Suivre sa voix

Photo: Antoine Rouleau

 

Tour à tour Reine de la Nuit, servante malicieuse ou princesse hindoue, Colette Boky a chanté dans les plus prestigieux opéras du monde. Maintenant professeure de chant à l’UQAM, la soprano québécoise transmet sa passion à ses élèves.


La musique emplit littéralement l’exigu bureau de Colette Boky. Un superbe piano à queue et une harpe géante occupent presque tout l’espace. Installée entre les deux instruments assoupis et une bibliothèque pleine de partitions et d’enregistrements, la soprano semble aussi à son aise que sur les scènes que la Québécoise a foulées partout dans le monde pendant près de cinquante ans.

Rien ne laisse pourtant présager cette carrière plus grande que nature lorsque la chanteuse gagne le populaire concours de talents Les découvertes de la Cire Succès au mois d’avril 1958. Sa carrière est lancée; Colette Boky multiplie les apparitions à la télévision et à la radio. «Elle participe à plusieurs évènements: téléthéâtre, opéras, récitals. Ces évènements étaient très écoutés et très appréciés du public. C’est ainsi que la plupart des Québécois l’ont connue», raconte Mireille Barrière, la co-auteure de la biographie Colette Boky, Le chant d’une femme, paru en septembre aux éditions Triptyque. La jeune chanteuse populaire à la carrière prometteuse enregistre même un 45 tours de chansons de Noël. Pourtant, à vingt-quatre ans,  elle laisse tomber chansonnettes et ritournelles pour se consacrer à sa passion: le chant classique.

 

L’école des planches

Pour parfaire ses talents, l’aspirante cantatrice entre au Conservatoire de musique de Montréal. Colette Boky y développe les deux qualités qui feront sa renommée: un souci de l’excellence ainsi qu’une présence charismatique sur scène. «Je suis un bourreau de travail, mais pour moi le travail n’est jamais pénible. J’adore répéter et j’ai le souci de la perfection. Je ne me contente pas de demi-mesure», explique celle qui a appris à parler allemand, anglais, italien, espagnol et même latin afin d’élargir son répertoire.

Blonde sculpturale, la jeune mannequin devenue soprano souffre toutefois de son image de «tête légère», de son propre aveu. «Ça allait loin parfois! Lorsque j’ai passé mon examen de solfège, qui était très difficile à l’époque, le directeur a accusé les juges de s’être fait leurrer par mon look à la Brigitte Bardot. J’aurais voulu l’assassiner!» Les mauvaises langues devront se raviser quelques mois plus tard lorsque la future cantatrice prouve l’ampleur de son talent, lors d’un concours à Genève. «Pour les deux premières épreuves du concours, le jury ne nous voyait pas, il ne pouvait que nous entendre. On m’a jugée sur ma voix seulement. Ça a été une grande victoire morale.»

 

Le beau risque

L’année 1961 sera déterminante pour la carrière de Colette Boky. En plus de ses études à temps plein, elle cumule les rôles d’épouse et de mère d’une petite fille d’à peine un an, Diane. Un divorce difficile l’amène à prendre un beau risque: celui de passer son examen de sortie après seulement deux ans d’études. Du jamais vu au Conservatoire. «Ça peut paraître un peu précipité comme décision, mais je devais absolument assurer l’avenir de ma fille. J’étais devant un choix: je pouvais tourner les talons et trouver un emploi dans un autre domaine, ou tenter ma chance dans une carrière qui me passionnait et pour laquelle je démontrais des aptitudes.»

Diplôme en main, Colette Boky prend la direction des maisons d’opéras européennes pour se perfectionner. À l’époque, les aspirantes divas se tournent d’abord vers le Vieux Continent, où les institutions sont mieux subventionnées et où les bonnes occasions foisonnent. Un entraînement nécessaire, mais ardu, que la chanteuse aurait préféré subir sans devoir s’exiler. «On n’était pas du tout prophète en son pays, dans mon temps. Il fallait partir à l’étranger, gagner des concours ailleurs et revenir pour prouver qu’on était assez bon pour chanter ici. Les chanteurs devraient être capables de prendre l’expérience chez eux et ensuite de se mesurer à l’international, ce qui serait normal plutôt que le contraire.»

