Petit zizi à l’index

Photo: Marie-Dominique Asselin

 

En 2008, certaines œuvres littéraires pour la jeunesse sont encore bannies des bibliothèques scolaires sous prétexte que les thèmes qu’elles abordent sont dérangeants et déplacés. Parmi elles, un roman de l’auteure renommée Élaine Turgeon, Ma vie ne sait pas nager.


Élaine Turgeon, auteure jeunesse et pédagogue, s’est démarquée en 2006 lorsque son premier roman pour adolescents, Ma vie ne sait pas nager, a été publié. Ce roman traitant du suicide d’une adolescente a fait beaucoup parler, au point d‘être retiré de certaines bibliothèques scolaires de la Rive-Sud de Montréal. Ce phénomène surprenant est en fait beaucoup plus répandu qu’il ne le semble. Présente partout dans le monde, la censure dans la littérature jeunesse se fait toutefois discrète. «Cette censure est toujours faite en aval de l’édition. C’est du cas par cas. On ne censure pas un livre à grande échelle. C’est généralement un enseignant ou un parent qui n’approuve pas une œuvre littéraire et la fait retirer des rayons de la bibliothèque scolaire», affirme Manon Richer, professeure de littérature jeunesse à l’UQAM. 

 

Les œuvres mises de côté sont souvent celles qui abordent des propos plus sérieux que ceux habituellement traités dans les livres jeunesse, tels le suicide, le sexe, la drogue, mais aussi ceux qui touchent à la mort, à l’homosexualité ou à la guerre. C’est pour protéger l’enfant de ces réalités difficiles que certains individus sensibles à ces thèmes préfèrent lui suggérer d’autres lectures. «On ne comprend pas le rôle de la littérature, il y a beaucoup de préjugés envers elle», explique Manon Richer. «Aucun auteur ne parle de suicide pour inciter ses lecteurs à le faire. Si un auteur écrivait Allez donc tous vous tuer, le livre ne serait jamais édité!»

 

Pour Josiane, professeure de première année au primaire, le problème ne réside pas tant dans les thèmes abordés que dans l’âge des enfants lecteurs. En tant que seule responsable de la bibliothèque de son école, elle a pris connaissance de tous les livres qui s’y trouvent. «Le problème, c’est que les enfants ont le droit de choisir n’importe quel livre parmi tous ceux de la bibliothèque. Un enfant de sept ans peut donc choisir un roman qui conviendrait mieux à un élève plus vieux. Mais comme les enseignants n’ont pas tout lu, ils ont souvent de la difficulté à conseiller leurs élèves.»Pour cette raison, Josiane doit quelques fois retirer certains livres des étagères. «Ça a été le cas des Chevaliers d’émeraudes. Le livre est tellement populaire que tous les enfants veulent le lire, même les plus jeunes. Il y a pourtant une scène d’amour plutôt explicite que je trouve déplacée pour un lecteur enfant simplement parce qu’il n’est pas rendu là dans son cheminement personnel.»

 

Si la littérature pour adolescents semble soulever beaucoup de questionnements, c’est la littérature pour enfants qui remporte la palme d’or de la censure. Un des cas les plus connus au Québec est celui de l’album pour enfants de quatre à huit ans Petit zizi, de Thierry Lenain, illustré par Stéphane Poulin. Sur le thème de la sexualité masculine, Petit zizi apprend aux jeunes garçons que la taille de leur «zizi» n’a aucune importance. En raison de son thème sexuel et de ses illustrations, cet album en a dérangé plus d’un, même s’il ne s’agit que de petits garçons qui jouent à faire pipi le plus loin.

 

Censure ou autocensure

Dans sa thèse de doctorat, Jean-Denis Côté aborde la littérature jeunesse de manière à la fois littéraire et sociologique. Il y constate que les oeuvres destinées aux plus jeunes ne jouissent pas d’une grande liberté devant les pressions exercées par les institutions scolaires.«Les auteurs et les éditeurs ont tendance à rendre leurs textes conformes à la rectitude politique pour percer le marché des écoles», explique-t-il dans sa thèse.

Le docteur en littérature donne l’exemple de l’auteur jeunesse Jean-Michel Schembré, qui a écrit les Citadelles du Vertige. À la demande d’une directrice de collection qui anticipait la mauvaise réaction de certaines commissions scolaires, l’auteur a dû remplacer le mot «sexe» par le mot «corps» dans un de ses livres. C’est ce que Jean-Denis Côté appelle de l’autocensure. Manon Richer, elle, a une tout autre vision du phénomène. «Ce n’est pas de l’autocensure que pratiquent ces auteurs, mais plutôt de l’adaptation.  Il faut être capable de s’adapter à son lectorat, surtout aux enfants qui sont encore en développement.»

Pascale Grenier, responsable du Centre québécois de ressources en littérature pour la jeunesse et bibliothécaire à la Grande bibliothèque, croit plutôt que la censure n’a pas sa place dans son milieu de travail. Se considérant comme une médiatrice entre l’enfant et le livre, elle parle plutôt de sélection. Une sélection guidée par notre système de valeur et qu’il ne faut pas remettre en question. «Il faut sans cesse se rappeler pourquoi nous faisons cela: pour les jeunes!» dit-elle avec passion.  La bibliothécaire est d’avis qu’il faut guider les jeunes, mais leur laisser l’occasion de lire ce qu’ils veulent, sans les brimer, même si les œuvres choisies sont plus difficiles.

 
Ici et ailleurs

Si certains auteurs s’adaptent bien à la demande des maisons d’édition québécoises, ce n’est pas toujours le cas lorsque leurs œuvres traversent les frontières. Rotraut Suzanne Bernier,  auteure et illustratrice allemande d’albums pour enfants, devait être publiée chez nos voisins du sud.  L’éditeur responsable de sa publication a toutefois exigé qu’elle retire de son livre un de ses dessins présentant la statue d’un petit bonhomme nu. 

 

L’appendice, mesurant quelques millimètres, dérangeait énormément l’éditeur américain, au point qu‘il refusait  de publier avec cette image. Rotraut Suzanne Bernier refusa catégoriquement ce compromis disant qu’elle ne voulait pas de cette censure. Comme quoi, même si la censure frappe sans discernement, le dernier mot revient tout de même aux auteurs.

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