«Fuck, Foglia… Relaxe!»

Pierre Foglia, Chroniqueur à La Presse

Photo Jonathan Boulet-Groulx


Pierre Foglia hait donner des entrevues. Les téméraires qui tentent de l’interviewer n’apprennent généralement que le lendemain, dans la chronique du patriarche de la presse québécoise, pourquoi il leur a posé un lapin. Le bougre n’a pas fait faux bond à Montréal Campus

Le triste et fade bureau de La Presse dans lequel Pierre Foglia accueille Montréal Campus est strictement fonctionnel. Peu importe, le chroniqueur de 68 ans a l’habitude de construire sans matériaux ni fla-fla grandiloquent. Sur le néant, il pourrait écrire le monde: «Je travaille dans le rien, dans le détail. Moins y’a de sujet, plus je suis là, plus j’aime ça.»

Qu’il trempe sa plume dans le napalm ou dans l’eau de rose, Pierre Foglia n’est jamais bien loin du personnage de ses chroniques. «Je ne pas jamais semblant d’être fâché, je ne fais pas semblant d’être content, mais en même temps, c’est un show. Une chronique, ce n’est pas la vraie vie.» Et quand l’émotion s’empare du personnage au point de farder sa verve de lyrisme, Foglia se fâche et se convainc d’aller retrouver ses esprits en inhalant les arômes d’une bière calmement sirotée. «Je suis un Latin et les Latins, quand ils entrent dans l’émotion, ils la creusent. Mes textes, c’est souvent la fin du monde. Je me dis fuck, Foglia… relaxe!»

Né de parents italiens déménagés en France avant sa naissance, il se souvient d’un milieu de «crève-faim», mais en conserve d’heureux souvenirs. «Quand je vais dans les hôtels, je passe pour celui qui cruise les femmes de ménage. Je ne peux pas m’empêcher d’aller établir un contact. Ma mère nettoyait des chambres, c’est mon milieu. J’ai besoin de ce lien-là, même si elles en ont souvent rien à foutre, sans quoi je me sens comme un grand con de bourgeois qui paie sa chambre et qui décrisse

Quand le jeune Français est débarqué au Québec, en 1963, un visa d’immigrant à la main, c’était d’abord pour faciliter son entrée en Californie, où ses sœurs l’attendaient. Mais le métier de typographe, dont il est tombé amoureux, est venu changer ses plans. Art défunt lié aux techniques d’impression, la typographie l’a placé au cœur des mouvements syndicaux. «C’est mon métier qui a créé l’anarcho-syndicalisme. Le syndicat de l’imprimerie a été le premier à foutre la merde», se rappelle Pierre Foglia, qui croit toujours aux vertus de la violence syndicale pour faire bouger les choses. Mais loin d’être un soldat de l’ultralibéralisme, le chroniqueur n’a jamais cru à l’absence de pouvoir ou de gouvernement. Il ne se voit pas non plus militer à nouveau, lui qui a déjà travaillé déjà au sein d’organisations politiques, mais sans grande passion. «Je n’avais pas de plaisir et ça paraissait que ça m’emmerdait. Dans les manifestations, j’entendais les gens crier des slogans. Ça me fatigue, les slogans: ”Police, SS, Police, SS!” Fuck, est-ce qu’ils ont déjà vu ça, des SS? C’est des cons, pas des SS.»

L’acronyque
La typographie, qui lui permettait d’être proche des publications de l’époque, l’a naturellement mené à l’écriture. Arrivé à La Presse en 1972, d’abord aux sports, le chroniqueur y a depuis signé pas moins de 2000 chroniques. Le porte-voix de la gauche, et plus timidement de la souveraineté, assure ne pas se sentir étranger dans les bureaux du quotidien conservateur et fédéraliste, quoiqu’il préfère écrire chez lui, à Saint-Armand, en campagne. 

Si d’aucuns vantent sa prose et sa clairvoyance, Pierre Foglia n’est pas un intellectuel. «C’est aussi clair que je ne suis pas Danois! Il y en a qui pensent qu’être intellectuel, c’est de réfléchir plus de deux minutes. Être intellectuel, c’est avant tout de posséder des outils d’analyse. Je n’ai pas les outils parce que je ne suis pas allé à l’école.» En fait, l’autodidacte a fréquenté les salles de cours, mais beaucoup plus tard que prévu, à titre de chargé de cours en journalisme, à l’UQAM. «J’y ai enseigné ce que je n’ai jamais appris, ou plutôt ce que j’ai appris différemment», remarque celui pour qui l’école est le noyau de tout changement.

Plusieurs se trompent aussi en qualifiant Pierre Foglia d’écrivain, faute d’œuvres de fiction à sa bibliographie. Il est chroniqueur, point. Et heureusement pour ses lecteurs qu’il en vive, sans quoi il délaisserait sans doute la plume par manque de motivation. «Écrire, en général, c’est rough. Le plaisir est court par rapport au travail. C’est un plaisir parfois, mais une souffrance souvent.» 

En dixième vitesse
À l’antipode de l’écriture, plutôt tourmentante, le vélo de route se dresse en libérateur. «C’est bon pour tout, mais surtout pour la tête.» Tellement bon que ses premières blondes ont inévitablement été confrontées à la question fatidique: «Tu roules-tu, criss?» Négatif? «Suivante», blague celui qui est fiancé et père de deux enfants. Outre son amour pour le vélo, une manie viscérale le porte dans les livres: c’est sa nature d’épier tous les caractères qui lui glissent sous la main. Et plus la main prend des rides, plus elle tourne les pages de lectures nombreuses et soigneusement choisies, pour lui permettre d’oublier que la Faucheuse aiguise tranquillement sa lame. «Mourir, ça me fait chier, surtout que je ne crois en rien. J’ai peur du passage, j’ai peur de mourir, de mal mourir, de pas être fin, de paniquer, de manquer de dignité: j’ai peur de tout.» Peur aussi d’être oublié? «Pas du tout. Je me câlisse de l’héritage, ce n’est pas important. Ce qui est important, c’est si pendant le temps qu’on est là, on a fait du bien. Et ça, ça ne se calcule pas aux traces que ça laisse, mais plutôt par la somme de petites actions.»

À 68 ans, Pierre Foglia n’a pas de temps à perdre. Bien qu’il ait été d’une grande générosité, l’entrevue qui s’étire le lui rappelle. Son bâtonnet de café, abondamment manipulé par ses doigts frêles, ressemble maintenant à un chiffon. Un tic gestuel qui sert peut-être d’exutoire à son envie de foutre le camp dans un roman de Charles Bukowski ou à vélo sur une route bordée de feuillus. «C’est fini, là?» demande-t-il. Allez vieux, on a compris.

 

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