En vers et contre tous

Le poète Danny Plourde livre un troisième recueil

Dans son troisième recueil, Cellule Esperanza (n’existe pas sans nous), le poète Danny Plourde s’acharne à nouveau contre une société engourdie, immobile dans sa camisole de force. Une dernière bataille désespérée avant de ranger les armes d’une poésie qu’il juge «impuissante et insuffisante».

Le poète Danny Plourde est installé tout au fond de la micro-brasserie le Cheval Blanc, une pinte de blonde à la main. «Après notre rencontre, j’ai une deuxième entrevue. Deux dans la même soirée, ça va bientôt me prendre des relations de presse», glisse-t-il d’emblée avec une pointe d’ironie, trop bien placé pour savoir que la poésie peine à sortir de sa Cellule Esperanza, titre de son dernier recueil.

Dans ce troisième tome d’une «trilogie inavouée», le lauréat des prix littéraires Félix-Leclerc et Émile-Nelligan bêche de plus belle dans les parois de son «pays pas d’pays». Allitérations lourdes et étouffantes, coups de gueule poétiques et absence du Je – faute de se reconnaître dans un nous collectif satisfaisant – le poète pioche, gueule, cherche une issue. «J’en ai peut-être trop mis, mais je voulais créer un rythme qui empêche le lecteur de freiner la lecture, une accumulation de mots qui parlent et qui devient étouffante.» 

Enfant issu d’un milieu pauvre, le jeune Danny Plourde passe plus de temps sur les terrains de baseball que dans les bibliothèques. Déjà, à l’école secondaire, l’adolescent rebelle exècre le conformisme. Plusieurs étudiants de sa polyvalente à Saint-Jean-sur-Richelieu se rappelleront la journée de grève initiée par le jeune homme au nom de la liberté; un militantisme plus libidinal que politique. «On réclamait que les filles puissent porter des jupes plus courtes. Il y avait aussi un règlement pour qu’on ne puisse pas s’étendre sur le gazon. C’est con. Si on avait le goût de baiser, on pouvait aussi bien le faire debout.»

Un cocktail de lectures trash, d’écoutes musicales rock et de champignons magiques plus tard, Danny Plourde s’intéresse tranquillement à l’écriture. Durant ses quarts de nuit à l’Hippodrome de Montréal, il préfère les romans noirs de Charles Bukowski à la vadrouille. Au cœur de la nuit, il compose le premier jet de Vers Quelque (sommes nombreux à être seul), qu’il peaufinera et qui sera publié aux éditions l’Hexagone en 2004.

Agité au pays du matin calme

Un an plus tard, à l’Auberge de la Paix de Québec, une apparition, jeune Coréenne en visite, marquera son parcours créatif. Le cœur en voyage, il foulera la Corée du Sud et en laissera les empreintes dans son deuxième recueil, Calme aurore (s’unir ailleurs, du napalm plein l’œil), publié en 2007. Son cri identitaire et amoureux, qui s’étouffe dans les montagnes de la Corée du Sud, trouvera écho au Québec, récompensé par le prix Émile-Nelligan et une bourse de 7500 dollars. Il remet le tiers du montant à l’Itinéraire pour aider le «tiers-monde montréalais». «La pauvreté, il y en a partout. Quand on se promène à Montréal, elle est évidente, explique Danny Plourde. C’était l’occasion de passer de la parole aux actes. Je ne pouvais pas vraiment faire autrement.»

En attendant que sa copine vienne s’installer à Montréal, il multiplie les allers-retours entre deux cultures, unies par le morcèlement et les revendications identitaires. «Les Coréens sont profondément divisés entre le Nord communiste et le Sud capitaliste. Au Québec, il y a une division entre les inquiets, qui luttent, et les “procrastinateurs”, qui se complaisent dans le misérabilisme.» Outre en sol coréen, ses poèmes le portent un peu partout dans le monde. C’est à l’étranger que la plume de Danny Plourde prend vraiment son envol, puisque l’artiste préfère «se sortir le nez de la marde pour pouvoir la voir et en parler». En Espagne, il récite des extraits de ses poèmes publiés dans le recueil multilingue Troc-Paroles, des vers qui ne manquent pas d’écorcher le fédéralisme canadien. Non sans fierté, Danny Plourde souligne que ce voyage a été en partie financé par le Conseil des Arts du Canada.

Trois petits tours et puis…

Après trois recueils écrits dans l’urgence, gueulés à s’érailler la voix lors de soirées littéraires, Danny Plourde s’est lassé de la poésie, orpheline qui ne réussit qu’à rejoindre un cercle d’initiés. «La poésie est insuffisante, mais j’en ai écrit parce que je ne suis pas capable de me battre sans saigner.» Le poète montre du doigt les «esti d’intimistes et de structuralistes» comme responsables de cette distance entre la poésie et la foule. Le jeune auteur, qui figure parmi les meilleurs vendeurs, peine à écouler plus de 700 exemplaires.

Le slam, poésie chantée, pourrait-il être le salvateur pour redonner aux vers leurs lettres de noblesse? «Je n’ai rien contre ceux qui en font, mais moi, le retour aux rimes, ça me fait chier. Et je n’adhère pas non plus au fait de rendre la poésie divertissante pour plaire au public. Le slam, c’est devenu une marque de commerce.»

Pour déconner et divertir, Danny Plourde préfère chantonner des grivoiseries au sein du groupe les Fidel Castrol. Les concerts du band rock-garage étouffent les grands combats planétaires et font place à une délivrance musicale collective complètement démente. Un premier album est sur les tablettes depuis le 16 décembre dernier. Traitements-chocs contre l’apathie, les chansons ferrailleuses des Fidel Castrol parlent d’alcool, de sexe et de drogue sans aucun sérieux. « Un autre lendemain de veille/C’est toujours pareil/Un autre fond de bouteille/Notre seul soleil.»

Tanné d’écrire en vers et contre tous, Danny Plourde n’a pas abandonné ses rêves d’écrivain pour autant. L’automne prochain, il publiera un recueil de nouvelles, un format qui rejoindra un plus grand public, espère l’artiste.

À la fin de l’entrevue, Danny Plourde se montre étonné face à l’intérêt de Montréal Campus pour la poésie. «Vous allez me consacrer un petit encadré dans votre journal?» questionne-t-il, déjà agréablement surpris d’avoir une tribune. Ben non l’poète, une pleine page, même pas de pub…

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