Des productions fumantes

Campagne contre l’influence du tabac à l’écran

Les militants anti-fumée se lancent dans une croisade contre la présence excessive de la cigarette à l’écran. Un combat qui vise à réduire la consommation du tabac chez les jeunes.

Photo : Frédéric Ménard

L’actrice pulpeuse colle la cigarette à ses lèvres et souffle un long jet de fumée blanche, sous le regard intense de son bel amant musclé. Cette scène typique des productions hollywoodiennes n’est pas un vestige du passé: aujourd’hui le tabac est aussi présent dans les productions cinématographiques et télévisuelles que dans les années 1950, avance le comédien Jici Lauzon. Pourtant, de moins en moins de gens fument. Cette disproportion entre la réalité et la fiction inciterait les adolescents à adopter la cigarette.

«La cigarette est souvent associée à des personnages attrayants», souligne l’agente de communication du Conseil québécois sur le tabac et la santé (CQTS), Nathalie Juteau. Elle devient un accessoire pour démontrer le côté glamour chez les femmes et rebelle chez les hommes. «On dirait que les créateurs n’ont pas d’autres outils scéniques pour démontrer l’angoisse, l’anxiété, la solitude ou le goût de l’aventure», déplore-t-elle.

Le film Bon Cop Bad Cop fait partie des mauvais élèves en la matière. Le Bad Cop, Patrick Huard, fume à profusion, mais est en pleine forme et n’arrête pas de courir. «On banalise le geste et on floue les gens, parce qu’à l’écran, on ne montre pas la mauvaise haleine, le manque de souffle et toutes les conséquences néfastes de la consommation du tabac», note le comédien Jici Lauzon, qui milite contre la cigarette depuis des années.  

Plus fort qu’une publicité

Aux États-Unis, plusieurs études réalisées par des facultés de médecine démontrent que les adolescents sont particulièrement affectés par le comportement des personnages télévisés. Les recherches du pédiatre James Sargent avancent qu’environ 40% des jeunes fumeurs ont été influencés par la télévision.

La présence de la cigarette dans une série télévisée ou dans un film a un impact beaucoup plus grand que dans une publicité, puisque les gens se méfient des annonces, explique Nathalie Juteau. «Lorsqu’on regarde un film, on est absorbé par l’histoire, les émotions et on se laisse impressionner.» La professeure de marketing de l’UQAM Anik St-Onge soutient que cette immersion dans le film favorise la prédisposition des téléspectateurs aux produits exposés. «Les personnages auxquels ils s’identifient auront pour effet de valoriser ou de renforcer un comportement X. Dans certains cas, les jeunes feront du mimétisme et adopteront le comportement social pour faire partie d’un groupe.»

Toutefois, le titulaire de la Chaire de recherche de relations publiques et communications marketing de l’UQAM, Bernard Motulsky, souligne qu’une seule écoute ne mène pas à la consommation. D’abord, l’auditeur perçoit l’acteur qui fume et juge si ce comportement est bien ou non. «Si la perception a été positive, l’individu devient intéressé et prêt à passer à l’acte. Puis, il adopte le comportement.» Mais pour le directeur de recherche, «si quelqu’un allume une cigarette aujourd’hui, l’interprétation qui en résulte sera beaucoup plus négative qu’il y a 25 ans».  

Les artistes s’en mêlent

Depuis septembre, le CQTS mène une campagne de sensibilisation auprès des artisans du milieu cinématographique et des jeunes pour dénoncer la présence abusive du tabac à l’écran. Nathalie Juteau rassure toutefois les artisans: le CQTS ne veut ni bannir la cigarette de l’écran, ni identifier les scènes de tabagisme, comme le demandent certains militants aux États-Unis (voir encadré). L’organisme souhaite plutôt sensibiliser les concepteurs pour qu’ils utilisent le tabac proportionnellement à l’usage qu’en fait la société et démontrer les conséquences négatives de ce produit. À la session d’hiver 2010, les étudiants de l’UQAM en cinéma et télévision devraient recevoir la visite du CQTS dans leurs cours pour les sensibiliser.

Le comédien Jici Lauzon, lui-même ex-fumeur, endosse la campagne du CQTS. Celui qui joue le rôle d’un professeur de gauche dans Virginie pense qu’il s’agit d’une responsabilité artistique qui incombe à tous les pans de l’industrie télévisuelle et cinématographique.

Jici Lauzon se remémore comment son personnage marxiste-léniniste, Pierre Lacaille, a été rapidement associé à la cigarette Gauloise par la réalisation. Rapidement, Radio-Canada, de concert avec la compagnie de production, a décidé que le professeur Lacaille diminuerait sa consommation de cigarettes, étant donné la popularité de l’émission auprès des jeunes et sa diffusion pendant les heures de grande écoute. Jici Lauzon a dû développer quelques trucs pour réduire davantage sa consommation à la télévision. «Ok, je fume, mais je commence la scène en écrasant, explique-t-il. Sinon, lorsque je veux allumer ma cigarette, le briquet ne fonctionne pas.» Maintenant, Pierre Lacaille ne fume plus.

Attention: ce film contient du tabac!

Aux États-Unis, certains militants anti-tabac font pression sur les compagnies de productions hollywoodiennes pour un changement majeur. C’est le cas de Stanton Glantz, professeur de médecine à l’Université de Californie à San Francisco, qui désire qu’elles adoptent un système d’identification des scènes de tabac au même titre que les films qui comportent des scènes violentes ou à caractère sexuel. La supervision des parents sera-t-elle conseillée?

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