Liens entre les associations étudiantes et les altermondialistes
ENQUÊTE EXCLUSIVE: Les mouvements altermondialistes entretiennent des liens avec la gauche étudiante depuis le début des années 2000. Chaque année, des milliers de dollars en cotisations étudiantes sont versés sous forme de commandites à des groupes de pression dont les activités sont souvent méconnues de la communauté étudiante. Le présent dossier est le résultat de plusieurs mois d’enquête menée auprès du mouvement étudiant et de groupes altermondialistes.
La leçon d’anarchie
15 mars 2009. Des centaines de gens manifestent contre la brutalité policière à Montréal tandis que les forces de l’ordre les talonnent. Aux bulletins du soir, des milliers de téléspectateurs voient les images de l’affrontement, soldé par l’arrestation de 198 personnes. Très peu savent que la manifestation a été financée en large partie par des associations étudiantes.
«Les liens se créent dans la rue», explique Maxime Cardinal-Lemieux, 19 ans. L’an dernier, l’étudiant au Cégep du Vieux-Montréal était responsable général de son association, l’Association générale étudiante du Cégep du Vieux-Montréal. Au cours des trois dernières années, son syndicat a fait don de près de 6000 dollars à diverses organisations de gauche. Il voit dans la coopération du mouvement étudiant avec des groupes comme le Collectif opposé à la brutalité policière (COBP), organisateur des manifestations annuelles du 15 mars à Montréal, un échange de bons procédés. «Nous utilisons leurs ressources et leur matériel d’information, donc nous les finançons.»
Mêmes valeurs, même lutte. La très combative Association facultaire des Sciences humaines de l’UQAM (AFESH) n’a jamais masqué la forte orientation altermondialiste de ses revendications: gratuité scolaire, démocratisation des institutions scolaires, féminisme, lutte contre l’oppression, etc. «Certaines causes que défendent des groupes anarchistes rejoignent nos positions, reconnaît François Desrochers, secrétaire aux affaires internes de l’AFESH. Mais c’est aussi le cas de groupes sociaux plus modérés.» Par exemple, la bibliothèque anarchiste DIRA, boulevard Saint-Laurent, a reçu 500$ de l’AFESH à l’hiver 2009. Elle avait obtenu le double à l’automne 2007. Cette bonne entente ne semble pas être une mode passagère. «Nous pouvons remarquer dans le milieu contestataire étudiant une tendance anticapitaliste depuis le Sommet des Amériques à Québec en 2001 et un courant antimilitariste depuis que le Canada est en Afghanistan», indique une source policière bien informée.
Dans un article du Montréal Campus datant du 27 novembre 2000, un ancien responsable de la défunte association interfacultaire de l’UQAM alarmait ses pairs quant aux décisions prises dans les assemblées générales. «Ç’a pris trois rencontres pour que la création d’un comité de vandalisme (des publicités sur le campus) doté d’un budget de 1000$ n’entre pas dans notre plan d’action.» L’article précise qu’en revanche, «une assemblée générale de 50 personnes a engagé l’association déficitaire à verser une telle somme aux organisateurs d’une manifestation contre la brutalité policière».
À l’AFESH, comme dans plusieurs autres associations universitaires, le mode d’attribution des bourses relève d’une plénière intermodulaire (PIM), une assemblée composée d’un représentant de chacun des programmes de la faculté à laquelle assiste un représentant de l’exécutif. «Certains de nos membres font partie de mouvements sociaux et de groupes anarchistes, c’est certain, admet François Desrochers. Mais on ne peut pas affirmer que la PIM leur octroie des bourses en fonction de ça. Les gens qui siègent à la PIM ne sont pas sur les mêmes réseaux.» Sur les 18 programmes représentés par l’AFESH, seulement cinq doivent être présents pour que la plénière tienne séance. François Desrochers assure que les décisions sont prises en fonction de critères préétablis comme la viabilité et la clarté du projet et la similarité de ses principes avec ceux de l’AFESH. Néanmoins, les membres du comité exécutif peuvent accorder à des mouvements sociaux des petits montants qui dépassent rarement 500$.
