Finis les napperons poussiéreux de mamie, brodés au point de croix. La jeune génération prend la relève et redonne fraîcheur et créativité au milieu du textile. Un monde peu connu où poumons en dentelle et chaussettes de tennis en plâtre côtoient des bas reprisés avec du poil de chien.
«C’est facile d’imprimer un t-shirt, tout le monde peut le faire!» Ce genre de phrase donne l’urticaire aux cinq finissantes du Centre design & impression textile de Montréal. «Les gens ne comprennent pas l’implication que l’on a dans le processus», expliquent-elles. Ce sont la patience, la minutie et l’ingéniosité des créateurs qui donnent vie à un banal tissu uni. Dans le domaine du design textile, chaque pièce est unique, faite à la main. «On travaille sur l’impression textile, les techniques pour appliquer colorants et produits chimiques sur le tissu», explique Danny Gauthier, directeur adjoint du Centre, en déambulant entre les longs établis et les presses des ateliers de création.
Au Centre des textiles contemporains de Montréal, deuxième lieu de formation collégiale lié à la fibre et au tissu dans la métropole, les métiers à tisser et bobines s’étendent à perte de vue. «Ici, les élèves apprennent à créer un tissu à partir du fil. Ils sont dans une démarche artistique et de recherche, pour développer leur propre langage, ce qui n’est pas nécessairement possible dans une grande industrie», explique Étienne Proulx, le directeur des communications. Fils à la main, pédales aux pieds, les apprentis donnent vie avec dextérité au métier à tisser pour créer leurs modèles. «Les étudiants travaillent dans une approche artisanale, où le savoir-faire est important, mais aussi le savoir-dire: exprimer quelque chose à travers ses créations.»
Détournée de ses usages habituels, la création textile ouvre de multiples horizons artistiques. C’est ce que met en avant Diagonale, le Centre des arts et des fibres du Québec, où était présentée, du 7 au 21 mars, l’exposition Reprisé au coton/Darn! Au menu, les œuvres de treize artistes issus de la faculté des Beaux-Arts de l’Université Concordia. Avec le textile pour sujet et matériau de création, les étudiants ont donné naissance à des œuvres loufoques, comme un flip book montrant une femme qui manipule un crochet géant, ou des œuvres angoissantes comme The Blanket où une couverture devient le seul objet de réconfort d’un personnage imaginaire en détention. Et puis des œuvres douillettes, comme Lungs, qui représente des poumons en feutre dotés de veines en dentelle, ou humoristiques, comme des bracelets faits à partir de chaussettes de tennis en plâtre.
«On ne fait que de l’art actuel, explique la directrice de Diagonale, Stéphanie l’Heureux. On parle du textile au sens large, au-delà du fil et du tissu. Il est utilisé comme un matériau porteur de sens, en rapport à l’éphémère, l’usagé, la fragilité.»
Le travail du textile demeure cependant un art dont les débouchés sont plutôt rares. Certains diplômés de ce domaine travaillent au Cirque du Soleil, d’autres impriment des vêtements pour des petites compagnies ou créent des tissus pour des artistes. «C’est un milieu qui commence à être reconnu, les admissions augmentent chaque année, explique Danny Gauthier du Centre design & impression textile. Au Canada, il n’y a pas de culture du tissu comme en Europe, même si un récent retour aux produits plus locaux est apparu, à cause de la mondialisation.» Ceux qui se sont fait un nom dans le métier se comptent sur les doigts d’une main.
«Le milieu de l’art textile est très angoissant, confie Emmanuelle Dion, une finissante du Centre design & impression textile. Soit on travaille au Cirque du Soleil, soit on crée une compagnie, mais ce n’est pas facile de concilier la recherche de contrats et la production.» «Ceux qui restent sont passionnés», confirme sa professeure, Nathalie Tremblay, attablée avec ses élèves. «Beaucoup de finissants deviennent professeurs ici!» répond en riant la tablée des cinq étudiantes de dernière année. Que des étudiantes, pas d’étudiants: les rares spécimens masculins à s’être aventurés dans le programme n’ont pas terminé leur formation. «La fibre, c’est plus féminin», tente d’expliquer Nathalie Tremblay. «C’est un domaine qui vient de l’héritage des grands-mères», justifie Étienne Proulx, qui a lui-même étudié en arts visuels et en gestion des arts.
Le mois de la fibre au Québec
En avril prochain, le Centre design & impression textile, le Centre des textiles contemporains de Montréal et Diagonale participeront au premier mois de la fibre au Québec, un évènement qui a pour but de faire connaître ce domaine peu médiatisé. Au programme de cette biennale: des conférences, des expositions et une intervention dans la rue, où des poissons d’avril en tissu seront remis aux passants.
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