Salon du livre trash

Huit bougies pour Expozine

La foire annuelle de la littérature émergente à Montréal, Expozine, a fêté son huitième anniversaire. C’est l’occasion pour les écrivains et autres dessinateurs indépendants, à la fois passionnés et cyniques, de discuter de l’avenir de leur progéniture imprimée.

Illustration: Dominique Morin www.spoutnikmorin.net

L’entrée est gratuite. Vous avancez dans un sous-sol d’église décoré de guirlandes de Noël où il fait trop chaud. Alors que la bière Boréale rafraîchit les visiteurs, les chiens, enfants et lunettes à larges bordures noires se côtoient entre les tables des exposants. Vous êtes à Expozine, un Salon du livre version trash, pour rencontrer les artistes et faire vos emplettes en matière de littérature parallèle.

À Expozine, les petits éditeurs prennent place aux côtés de bédéistes et de créateurs de fanzines. Fanzine? «Ça provient des mots fanatique et magazine», résume l’auteur de la bande dessinée Quadrichrovie, Julien Paré-Sorel.

Tous ensemble, les auteurs et artisans en tous genre partagent avec le public le travail réalisé dans la dernière année: recueils, BD, graphisme, poésie et bracelets en vinyle recyclé. «Expozine a un effet positif sur le milieu, s’emballe l’auteur Jacques Boivin. Il n’y a pas de standardisation. Chacun y peaufine son expression.» Une fois bien perfectionné, le travail des créateurs doit difficilement trouver preneur dans la métropole ou ailleurs, durant les 362 autres jours de l’année.

Pour survivre avec ses Éditions Rodrigol, Pascal-Angelo Fioramore monte les choses tranquillement. «On a développé avec les années une relation amicale avec nos libraires», raconte l’éditeur. Rodrigol a toujours fonctionné avec un système de souscription; la maison met en pré-vente les ouvrages qu’elle publiera, pour donner le privilège de l’avant-goût à ses fans et pour remplir ses coffres avant l’impression. «Au lancement, on a toujours de 75 à 100 personnes qui viennent chercher leurs livres. Ça permet de créer un événement et de générer de l’intérêt.» Rodrigol distribue maintenant dans les librairies spécialisées de Montréal, Québec ou Trois-Rivières, mais aussi dans les centres d’artistes. «On participe au Marché de la poésie, aux foires, on fait des Cabarets. Il faut diffuser ce qu’on fait.»

Toi le grand, moi le petit

La spécialisation des libraires est inévitable pour le rédacteur en chef de la revue Web entrecrochets.net, Philippe Mangerel. «Les librairies indépendantes ont besoin de se singulariser en acceptant ce genre de petits produits pour faire face à des Renaud-Bray et des Archambault plus grands que nature.»

Les discussions s’emballent à propos de ces structures bien établies et institutionnalisées du milieu littéraire québécois. Mais la fondatrice des Éditions de Ta Mère, qui a publié notamment le Livre noir de ta mère, Rachel Sansregret, rappelle qu’il est possible de conserver son identité tout en profitant de ce qui est offert. «On peut accepter d’entrer dans les structures établies, mais on n’est pas obligés d’accepter tout ce que ça implique.»

Depuis quelques années, de nouvelles méthodes ont été mises sur pied pour permettre aux auteurs d’être lus et découverts davantage. Les Distrobotos, anciennes machines de cigarettes revisitées, offrent au public de petites œuvres d’art – livres, mini-CD de musique ou de film, bandes dessinées – pour deux dollars. Elles se logent dans les coins du Petit Campus, du Divan Orange ou encore du Café Romolo, à Montréal. Fait intéressant: 1,75$ de chaque vente va directement à l’artiste. Quant au Pressier, premier libraire Internet dédié aux magazines indépendants de la province, il permet de dénicher et d’acheter des ouvrages directement sur Internet. «Les gens achètent de partout au Québec, sauf de Montréal», explique Grégory Sadetsky. En effet, les boutiques spécialisées sont plus accessibles dans la métropole.

Mettre quelques ouvrages en consignation dans des librairies montréalaises comme Fichtre ou Studio 9 n’est pas une grande source de revenus. Et elle ne permet pas de payer les 600$ que coûte le stand au Salon du livre. Tous les auteurs autour de la table de l’Expozine, se lancent des sourires complices lorsqu’un auteur affirme que les ventes vont bien. «C’est relatif», répètent-ils.

L’auteur de nombreux fanzines dont Clémentine, Vincent Couture, met de l’avant une pratique un peu plus décousue. «Ce qu’on fait, c’est de l’art pauvre, sans aucun intermédiaire. C’est l’intensité créatrice qui unit tout ce beau monde-là.»

I’m a frog

Contrairement au Salon du livre où  aucun auteur anglophone n’a de kiosque, le murmure de la salle d’Expozine est bilingue. Pascal-Angelo Fioramore, des Éditions Rodrigol, s’est justement impliqué au sein de l’équipe d’Expozine pour en favoriser le développement francophone. «Le but n’est pas d’arriver nécessairement à une parité. Ce que j’aime bien, c’est que les gens se côtoient pêle-mêle.» La grande présence d’exposants anglophones provient de la source même des projets mis de l’avant lors de l’exposition. «Le concept du fanzine et du Do It Yourself est plus présent dans la culture anglophone. L’idée de s’autoproduire est moins instinctive chez les francos.» Pascal-Angelo Fioramore soutient quand même que la tendance commence à s’inverser, en raison de l’évolution très rapide du numérique, et donc des capacités qu’ont les artistes à créer un meilleur résultat en direct de leur appartement.

Si l’événement s’avère urbain et peut sembler plus ou moins accessible au grand public, l’organisateur insiste sur l’accueil chaleureux réservé aux visiteurs. «Il y a quelque chose d’assez spécial d’entrer dans un sous-sol et de ne pas savoir où tu t’en vas. J’ai vu beaucoup de têtes blanches qui étaient complètement contentes d’avoir découvert ça», raconte-t-il.

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