Révolution cathodique

Le quotidien d’Huguette et Roger est rythmé avec la régularité d’une horloge suisse par une enfilade de «programmes» au petit écran. Sept heures: réveil agrémenté des calembours des joyeux lurons de Salut Bonjour. À 11 heures, c’est sur The Price is Right que se porte l’attention des octagénaires. Mais c’est à 19h30, avec la Poule aux œufs d’or – émission la plus écoutée des Québécois, bon an mal an – que culmine la journée de ces grands-parents modèles, alors que la majorité de leur cinquantaine de postes est demeurée intouchée.


Comme Huguette et Roger, une proportion considérable de téléspectateurs québécois est prête à dénouer les cordons de la bourse pour qu’on la divertisse. Selon le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC), près de 80% des foyers canadiens paieraient pour être branchés au câble. Les statistiques ne précisent toutefois pas que beaucoup d’entre eux sont poussés à investir dans des chaînes spécialisées qu’ils n’écoutent jamais, victimes des forfaits rigides offerts par les distributeurs de câble.

Dans ses nouvelles politiques pour le système canadien de radiodiffusion publiées le 30 octobre, l’organisme fédéral pose les bases de la révolution numérique qui devrait remédier au problème. La date butoir de ce lifting télévisuel coïncidera avec la fin de la diffusion analogique au Canada, le 31 août 2011. Au menu, une «souplesse accrue», en particulier lors de l’assemblage des canaux, ce qui devrait permettre au téléspectateur de ne payer que pour les postes qui lui conviennent.

Le concept de l’utilisateur-payeur rendra sans doute la vie beaucoup plus difficile à certains télédiffuseurs privés, qui devront se battre pour s’imposer dans un marché de plus en plus saturé. Mais le virage était inévitable, la télévision devant composer avec la concurrence de la webtélé, un médium beaucoup plus flexible et surtout, gratuit.
Encore embryonnaire en 2006 lorsque le phénomène des Têtes à Claques a révélé son existence à la face du monde, la télé sur Internet est depuis entrée dans les habitudes des jeunes téléspectateurs. La génération Facebook se concocte grâce à elle une programmation télévisuelle sur mesure, le temps d’un «clic».

Au royaume du téléchargement, toutes les séries dramatiques, les dessins animés de la télévision traditionnelle – sans oublier le contenu exclusif de sites comme Le cas Roberge, ou Bombe.tv – sont à portée de souris. Depuis peu, ceux qui le souhaitent peuvent même visionner après leur diffusion certains reportages et bulletins de nouvelles.

 

Cet automne, pour la première fois, la chaîne spécialisée Artv pousse l’expérience plus loin en offrant en version intégrale sur le Web la quatrième saison de l’excellent Mange ta ville, quatre mois avant qu’elle ne soit diffusée à la télévision. Pour Éric Morin, le réalisateur du magazine culturel animé par Catherine Pogonat, il était naturel que Mange ta ville vive d’abord sur Internet.«C’est une émission que je conçois par blocs et qui peut donc être vue en sections. Ce format se prête très bien au web parce qu’il peut être diffusé de deux façons: en version intégrale, ou par thèmes», explique-t-il. Filmée à l’avance et traitant de sujets plutôt intemporels, des «instantanés de ce qu’était Montréal à une certaine époque», Mange ta ville ne devrait pas souffrir de «brûlage de scoops», estime Éric Morin.

L’initiative a pour le moment piqué la curiosité de plusieurs critiques télévisuels, mais aucune chaîne majeure ne semble envisager de reproduire le procédé. Internet, pour le moment, n’attire qu’un public cible très limité, mais donne une bonne idée de ce que pourrait être une offre adaptée au besoin de ses adeptes. En attendant, la télévision traditionnelle n’a rien à craindre de la webtélé… à moins bien sûr que la Poule aux œufs d’or n’y fasse son nid!

www.mangetaville.com

culture.campus@uqam.ca

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