Ça ne tourne pas rond

Mort annoncée des disquaires indépendants

Les disquaires indépendants, égratignés par la chute des ventes de disques compacts, tournent en rond sans trouver d’issues. Et la guerre des prix lancée par les grands magasins risque de rendre toutes les batailles superflues.

Photo: Jean-François Hamelin
À Sherbrooke, Musik Hall a fermé, Disk’hier a fermé et le Gramophone a fermé. Le Discret, Mélodies, Wilson ainsi que  Musicomaniac ont aussi mis la clé sous la porte. Si rien ne change, Musique Cité, dernier bastion indépendant de la vente de disques neufs en Estrie, fermera aussi.

La crise de l’industrie du disque affecte tous les disquaires, mais l’hégémonie des grands détaillants plonge les plus petits dans une impasse irréversible. «Quebecor a poussé à fond l’exemple d’intégration verticale, explique Sylvain Lecours, propriétaire de Musique Cité. La compagnie possède sa propre étiquette de disques, Musicor, qui est distribuée par son propre distributeur, Sélect, qui est vendue dans son propre magasin, Archambault, duquel elle parle sur son propre réseau, TVA, qui est annoncée dans leurs propres revues, etc.» Les commerces indépendants, face à cet empire, ont du mal à suivre le rythme. À Montréal, le disquaire l’Échange de la rue Saint-Denis a mis la clef sous la porte en décembre 2008 après 32 ans d’existence, en partie parce que les prix de son imposante collection de disques classiques ne rivalisaient plus avec les rééditions vendues chez les grands disquaires.

À Québec, la boutique Musique du Faubourg n’achète plus de disques usagés et laisse peu à peu son inventaire s’écouler. Le commerce n’est plus rentable et sa fermeture semble irrémédiable. S’il montre du doigt le téléchargement illégal comme premier responsable, le disquaire et gérant du magasin, Michel Bilodeau, trouve aussi difficile de lutter contre les prix affichés dans les Archambault. «Dans le neuf, c’est évident que les coûts d’achat de Quebecor sont souvent beaucoup plus bas que les nôtres. On ne peut pas vendre au même prix qu’eux les disques qu’ils produisent. On ne ferait plus aucun profit. Ils sont même prêts à vendre à perte pour attirer des clients.»

Le dernier souffle

La seule brèche possible pour éviter que les disquaires foncent dans un mur consiste à  détourner leur offre des chanteurs populaires. Musique du Faubourg, qui possède le plus imposant inventaire de disques usagés à Québec, s’assure ainsi d’inclure quelques raretés à sa collection pour attirer les clients. «On a des disques qui ne se trouvent nulle part ailleurs ou presque. Et peu à peu, on s’est spécialisé dans le rock progressif et le métal.»

Musique Cité s’est aussi éloigné des artistes du palmarès. «On tient quelques disques populaires pour la forme, explique Sylvain Lecours. Mais notre créneau, c’est surtout les importations, le punk, le hardcore et le métal. On a vite compris qu’on ne pouvait pas rivaliser avec les grandes surfaces autrement.»

Le disquaire jure ne pas en vouloir à l’empire de Pierre-Karl Péladeau pour ses difficultés financières. Plus encore, il témoigne une certaine sympathie à la contribution d’Archambault. «Les conseillers ont un respect de la musique et de leurs clients. Ils s’assurent aussi de renseigner sur les disques. Pour ça, je suis solidaire et je n’hésite pas à référer Archambault à des clients quand je n’ai pas ce qu’ils cherchent.»

En revanche, Sylvain Lecours accuse les magasins à rayons de transformer les disques compacts en banals produits de consommation. «Les Wal-Mart et Costco se foutent de la musique. Ils s’intéressent juste au nombre de produits par pied carré. Si c’était plus payant pour eux, les disques feraient place aux poupées de chiffon. Ce sont des petits disquaires passionnés comme Musique Cité qui en paient le prix.»

Le cimetière des CDs

Si les grandes entreprises précipitent la fermeture des disquaires indépendants, le pressentiment s’est transformé en fatalisme: l’industrie du disque compact ne tourne pas rond, surchauffe et risque de voler en éclats. Le 22 septembre dernier, Disque Americ, un fabricant majeur de disques en Amérique du Nord, se plaçait sous la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers. Une égratignure qui est passée inaperçue tellement les mauvaises nouvelles ont écorché le secteur musical ces dernières années. «Ça fait environ cinq ans que l’industrie du disque est en déclin, note Claude Rajotte, ex-animateur de la défunte émission présentée sur Musique Plus et dont le titre, Le cimetière des CDs, est d’actualité plus que jamais. Bien sûr, c’est dû en grande partie à la facilité avec laquelle on peut télécharger les chansons sans débourser un sou».

Le disquaire Sylvain Lecours est lucide face à l’avenir: l’exercice financier de 2008 lui donnait espoir, mais les chiffres de 2009 laissent présager un avenir difficile pour Musique Cité. Selon lui, très vite, la musique ne s’achètera plus à la pièce, mais les consommateurs paieront un accès à une banque de chansons illimitées sur Internet. Un constat qui signifie aussi la précarité grandissante de Musique Cité, une institution sherbrookoise vieille de cinquante ans. «Ce qui m’attriste, c’est que j’aurais voulu prendre ma retraite en tant que disquaire. C’est une passion bien avant d’être un travail. Et là, je m’aperçois que c’est de moins en moins probable.»

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