Une tête blonde pour l’Université brune

Isabelle Hudon, présidente du conseil d’administration de l’UQAM

Isabelle Hudon a pris la barre d’un bateau à la dérive en acceptant, à l’automne, le poste de présidente du conseil d’administration de l’UQAM. Une décision qui sème la controverse. Curieux de connaître la vision de l’éducation de cette figure de proue du milieu des affaires, Montréal Campus l’a rencontrée en pleine grève des professeurs.

 

 
 
Le conseil d’administration (CA) de l’Université du peuple est dirigé depuis août 2008 par une femme sans diplôme universitaire, ancienne présidente de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain et qui a travaillé pour le feu Parti progressiste-conservateur du Canada. De quoi surprendre. Un peu comme si la porte-parole de Québec solidaire, Françoise David, commandait l’École des hautes études commerciales de Montréal. «Je suis une rebelle, mon parcours est imprévisible», explique Isabelle Hudon.
«C’est l’envergure du défi qui m’a attirée à l’UQAM, j’ai toujours le goût de faire une différence.» Voilà qui en dit long sur le caractère fonceur de la dame de fer, désignée parmi les 100 femmes les plus influentes du pays en 2006 par le Réseau des femmes exécutives.
Isabelle Hudon a été nommée au CA de l’UQAM par le gouvernement du Québec le 14 août 2008. À peine deux semaines plus tard, les membres de l’instance l’ont élue, tel que prévu, présidente. Elle dirige en même temps l’agence de marketing Marketel et siège sur plusieurs conseils d’administration dont ceux de la Société du Havre, des Aéroports de Montréal et de la Fondation des petits trésors de l’Hôpital Rivière-des-Prairies.
 
 
La main invisible au volant
Les professeurs de l’UQAM, qui qualifient la gestion universitaire d’Isabelle Hudon d’«entrepreneuriale», ont réclamé à très forte majorité sa démission lors d’une assemblée générale tenue le 14 avril. Selon eux, elle défend mal les intérêts de la communauté uqamienne. Ils lui reprochent son mutisme et sa méconnaissance des enjeux entourant leur grève. «Isabelle Hudon, qui se dit à l’écoute des « actionnaires » et des « clients » de l’UQAM (ce sont les termes de la présidente), ne comprend ni la culture de notre université, ni sa mission publique», rapporte Jean-François Hamel, professeur au département d’études littéraires.
«Je crois en l’UQAM, en sa personnalité distincte des autres universités et au rôle qu’elle joue pour Montréal», se défend l’accusée. Elle ajoute que «toutes les universités québécoises sont financées par l’État et à ce titre, elles sont toutes publiques».
Si l’UQAM a souvent la réputation d’être un havre d’idéalistes, la présidente du CA adopte une vision très pragmatique de la crise du financement universitaire. «Ça fait mal de voir cette grande blessure qui ne se referme pas, dit-elle en parlant de l’îlot Voyageur. Mais on doit arrêter de s’auto-flageller et prendre les devants.» Elle suggère qu’il faut aller chercher de l’argent là où il y en a, sans exclure le secteur privé. «Je suis contre le désengagement de l’État dans le financement des universités, mais toutes les solutions sont bonnes pour sortir de la crise. On doit faire appel au gouvernement ainsi qu’au secteur privé, aux étudiants et aux diplômés.» Elle propose notamment de mener des campagnes de financement adressées aux anciens étudiants qui, note-t-elle, sont un moyen de financement très prisé dans les institutions anglophones.
Lorsqu’on lui prête des intentions de vouloir arrimer le savoir au service du marché, Isabelle Hudon réplique que ce serait lui en faire porter bien lourd sur les épaules. Cela n’empêche pas l’ancienne directrice des communications chez Bell Canada Entreprises d’appuyer la volonté de la ministre de l’Éducation, Michelle Courchesne, d’augmenter aux deux tiers le nombre de membres externes au sein des conseils d’administration des établissements d’éducation. Le but? Assurer l’efficacité, la transparence et l’imputabilité de ces instances.
La présidente précise qu’«il faut s’entendre sur la définition de « membre externe ». On ne parle pas nécessairement de gens d’affaires. Il faut arrimer les milieux de provenance des administrateurs aux domaines forts de l’université. À l’UQAM par exemple, les programmes d’arts étant forts, il est important d’avoir des membres du milieu culturel au CA.»
Rétablir la confiance de la population et de l’État envers l’Institution est un autre cheval de bataille important. Elle rappelle cependant fièrement que l’Université est allée chercher 465 millions de dollars au gouvernement depuis l’automne, une preuve selon elle qu’il n’a pas perdu tout espoir en l’UQAM.
Et qu’apporte au CA cette femme, qui, trop prise par son travail, a dû abandonner en cours de route son programme de Executive MBA donné conjointement par Mcgill et HEC à l’automne, le seul diplôme universitaire pour lequel elle ait étudié? «D’abord une ambiance. Je t’ai dégelé ça moi, se vante-t-elle. Si on est pour se rencontrer quatre heures par mois, on est mieux de laisser nos manières de côté. Je pense que même en situation difficile, c’est important de garder le sourire et l’humour n’est surtout pas à proscrire.» C’est d’ailleurs pour son côté humain que le recteur Claude Corbo avait proposé sa candidature au poste de présidente du CA à la fin de l’été dernier.
Après plusieurs mois à ce poste, la femme d’action constate et déplore une peur du changement à l’UQAM. «La situation de précarité actuelle déborde des murs de l’Université. Elle s’étend au gouvernement, au pays, et à la planète. Il faut saisir l’occasion de réfléchir au mode de fonctionnement de l’éducation et changer ce qui ne va pas. Il n’y a rien de fatal. C’est sûr qu’il va falloir modifier des choses et il ne faut pas avoir peur de prendre des décisions.»
Regrette-t-elle sa décision de siéger au CA de l’Université du peuple? «Mon plus beau défi, c’est à l’UQAM», répète-t-elle encore. Elle enverrait sans hésitation son fils y étudier. «Ce n’est pas parce qu’il y a eu des erreurs financières que la qualité de l’éducation est affectée pour autant.»

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