Chapeau melon et veste de cuir

Les drag kings

Les attributs féminins bien dissimulés, la démarche assurée et la barbe plus drue que nature: les drag kings sont bien mal connus à l’extérieur de la culture trans. Ces férus de la scène jonglent avec le politique, le ludisme et l’érotisme, ralliant par le rire un public original et hétéroclite.

Qu’ils soient femmes biologiques, hommes transsexuels, transgenres ou travestis, les drag kings incarnent des hommes tout en s’amusant avec les conventions de genre. À l’honneur dans ces spectacles: blagues salées, sketchs variés et accessoires osés.

Miriam Ginestier, organisatrice des soirées Meow Mix pour la communauté queer, se souvient encore du premier spectacle de drag kings à Montréal. «C’était en 1997, pendant le party lesbien de Divers Cité. Ma blonde du temps faisait partie des Toronto Drag Kings et elle a présenté un numéro. À un moment donné, elle a sorti un dildo duquel s’est échappé un liquide. Beaucoup, beaucoup de gens ont été offensés. On a entendu des hurlements dans la salle!» Depuis ce temps, les spectacles se sont multipliés, tout comme les hurlements… de rire.

Si vous allez à une soirée Meow Mix et que vous y croisez Nat King Pole, vous ne penserez pas un instant que vous avez devant vous une femme. Avec sa barbe dessinée, son pas assuré et sa propension aux blagues grasses, Nat King Pole, alias Nathalie Théorêt, se produit depuis six ans sur la scène drag king de Montréal. Sa spécialité? Des hits de toutes les époques dont elle modifie les paroles afin de les rendre plus lubriques. Elle chantera ainsi «Gettin’ titties wid it», au lieu de «Gettin’ jiggy wid it» de Will Smith ou «Bandé ben raide» plutôt que «Lady in Red», de Chris de Burgh. En général, les spectacles de drag kings intègrent sketchs théâtraux, interactions avec le public et chorégraphies en un joyeux pot-pourri déjanté et irrévérencieux.

Si les drag queens misent sur le glamour, les paillettes et les bas de résille, les kings travaillent moins le sex-appeal que le réalisme de leur apparence masculine. Les seins sont aplatis à l’aide d’une gaine et l’entrejambe se voit la plupart du temps garnie d’un phallus de latex. «Il s’étire beaucoup et il a l’air réel. Le public est toujours surpris lorsque je le sors!» lance Nat King Pole avec amusement. Accessoires prisés des spectacles de drag kings, les godemichés deviennent des objets qui ridiculisent ce symbole de la masculinité.

Mais être drag king, est-ce vouloir être un homme? Pour Nat King Pole, il ne faut pas confondre le spectacle et la réalité. «Je suis une femme, une femme masculine et je m’assume en tant que telle. Nat King Pole demeure un personnage.» Cette préposée aux bénéficiaires à temps plein souligne aussi que le pur plaisir de la scène est sa première motivation à faire du drag king.

Caricature du sexe

Line Chamberland, professeure au Département de sexologie de l’UQAM, explique que les drag kings remettent en question les genres biologiques, mais dans le but avoué de les railler. «Les drag kings vont souvent faire appel aux stéréotypes, ces codes culturels facilement compris, pour ensuite les parodier. Ils décloisonnent le masculin et le féminin en montrant que tout ce qui symbolise le masculin peut être exprimé par des femmes.» Le policier, le macho et le crooner sont autant d’exemples de ces stéréotypes mis de l’avant dans les spectacles. Loin d’idéaliser le genre masculin, les drag kings vont plutôt provoquer l’hilarité générale en tournant au ridicule les traits grossiers d’une virilité exagérée.

La question des genres, Jacky Vallée la connaît par cœur. Né femme, le fondateur de la troupe de drag kings Dukes of Drag est en transition pour devenir physiquement un homme. Son personnage, Duchess Jack, s’amuse avec les sexes. «C’est un rôle ambigu, ni drag queen ni drag king. Il change de genre sur scène; il ¨genderfuck¨.» Ces conceptions de genres sont selon lui encore très prégnantes dans la société. D’où l’importance, à ses yeux, de les disséquer, de s’en moquer et de les montrer comme ils sont: des normes dont il est possible de s’émanciper.

Bienvenue aux straights

Le public qui assiste aux soirées de drag kings est dans l’ensemble formé par la communauté queer, composée de lesbiennes, de gays, de transgenres et de transsexuels. Mais tout le monde est le bienvenu et peut y trouver son compte, assure Nathalie Théorêt. «J’ai fait un spectacle devant une salle composée de femmes et d’hommes straights. Ils ont capoté! Ça m’a vraiment surpris. Les femmes venaient me voir après le spectacle en me disant que leur mari me trouvait dont drôle!» Jacky Vallée, des Dukes of Drag, est aussi de cet avis: sa famille et ses collègues de travail assistent régulièrement à ses spectacles. Straight ou pas, l’important c’est avant tout le plaisir et le rire!

Les drag kings deviendront-ils un jour aussi populaires que les drag queens? Miriam Ginestier, très active au sein de la culture queer, est sceptique. «Les drag kings n’imitent pas des hommes connus. Ils rejoignent donc moins le grand public que les drag queens. Ça va rester au sein de la communauté queer. Ça restera toujours quelque chose d’underground.»

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