens pensent souvent que nous sommes une bande de « gaugauche » idéalistes déconnectés. Depuis qu’Amir Kahdir siège à l’Assemblée nationale et surtout depuis la sortie de ce dossier sur le financement, nous arrivons à prouver que QS a une pertinence dans l’arène politique au Québec. Le prochain enjeu sera de prouver qu’à QS, le trafic d’influence n’arrivera pas.
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