La vie après le culte

Sortir d’un mouvement religieux

Quitter un nouveau mouvement religieux signifie souvent recommencer sa vie à neuf. Pour les anciens adeptes Jean-Paul Dubreuil et Jean-François Payette, le retour à la normale a été un long chemin parsemé d’embûches.

Photo: David Riendeau

Jean-Paul Dubreuil a vu son fils Philippe pour la dernière fois en 1996. Le jeune homme était en visite chez de la famille lorsque Jean-Paul est arrivé à l’improviste. Le fils est devenu fou de rage. «Tu ne devrais pas vivre!» lui a-t-il hurlé. Son père avait commis la pire des trahisons: quitter la scientologie.

Une expérience au sein d’un nouveau mouvement religieux laisse des traces. En tournant le dos à l’Église de scientologie dont il a fait partie de 1984 à 1990, Jean-Paul Dubreuil a dû quitter ses enfants et sa femme, tous membres de l’organisation. «Le plus dur, c’est de vivre sans pouvoir parler à Jean-François, Philippe, Anne-Marie et à mes petits enfants.» Le résident de Sherbrooke leur envoie chaque année des cartes de fête qui restent toutes sans réponse. «Mon ex-femme m’a promis plusieurs fois de me mettre en contact avec eux. J’attends toujours», dit l’homme qui n’hésite pas à dénoncer le mouvement depuis son départ.

Lorsque Jean-Paul est entré dans l’organisation, sa famille a abandonné travail et école pour se consacrer à la scientologie et à la dianétique, la «thérapie» inventée par l’auteur américain Ron Hubbard. Elle consiste à développer la maîtrise de son âme à travers une série de séances sous la supervision d’un «auditeur» du mouvement. Pour parfaire sa formation, Jean-Paul a vendu sa ferme pour déménager au centre du mouvement avec sa famille, à Toronto. Il s’est plutôt retrouvé affecté à diverses besognes pour l’Église. «On nous donnait à étudier des livres de Hubbard qu’il fallait assimiler jusqu’à ce qu’on pense exactement comme lui.» Après six mois de ce strict régime de vie, il craque. «Le lendemain de ma fuite, je me sentais comme le dernier des êtres humains. Je m’en voulais énormément de ne pas avoir poursuivi le processus jusqu’au bout.»

Le directeur de l’organisme d’aide Info-Secte, Mike Kropveld, a souvent observé ce genre de sentiment chez les adeptes quittant un mouvement religieux autoritaire. «Énormément d’organisations retiennent leurs membres par la culpabilité. Lorsqu’ils s’enfuient, ils ont l’impression d’avoir tourné le dos à une mission sacrée pour laquelle ils travaillaient. Ils se demandent s’ils n’ont pas commis une erreur. Dans ce cas-là, les survivants éprouvent de la difficulté à faire des choix éclairés.»

Au service du Seigneur de l’Univers

«Ce que je raconte est si loin derrière moi. J’ai l’impression de parler d’un autre homme», explique Jean-François Payette, 57 ans. Celui qui travaille aujourd’hui à la sécurité d’un édifice de Montréal a été pendant dix ans au service du Mahara-ji (Seigneur de l’Univers), le leader charismatique de la Mission de la Lumière Divine (MLD), un mouvement d’inspiration orientale. Son expérience de sortie d’un culte est bien différente de celle de Jean-Paul Dubreuil puisqu’il n’a aucune famille qui se trouve dans l’organisation qu’il a quittée définitivement en 1986.

En plus de verser l’intégralité de son salaire de l’époque aux administrateurs du mouvement, Jean-François a été transféré plusieurs fois dans l’un des monastères de la MLD dans diverses villes, au Canada. Dans ces communes surpeuplées, les initiés méditaient, chantaient en hindou et œuvraient à l’expansion du groupe.

À Toronto, en 1982, las d’être muté d’une commune à l’autre, Jean-François Payette a exprimé à d’autres adeptes ses réserves face au mouvement. Un d’entre eux lui aurait répondu qu’il ne priait pas assez. «J’ai explosé et je l’ai rué de coups.» Expulsé de la commune, l’adepte déchu a songé au suicide. Il a même planifié la manière dont cela allait se dérouler. «J’allais me pendre du haut d’un viaduc avec un écriteau autour de mon cou “Mahari-ji est responsable”. Quand j’ai avoué à mon père que je vivais dans la misère, il m’a annoncé qu’un appartement m’attendrait à Montréal. J’ai saisi ma chance.» En 1986, Jean-François Payette a rompu tout contact avec la MLD.

Longue rémission

Les deux hommes ont eu la chance de recevoir de l’aide pour redonner un sens à leur vie. «Le support familial accélère de beaucoup la réintégration des anciens adeptes dans la société», souligne Mike Kropveld. C’est d’ailleurs grâce à un ami si Jean-François Payette a pu décrocher son emploi actuel. Auparavant, il se heurtait à ses propres craintes lorsque venait le temps de justifier à d’éventuels employeurs un trou de dix ans dans son curriculum vitae. «Je ne l’ai jamais dit à mon patron», confie-t-il.

Dans l’appartement de Sherbrooke où Jean-Paul Dubreuil vit «au jour le jour» avec Claudette, son épouse depuis dix ans, se trouve une photo le montrant en compagnie de deux beaux jeunes hommes, ses petits-fils. La scène a eu lieu deux ans plus tôt. Ils se sont rendus à Winnipeg pour voir ses petits-enfants à l’insu de leur père. Ils ont réussi à aller déjeuner avec eux au restaurant. «Après la rencontre, le plus vieux m’a serré dans ses bras. Il voulait garder contact avec moi.» Sa bru a demandé en contrepartie que Jean-Paul se taise à tout jamais au sujet de la scientologie, ce qu’il ne peut accepter. «Cependant, je garde espoir. Un jour, ils seront assez vieux pour décider de leur avenir.»

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