Parent pauvre et langue de bois

En politique, lorsqu’il est question de répartition du budget, la culture fait toujours figure de parent pauvre. Cette année ne faisant pas exception à la règle, le sort s’est acharné sur la communauté artistique pancanadienne, qui s’est vu retirer, au courant du dernier mois, près de 23 millions de dollars de subventions fédérales.


 

 

Cet argent, réparti adéquatement grâce à des programmes comme Routes commerciales et Promotion des arts (Prom’art), permettait à nos artistes d’aller se faire voir ailleurs sans se mettre à la rue. Grâce à l’encadrement d’instances compétentes et expérimentées, les bénéficiaires expatriés devenaient des ambassadeurs inestimables pour le Canada. Malgré cela, Routes commerciales, son corollaire issu du ministère des Affaires Étrangères et du Commerce international, Prom’art, ainsi qu’au moins cinq autres programmes mineurs seront, sauf avis contraire, abolis en mars 2009.
Pour la compagnie de danse moderne Flak, dirigée par le chorégraphe montréalais José Navas, les subventions allouées par Prom’art faisaient réellement une différence. Les voyages ne sont pas un caprice pour les troupes de danse locales, dont la survie est littéralement dépendante des représentations outre-mer, comme me l’a expliqué le directeur administratif de Flak, Guillaume Bard.
Le rayonnement à l’étranger des artistes québécois et canadiens n’est donc pas qu’une question de fierté nationale ou d’ego. C’est l’exil définitif à l’étranger, voire la disparition de ces ressources culturelles que l’on prévient en leur permettant de profiter du bassin de public européen.
Confrontée à l’absurdité de ces coupures, la ministre du Patrimoine Canadien, Josée Verner, invoquait le manque de rendement des programmes abolis pour justifier les saignées majeures des dernières semaines. Mme Verner s’est bien défendue d’abandonner la culture à son triste sort: selon elle, Prom’art et Routes commerciales seront vraisemblablement remplacés par d’autres programmes plus rentables et moins coûteux. Le tout servant, bien entendu, «le meilleur intérêt des Canadiens».
Le directeur général du Théâtre des Deux Mondes, Pierre Mac Duff, ne croit pas un mot des excuses de Mme Verner. «En 2006, le gouvernement menaçait déjà Prom’arts de coupures majeures, toujours en vertu des mêmes raisons. En réponse au tollé que ça a provoqué dans la population, des études ont été menées et toutes ont conclu qu’il s’agissait d’un programme bien géré, dont le seul défaut était de ne pas être assez financé. Et au lieu d’augmenter les investissements, on annonce leur coupure totale… On nous prend pour des valises.»
Il faut dire que le Théâtre des Deux Mondes, comme plusieurs théâtres jeune public québécois, nombre de troupes de danse et quelques éditeurs de partout au Canada, tire lui aussi une bonne partie de son revenu de ses tournées internationales. Des tournées qui rapportent aux contribuables canadiens bien plus qu’elles ne leurs coûtent, estime M. MacDuff. Ce retour d’investissement demeure toutefois méconnu du public mal informé, qui voit trop souvent dans le poste budgétaire de la culture un gouffre financier sans bénéfice concret.
Devant un énième désengagement de la politique envers le culturel, les artistes d’ici et du reste du Canada n’ont pas l’intention de rester les bras ballants. Comme en 2006, la résistance s’organise afin de faire reculer le gouvernement sur sa position avant que l’échéance funeste de mars 2009 ne soit atteinte. Une résistance économique, visant à préserver les quelques deniers publics alloués à la culture, mais aussi idéologique, pour montrer au reste du monde que le Canada n’a pas encore tout à fait renié son «parent pauvre».

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