Le docteur Driss Reffas, militant pacifiste algérien, a dit: «En éducation, l’exclusion en littérature est un signe précurseur de l’obscurantisme, et si ce dernier envahit l’école, la nation perd ses repères.» Cette citation pourrait tout aussi bien s’appliquer à la crise qu’ vécu le Québec autour de la question du 250e de la bataille des plaines d’Abraham et de la tenue du Moulin à paroles. Cette question dépasse de loin le combat pour le respect de l’identité québécoise. C’est davantage l’expression de la culture de l’ignorance dans laquelle ont sombré autant les partisans fédéralistes qu’indépendantistes.
La bataille des plaines d’Abraham a eu lieu. Les Français l’ont perdue. S’ils ne l’avaient pas perdue, cela n’aurait peut-être rien changé. La France aurait quand même perdu la guerre de Sept Ans et aurait dû céder sa colonie. Que l’on veuille reconstituer la défaite peut blesser les sensibilités, voire tendre vers le masochisme. C’est comme visionner la dernière partie de Patrick Roy avec les Canadiens, où le Tricolore a perdu 11 à 1 contre les Red Wings de Détroit. C’est douloureux, mais ça n’a pas empêché le gardien d’entrer au Temple de la renommée. Et, à ce que je sache, personne n’a jamais demandé à ce qu’on efface cette partie des annales de l’histoire parce qu’on s’était planté…
Le Front de libération du Québec (FLQ) a lui aussi bel et bien existé. Le 8 octobre 1970, son manifeste a été lu en direct à Radio-Canada par Gaétan Montreuil. Ce moment a été le point tournant d’une des périodes les plus violentes et répressives de l’histoire du Québec. Et, même en étant en total désaccord avec les propos extrémistes tenus dans ce texte, le censurer serait choisir d’ignorer la nature de ces événements. Le lire publiquement ne cautionne pas les actes du FLQ, mais permet d’apprendre les circonstances de la mort tragique du ministre Pierre Laporte, kidnappé par les felquistes. Rien de plus qu’apprendre. Et pourquoi apprendre? Car «il faut apprendre pour connaître, connaître pour comprendre, comprendre pour juger», disait Narada, philosophe hindou.
Autant les fédéralistes que les indépendantistes livrent aujourd’hui bataille contre la connaissance de l’Histoire. Ils choisissent arbitrairement les faits dignes d’être soulignés pour qu’ils correspondent à leur vision de ce que devrait être le Québec d’hier et d’aujourd’hui. Peu leur importe que le Québec se souvienne d’où il vient, la commémoration leur sert avant tout à instrumenter la mémoire pour diaboliser l’autre camp. Mais les faits historiques doivent aller au-delà des questions partisanes. Ils doivent être connus pour la valeur même de cette connaissance qui, grâce à sa rétrospective sur le passé, permet de comprendre la société actuelle.
Cette instrumentalisation de l’histoire, d’autant plus inquiétante que, comme le soulignait l’article «Cachez cette histoire que je ne saurais voir!» paru dans Le Devoir des 12 et 13 septembre dernier, les historiens s’intéressant au passé québécois, et particulièrement à la Conquête, sont de plus en plus rares. L’article de Christian Rioux mentionnait qu’il y a de moins en moins de spécialistes de cette période dans les universités et, qu’au cégep, les cours d’histoire du Québec sont à peine suivis par 5% des étudiants. À cette lente dégradation de la perspective historique s’ajoute la refonte du cours d’histoire du 3e et du 4e secondaire qui occulte désormais tout un pan de l’histoire du Québec lié au nationalisme. Le programme est décrié par nombre d’historiens, dont Charles-Philippe Courtois, docteur en histoire et chercheur postdoctoral à la Chaire de recherche en rhétorique de l’Université du Québec à Trois-Rivières.
La devise du Québec est «Je me souviens», une maxime qui devrait constamment rappeler les risques d’oublier le passé. Elle signifie que la mémoire est ce qui définit un individu et un peuple. Vouloir effacer cette histoire serait vouer le Québec à un grand Alzheimer collectif, et la modifier équivaudrait à lui laver le cerveau.
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