Beaucoup de dons, mais peu de réponses
Après la mort de Freddy Villanueva et les émeutes de Montréal-Nord en août 2008, des militants ont créé la Coalition contre la répression et les abus policiers (CRAP), qui inclut notamment le Collectif opposé à la brutalité policière et Montréal-Nord Républik. Les étudiants du Vieux-Montréal ont versé la somme de 2300$ à la CRAP et au Collectif opposé à la brutalité policière (COBP) en deux ans. Les montants d’argent sont votés tantôt en assemblée générale, tantôt entre les membres de l’exécutif. Fin janvier 2009, Mathilde Létourneau, responsable à l’information de l’Association générale étudiante du Cégep du Vieux-Montréal, propose au bureau exécutif une subvention de 800$ au COBP en vue du 15 mars 2009. Une semaine après, les membres réunis en assemblée générale se sont prononcés en faveur de ce groupe. Mais aucune mention du don accordé quelques jours plus tôt n’a été inscrite dans le procès-verbal de l’assemblée qu’on peut lire sur le site Internet de l’association. Mathilde Létourneau a accepté la demande d’entrevue du Montréal Campus, mais ne s’est pas présentée au rendez-vous et n’a pas répondu à notre seconde invitation.
En janvier 2008, Gabrielle Provost, alors exécutante à l’Association générale étudiante du Vieux-Montréal, a proposé un don de 500$ au Collectif opposé à la brutalité policière devant environ 40 étudiants en toute fin d’assemblée. Selon une source qui a côtoyé l’ancienne étudiante durant ses années de militantisme au Vieux-Montréal, Gabrielle Provost aurait été membre de ce groupe, une allégation que la principale intéressée a niée, refusant cependant toute forme d’entrevue et dénonçant du même souffle les mauvaises intentions derrière cette enquête.
En visite au local de l’AFESH pour recueillir davantage de renseignements, le Montréal Campus est tombé sur un document divulguant l’octroi d’une bourse de 500$ à la CRAP et au COBP à l’hiver 2009. Ces sommes anodines représentent beaucoup pour des organisations qui disposent de peu moyens. «Nous sommes un petit collectif, nous n’avons pas les mêmes moyens qu’un syndicat», reconnaît le porte-parole du COBP envoyé pour répondre aux questions du Montréal Campus…un certain Francis Dupuis-Déri, spécialiste en mouvements sociaux et altermondiallisme, en plus d’être professeur au département de Sciences politiques de l’UQAM. «L’article ne porte pas sur moi, n’est-ce pas?», s’enquiert-il à quelques reprises au cours de la rencontre.
Si l’argent est rare dans des groupes comme la CRAP et le COBP, ses représentants devraient être au courant des dons reçus. Or, les principaux bénéficiaires se sont montrés avares de commentaires quant à leur financement. «Je ne sais pas», répond tout simplement Francis Dupuis-Déri. Du bout des lèvres, il admet que «des fois, on reçoit de l’aide de groupes, d’associations étudiantes, je ne sais pas… Pis je ne sais pas qui a fait les demandes, ni quand, ni combien.» Toutefois, des procès-verbaux de l’AGECVM – tous accessibles sur Internet – font mention des différents dons. Le groupe n’a pas répondu aux autres courriels de Montréal Campus pour entrer en contact avec la personne responsable du financement.
À l’hiver 2009, le Collectif du 1er mai anticapitaliste demande une subvention de 1000$ à l’AGECVM et de 500$ à l’AFESH. Le document, obtenu sur le site Internet de l’AGECVM, précise que le collectif, parmi lequel figurent le Parti communiste révolutionnaire et le COBP, prévoit dépenser 1900$ pour la manifestation, dont 400$ en prévision des frais juridiques. Lors de sa visite au local de l’AFESH, Montréal Campus a appris que l’association avait accordé au collectif la totalité de la somme demandée à l’hiver 2009. Le bureau exécutif de l’AGECVM, en réunion le 30 mars 2009, a voté une subvention de 500$ et un compte photocopieuse. Sophie Sénécal, du collectif du 1er mai anticapitaliste et également membre de la CRAP, était présente à la réunion en tant qu’observatrice. Elle a refusé toute demande d’entrevue.
Stupeur et tremblements
Alexandre Popovic est l’un des militants dont les groupes bénéficient le plus souvent des générosités des syndicats étudiants revendicateurs. Pique-assiette en chef lors du fameux Commando-bouffe à l’hôtel Reine-Élizabeth en 1997, il a fondé le COBP la même année. Depuis 2008, il est porte-parole de la CRAP. Alexandre Popovic est resté sur ses gardes lorsqu’il a reçu une demande d’entrevue, comme a pu le constater Montréal Campus dans un message publié dans les premiers jours de septembre sur une liste d’envoi entre militants. Après une critique en règle de la demande d’interview, il poursuit: «J’ai appris que [Montréal Campus] avait contacté d’autres groupes, […] Le problème, c’est qu’il semblerait que [leur] “journaliste” s’objecte à ce que des cotisations étudiantes servent à financer des activités qu’il qualifie de “non-étudiantes” […] j’estime qu’il s’agît-là d’une situation problématique qui pourrait porter préjudice à nos intérêts ainsi que mettre certains alliés du milieu étudiant dans une situation possiblement inconfortable, en particulier si la droite étudiante décide de se mobiliser autour de cette question. […] le but de ce message est aussi d’alerter nos alliés.»
