La grande désillusion


Je nous voyais tous réunis, le 26 mars dernier, entassés les uns sur les autres au Théâtre Saint-Denis. Feu aux joues, foulard orange autour du cou, nous scandions notre appartenance à cette maison de paille qu’est l’UQAM. Parmi tous les témoignages livrés au micro ce jour-là, un seul m’est resté en mémoire. J’ignore le nom de celui qui l’a prononcé, mais qu’il n’hésite pas à se manifester si mes propos lui déplaisent aujourd’hui.
Il avouait fièrement être le premier universitaire de sa famille: un universitaire de première génération. Il déclarait sa fierté envers cette éducation qui semblait pour lui la plus grande des richesses. Ses idéaux étaient nobles, purs, voire naïfs. L’université telle une fontaine de connaissances auxquelles tous peuvent s’abreuver; une fontaine de jouvence qui ravive les cœurs et ouvre les esprits. Je méditais ces paroles, moi aussi pleine d’espoir, quand le doute m’a envahie. Alors que j’étais absorbée par l’idéalisme juvénile de l’orateur, le fatalisme s’était sournoisement immiscé dans mon esprit.
Je suis également une universitaire de première génération. Mes parents ont eu des diplômes collégiaux, même plus d’un, mais n’ont jamais été sur les bancs de la grande école. Dans mon patelin – je vous ai déjà parlé du village de Cap-aux-Os dans une de mes précédentes chroniques – un diplôme universitaire est l’exception et non la règle. Très jeune, mes parents m’ont expliqué que l’université, c’était le Salut, le Succès, l’Avenir –  avec un grand «A» comme dans «Avocat» ou «Astronaute». On ne m’a surtout pas expliqué que ce n’était pas la Joie – comme dans «Journaliste»…
On m’a menti, sûrement pour mon bien, sûrement parce que mes parents étaient convaincus de ce qu’ils disaient. On m’a juré que l’université m’éviterait de devenir pompiste, ou caissière à l’épicerie du coin. Et aujourd’hui, je me sens trahie. Je me rends bien compte que mon diplôme ne m’empêchera pas de passer le reste de mes jours à pianoter le prix d’un litre de lait sur un clavier, mais avec beaucoup plus de dettes que si je n’avais jamais fait un long détour par l’UQAM.
Je vous entends m’accuser de cynisme, de pessimisme. Mais ce n’est pas seulement moi qui vois la vie en noir, c’est toute l’économie. Le Canada a perdu 295 000 emplois en quatre mois, faisant grimper le taux de chômage à 7,7% en février. Chez les jeunes (15 à 24 ans), celui-ci a atteint 14,2% le même mois, c’est presque le double! Si l’on observe la croissance de l’industrie, aucun secteur d’activité ne semble avoir été épargné, à part le commerce de détail (caissière, je vous l’avais dit!), l’agriculture et les pêches, puis l’éducation…
Ne me reste donc plus que deux options… Comme je ne me sens nullement l’âme à cultiver la terre, aussi bien continuer à me cultiver l’esprit. Puisque l’éducation tient la barre, je reste sur les bancs d’école. Tant qu’il n’aura pas touché le fond, coulé pour de bon, je ne quitterai pas le navire pour aller joindre la masse des naufragés, que je verrai bientôt patauger dans la mer vide d’emplois. Et comme aucun domaine ne semble épargné par l’incertitude de la crise, pourquoi donc choisir une discipline productive concrète, pratique? Aussi bien continuer dans cette folie, pour mon prochain diplôme, je choisis: la littérature!

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