Une fois sur le marché du travail, la jeune mère se voit confrontée, en 1964, à l’un des choix les plus déchirants de sa vie. Pour percer dans ce milieu compétitif, elle se sépare de sa fille de cinq ans. L’enjeu: un contrat de deux ans au Théâtre de Brêmes, en Allemagne. Le regard de la soprano se voile lorsqu’elle évoque son départ. «Le travail m’a sûrement évité de tomber dans une profonde dépression», conclut-elle avec le recul.

Sa décision porte fruit. Au cours des années suivantes, le tempo s’accélère. La soprano québécoise touchera les amateurs d’opéra de Brêmes, Salzbourg, Munich, entre autres. Quand la chanteuse revient à Montréal le temps d’une production, La Belle Hélène, c’est aussi le coup de foudre. Elle craque pour son metteur en scène, le comédien Jacques Létourneau, dont elle partage toujours la vie.

Colette Boky retrouve sa fille en 1967 à New York, où la soprano a décroché un premier contrat avec le prestigieux Metropolitan Opera. Elle y restera près de huit ans. L’interprète de Juliette Capulet et Manon Lescaut garde d’heureux souvenirs de ces années où elle côtoie les plus grands: Placido Domingo, Luciano Pavarotti et même la grande soprano italienne Renata Tebaldi, son idole. Aucune prima donna capricieuse ou vedette intouchable parmi le lot, assure la chanteuse. «Luciano Pavarotti était aussi vulnérable que n’importe qui. Même le célèbre ténor Franco Corelli avait incroyablement peur de monter sur scène.» Quant à Colette Boky, sa biographe confirme que malgré sa carrière impressionnante et son passé de jet-setteuse, la cantatrice a très bon caractère. «Ce n’est pas du tout une Castafiore. C’est une femme très cultivée et pas du tout snob, très accessible.»

 

Transmettre le feu sacré

Après avoir fait vibrer le cœur des amateurs d’opéra partout sur la planète, Colette Boky revient s’installer au Québec. En septembre 1980, elle accepte un poste de professeur de chant à l’UQAM. Malgré sa nouvelle profession d’enseignante, la soprano québécoise ne peut s’empêcher de chanter. Elle donne plusieurs récitals avec l’Orchestre symphonique de Montréal et chante même avec sa fille Diane au Festival de Jazz. Dix ans après son entrée à l’Université, Colette Boky se lance dans la mise en scène. En passant «de l’autre côté du miroir», la cantatrice confirme sa conviction qu’une voix émouvante ne va pas sans une solide présence sur scène. «Il faut être à l’aise sur la scène et démontrer des talents pour le jeu. Sinon, on n’a qu’une très belle voix, mais on reste planté comme un piquet devant le public. Pour ma part, j’avais une facilité pour le jeu et la danse. D’ailleurs, si je n’avais pas été chanteuse, j’aurais sûrement été comédienne.» 

 


Dénoncer haut et fort
Colette Boky a souvent mis sa réputation de l’avant pour faire valoir ses idéaux. Pour protester contre la suspension des activités de la première maison d’opéra québécoise, l’Opéra du Québec, la cantatrice fonde en 1975 le Mouvement d’action pour l’art lyrique du Québec. Avec ses collègues Jacques Létourneau et Joseph Rouleau, elle présente au gouvernement québécois une série de recommandations visant à relancer les institutions culturelles de la province. Lors du référendum de 1980, la star de l’opéra n’hésite pas à s’associer au mouvement du oui, ce qui lui vaut dans la presse anglophone le surnom «The Soprano Separatist».


 

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