Contacté par téléphone à son domicile après la diffusion de ce courriel, Alexandre Popovic s’est montré peu enclin à aborder la question du financement de la CRAP. Sans pouvoir identifier qui s’en chargeait au sein de la coalition, il a insisté pour que toute entrevue soit précédée d’une liste de questions. «Les associations étudiantes disposent de budgets précis destinés à appuyer différentes sortes de projets, et c’est à elles de décider où doit aller cet argent», a-t-il répondu par courriel et refusant toute autre forme d’entretien.
Averti par des gens du milieu de ne pas répondre à nos questions, Maxime Cardinal-Lemieux, ancien responsable général de l’Association générale étudiante du Cégep du Vieux-Montréal, a accepté tout de même de rencontrer Montréal Campus dans les bureaux de l’association collégiale. «En tant que groupe contestataire, indique-t-il, on subit la brutalité de la police, utilisée comme outil de répression des mouvements sociaux.»
Démocratie défaillante
L’entrevue est subitement interrompue par l’arrivée d’un militant endurci du Vieux-Montréal, Ousmane Thiam, qui vient s’asseoir près de Maxime Cardinal-Lemieux. Il affirme être au courant de l’enquête de Montréal Campus et demande d’une voix sèche à l’étudiant quelles questions lui ont été posées. Ousmane Thiam accuse Montréal Campus de faire de la magouille et de mentir. La lèvre inférieure et les mains de Maxime tremblent. Le militant prend à part le jeune homme. Les deux reviennent deux minutes plus tard. Maxime a l’air abattu. L’entrevue se termine. Au cours de cette étrange rencontre, Ousmane Thiam a soutenu être membre de la CRAP et l’ami d’un certain David Simard, présumé leader d’un groupe anarchiste, Hors-d’œuvre (HO).
Des groupes anarchistes présents dans le mouvement étudiant, Hors-d’œuvre (H0), est sans doute l’un des plus virulents. «Ses membres gravitaient autour de l’association du Vieux-Montréal durant la grève de 2005. Ils se nourrissent de la provocation», confie une source qui connaît le groupe depuis ses premiers balbutiements. Le collectif a distribué des tracts lors d’un rassemblement politique tenu le 13 août 2008, au parc Henri-Bourassa, le lieu même où le jeune Villanueva a été abattu. HO conclut son pamphlet sur une phrase incendiaire: «En passant, le propane, c’tait une crisse de bonne idée!»
En toile de fond à cette poignée de purs et durs du mouvement étudiant qui œuvre dans une, voire plusieurs causes altermondialistes, la démocratie dans les collèges et les universités semble être en panne sèche. Julien De Tilly, ancien exécutant de l’association étudiante du Cégep de Maisonneuve, soutient que la faible participation des étudiants dans une association fait en sorte qu’une minorité d’individus très impliqués s’occupent des affaires courantes de leur syndicat. «Dans la balance, le poids des assemblées générales est très faible face à celui de l’exécutif, constate-t-il. En d’autres mots, l’exécutif applique sa volonté qui est validée par le peu d’étudiants qui se présentent aux assemblées.»
Richard Martineau dans la mire d’Hors d’OEuvre
Connu pour ses prises de positions tranchées dans l’affaire Villanueva, Richard Martineau, chroniqueur au Journal de Montréal, s’est attiré la rancœur de HO. Le 11 août 2009, il s’est fait aborder dans un centre d’achats par un membre du collectif tandis qu’il était en compagnie de sa conjointe et de ses deux enfants. Le franc-tireur rapporte l’évènement sur son blogue où il dit avoir été menacé par un «pro-Villanueva». Trois semaines après, le groupe revendiquait ce «geste héroïque» sur son site Internet.
Richard Martineau était déjà dans la mire de HO. En hiver 2009, l’AFESH a rejeté une demande de 500$ pour l’organisation d’un évènement visant à dénoncer le célèbre chroniqueur. Le groupe a pu obtenir 200$ de la part de l’Association facultaire des étudiants en langue et communication de l’UQAM. Par contre, des trois exécutants interrogés à ce sujet, aucun ne semblait connaître la nature exacte et les activités de HO. Le montant accordé n’a pas été réclamé.
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