La recette du succès, version YouTube? Un mini-studio, quelques figurines et un minimum d’équipement de production. Ajoutez-y le talent et la créativité de Patrick Boivin, laissez mijoter quelques semaines et la table est mise pour qu’émerge un nouveau phénomène mondial du Web.
Si le nom de Patrick Boivin ne vous dit rien, il est peut-être temps de réparer votre connexion Internet. Fou de l’image depuis ses débuts comme bédéiste sur une chaîne communautaire, ce réalisateur autodidacte reçoit désormais une ristourne de YouTube pour les millions de clics qu’il génère. Plusieurs de ses vidéos présentent des duels épiques entre des figurines de Transformers ou de superhéros animées en stop motion (animation image par image), sous la forme de jeux ludiques ou de plaidoyers à saveur politique et sociale.
Génial pour certains, enfantin pour d’autres, son choix de mettre en scène des figurines connues du public ne sort pas d’une boîte à surprise. «Tout petit, j’avoue avoir été un grand fan des Transformers. Mais en réalité, lorsque j’ai commencé en janvier 2008, je cherchais un sujet populaire afin de faire des clips qui seraient vus et qui attireraient l’attention. Le choix de mes sujets a toujours été assez calculé.». Des calculs payants, puisque le vidéaste polyvalent a rapidement vu ses productions muter en phénomène viral.
Si les rétributions publicitaires versées par le site YouTube lui assurent un salaire décent, il dit utiliser avant tout l’hébergeur américain comme instrument de reconnaissance. «En réalité, ma présence sur YouTube sert d’abord à ce que l’attention soit éventuellement portée sur d’autres facettes de mon travail. Depuis quelques mois, j’ai reçu plusieurs offres de projets très intéressants.» Parmi ces offres, entre autres, la réalisation de vidéoclips pour Indochine et Iggy Pop. «Ce sont eux qui m’ont approché. Je leur ai ensuite proposé un concept qu’ils ont accepté. La machine s’est mise en branle.» Fasciné par ces belles occasions que lui offre sa visibilité internationale, le jeune réalisateur de 34 ans l’est d’autant plus par l’opacité persistante du marché québécois. «Pour faire des vidéoclips à petit budget pour des artistes québécois, on me demande de concourir avec d’autres réalisateurs et d’attendre qu’on me choisisse, alors que des artistes internationaux avec des moyens m’offrent carte blanche en toute confiance», s’étonne-t-il.
Certaines boîtes de publicité l’ont aussi courtisé, mais après quelques contrats, Patrick Boivin y a découvert un milieu plutôt austère à l’innovation, où les ego des publicitaires ont tendance à s’entrechoquer. «On fait souvent affaire avec dix personnes qui tiennent toutes à ce que leur petite idée se retrouve dans le petite trente secondes que dure la publicité. Ça donne que ce trente secondes prend souvent vie sans aucune personnalité. Ce que je fais sur le net, c’est complètement l’inverse. Je suis maître à bord et me laisse inspirer par toutes les propositions qui viennent de mon amoureuse et de mes amis. Je crois que le résultat final est très typé».
Phylactère Cola
Patrick Boivin, qui produit l’intégralité de ses animations, n’a pas toujours travaillé seul. Au contraire, il doit en grande partie son succès à sa participation au projet Phylactère Cola, un collectif de neuf jeunes créateurs qui ont secoué pendant plus de dix ans le paysage québécois de la vidéo par leur audace et leur irrévérence. De passage sur les ondes de Télé-Québec en 2002 et 2003, ils ont vu en 2004 les coupures des libéraux sonner le glas de l’aventure.
D’abord intéressé par la bande dessinée, Patrick Boivin, alias Psychopat, se souvient s’être lancé dans Phylactère Cola sans parachute: «J’ai dû mentir sur mon expérience en embarquant dans le projet. En fait, aucun des créateurs n’avait de véritable expérience de télévision lorsque nous avons débuté à Télé-Québec. Nous voulions produire cette émission de la même façon que nos 200 sketches indépendants, de façon autodidacte.» À la fois réalisateur (Gémeau de la meilleure réalisation en 2002), directeur de la photographie, monteur et compositeur d’effets spéciaux au sein du groupe, sa débrouillardise lui aura permis, cinq ans plus tard, d’améliorer la conception de ses animations. «Nous avions 100 sketches à produire en huit mois pour l’émission et je voulais toujours faire mieux. J’ai donc dû développer un paquet d’astuces et de recettes qui m’ont aidé à prendre de la vitesse et à bien comprendre la mise en scène.»
Malgré des années de bonheur créatif, les vidéastes insolents ne risquent pas de ressusciter Phylactère Cola, préférant miser sur leur carrière respective. Pour un public nostalgique, certaines de leurs vidéos demeurent de précieuses pièces d’anthologie.
Le polémiste
Maintenant qu’il a mérité l’attention de son public, Patrick Boivin n’a pas peur de teinter ses clips de ses préoccupations sociales. «Je crois avoir naturellement le besoin de dire quelque chose dans mon travail en général. Mes courts métrages et Phylactère Cola en sont de belles démonstrations. Avec YouTube, je me suis lentement construit un nom que je peux maintenant utiliser à des fins plus politiques», se réjouit-il.
Récemment, en référence à la sortie de Benoit XVI contre le condom, Patrick Boivin a publié une vidéo controversée et blasphématoire, Condoms Are Bad?, dans lequel le pape et Jésus-Christ débattent avec leurs poings et leurs pieds des vertus des préservatifs. «Je suis profondément athée, mais j’ai beaucoup de respect pour les croyances religieuses qui ne s’imposent pas par la force. Par contre, les hautes instances catholiques me répugnent, d’autant plus que comme Canadien français d’origine, je fais partie de leur bassin de brebis. Je ne suis donc pas près de me taire à propos de leur mascarade et ça me ferait grandement plaisir de lire quelque part qu’un évêque recommande mon excommunication. En lisant les commentaires sous ma vidéo, on remarque que plusieurs catholiques pratiquants comprennent mon point de vue.»
Il est à prévoir que le futur papa ne s’assagira pas et proposera avant longtemps de nouveaux clips «coup de gueule». À plus long terme, si le long métrage de fiction l’intéresse, rien ne se dessine très clairement. «J’ai pris l’habitude de ne pas trop me projeter dans le futur, de peur de perdre du temps», constate le travailleur acharné.
Une chose est sûre : les vidéos de Patrick Boivin auront prouvé qu’il est possible de réanimer les vieilles figurines que l’on croyait à jamais enterrées au pays de l’enfance. Ses Transformers, au rythme de manipulations inspirées, prennent désormais la forme d’un puissant véhicule vers la réussite professionnelle.
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