Le joyeux extraterrestre

Photo: Jonathan Boulet-Groulx 

 

Au détour d’un café, le visage encore fripé par les excès de la veille, le chanteur montréalais Thomas Hellman a accepté de rencontrer Montréal Campus pour discuter de tout, sauf de son père texan, de sa mère parisienne et de son ambiguïté linguistique. Arrêt sur image avec un bon vivant obnubilé par le temps.


 

La musique de Thomas Hellman, s’il n’ose l’avouer, pourrait très bien être l’écho du temps qui s’égraine. Telle chanson représentant un tic, l’autre un tac, chacune ayant le pouvoir de suspendre les heures… pendant trois ou quatre minutes. Sur son nouvel album, Prêts, partez, le musicien fait jouer sa voix suave au profit de textes qui renouent, sans redondance, avec des thèmes qui lui sont chers: l’attente, la fin du monde et la ville. Lors de son entrevue avec Montréal Campus qui, par un heureux hasard, avait lieu au Café Italia, figé dans une époque depuis longtemps révolue, il s’est plié sans prétention à l’idée farfelue de la journaliste d’analyser ces thèmes à partir d’un dictionnaire des rêves*. Un concept parfait pour le «mood» dans lequel se trouvait le chanteur folk, attrapé entre deux siestes.

Montréal Campus: Le temps semble encore plus présent dans Prêts, partez que dans tes disques précédents. Pourquoi?

Thomas Hellman: Cet album, je l’ai écrit à 33 ans. Je ne suis pas vieux, mais je ne suis pas jeune non plus. J’ai toujours eu une très grande conscience du temps, mais on dirait qu’à cet âge, c’est de plus en plus vrai. Dès que tu as le sentiment de ta propre mortalité et de ta fragilité et que tu as à dealer avec des paroles ou de l’art, tu es obligé de parler du temps. Ça imprègne tout! Je pense que l’art, finalement, naît de cette espèce d’angoisse par rapport à la mortalité, au temps qui passe. Donc oui, je parle beaucoup de temps!

M.C.: Plusieurs de tes personnages attendent quelque chose, comme si une occasion ne s’était pas présentée, où qu’ils attendaient d’y prendre part (rubrique Waiting du guide d’interprétation des rêves). Qu’est-ce que tu attends?

T.H.: J’ai toujours eu l’impression que ma vie n’avait pas encore commencé. Mais en fait, c’est faux! J’ai 33 ans, j’ai fait un bac, une maîtrise et ensuite, j’ai commencé à faire de la musique. Et malgré tout, c’est comme si mon travail n’avait pas encore commencé. Par exemple, quand on parle de mes albums, on me dit des trucs comme «ah, c’est ton album le plus achevé» ou «j’aime moins celui-là que celui-là». Moi, je les écoute, pis j’ai l’impression que je n’ai même pas encore vraiment fait mon album. J’ai l’impression que chaque journée est une répétition pour quelque chose qui s’en vient. Peut-être que ça vient de là, cette obsession du temps.

M.C.: Dans la chanson Prêts, partez, tu dis «Nous irons comme ça jusqu’à la fin du monde», des paroles qui reprennent exactement celles de la chanson La fin du monde de ton dernier album. C’est quoi la fin du monde pour toi?

T.H.: Les chansons La fin du monde et Prêts partez, pour moi, ce ne sont pas des chansons de désespoir, ni de fin du monde. Quand j’ai écrit la première, j’avais une image dans la tête de marins qui quittaient les côtes du Portugal et qui pensaient qu’un moment donné, ils allaient atteindre le bout du monde, qu’ils allaient tomber dans le vide. Ou alors, ils ne savaient pas, peut-être qu’ils arriveraient automatiquement de l’autre côté de l’océan. Ce n’est pas un constat positif du monde qu’on retrouve dans ces chansons-là, mais je voulais surtout qu’on y sente la révolte.

M.C.: Et donc, c’est quoi la fin du monde pour toi?

T.H.: C’est l’apocalypse, la fin de tout, quand tout tombe en morceaux… Mais c’est aussi aller jusqu’au bout de soi-même, au bout du drame, de la comédie humaine, de cette histoire complètement folle dans laquelle on est tous embarqués. (Lecture de la rubrique End of the World) Eh ben! selon ton livre, j’aurais peur que le ciel me tombe sur la tête et je serais complètement fou!

M.C.: Changeons de sujet. Ton album est, encore une fois, très urbain, très nocturne. Es-tu un oiseau de nuit?

T.H.: Je l’ai été beaucoup plus. Maintenant, je le suis moins. J’aime autant le jour que la nuit. Par contre, je suis définitivement quelqu’un d’urbain. J’aime la ville, elle m’inspire. C’est dans la ville que j’écris. Mes personnages sont toujours des personnages de villes.

Et Montréal, c’est là où j’ai vécu toute ma vie, mais c’est aussi la seule ville où je peux vivre mon espèce d’identité complètement schizophrène. Je suis à son image. Montréal est bilingue, éclatée, à mi-chemin entre l’Europe et l’Amérique, comme moi. C’est le seul endroit où je peux me sentir un peu à la maison. Partout où je vais, je suis un étranger. En France, j’ai un accent québécois et au Québec, j’ai un accent français. J’ai un passeport américain, mais je ne suis pas Américain. Je suis un extraterrestre partout. Mais ici, c’est pas grave. Tu peux être un extraterrestre à Montréal.

M.C.: Comme à Montréal, on trouve beaucoup de rues, de ruelles, de trottoirs dans tes textes. Selon le livre, tu aurais à choisir parmi l’univers des possibilités.

T.H.: Ça revient depuis mes toutes premières chansons. C’est toujours le même thème: la vie comme une route. Mais laquelle choisir? Il y en a tellement, comment en sélectionner une? Finalement, on voudrait toutes les prendre.

M.C.: Y en a-t-il une que tu voudrais particulièrement emprunter?

T.H.: Je ne saurais pas comment te répondre. En ce moment, mon album est sorti, je suis une route et je n’ai pas beaucoup de questions à me poser. Mais je pense qu’on n’aboutit jamais, même si on en rêve toujours. Il n’y a jamais d’aboutissement, il y a juste le chemin.

(L’entrevue est terminée, Thomas Hellman s’accroche au livre.)


C’est dommage, je ne me rappelle jamais de mes rêves.

*Eve ADAMSON and WILLIAMSON, Gayle, Dream Dictionnary: The Complete Idiot’s Guide, Penguin Group, New York, 2007, 369 pages.

 

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