Les rares autochtones qui choisissent de quitter leur communauté pour poursuivre leurs études postsecondaires empruntent un chemin escarpé. Sans ressources, la plupart ont du mal à s’intégrer à la jungle du milieu universitaire.
Les cheveux en broussaille, le regard dense, l’étudiant à l’Université Laval Sipi Flamand se rappelle clairement du moment où il a quitté sa communauté de Manawan pour poursuivre ses études collégiales à Québec. À 18 ans, le jeune atikamekw n’avait jamais vécu en dehors de sa réserve natale. «Ça a été un choc culturel. C’était difficile de m’intégrer», raconte-t-il. Selon lui, la méconnaissance des étudiants envers la réalité autochtone poussait ces derniers à lui accorder peu d’attention. «Quand il fallait se jumeler aux autres ou faire des travaux en équipe, je me retrouvais toujours seul.»
D’abord inscrit au Cégep Limoilou avant de poursuivre ses études à l’université en science politique, le jeune homme est sorti des sentiers battus, mais a été témoin du parcours ardu des étudiants comme lui. «Ma mère est enseignante, elle m’a toujours encouragé à poursuivre mes études, mais je suis conscient que je fais partie d’une minorité d’autochtones qui se rend jusqu’à l’université», admet-il. Selon une étude menée par Statistique Canada en 2011, 48,9% des autochtones ont un titre d’études postsecondaires. De ce nombre, seulement 9,8% détiennent un diplôme universitaire, alors qu’il s’élève à 16,5% dans la population québécoise en général en 2012.
Mettre pied-à-terre loin de leur village natal peut être déstabilisant pour les étudiants autochtones qui arrivent en milieu urbain. Le coordonnateur du Cercle des Premières Nations à l’UQAM (CPN), Gustavo Zamora Jiménez, soulève que seules les deux universités anglophones de Montréal, McGill et Concordia, offrent un service d’accueil spécifique pour ces étudiants. À McGill, La Maison des autochtones est un programme établi depuis 1997 qui accueille régulièrement une trentaine d’étudiants. «On cherche à recréer un sentiment de communauté au sein de l’Université pour aider les étudiants autochtones à poursuivre leurs études», explique l’une des intervenantes du programme, Paige Isaac.
Pour Gustavo Zamora Jiménez, de telles mesures devraient foisonner dans toutes les universités. «On revendique la même chose à l’UQAM, où il n’y a qu’un service d’accueil pour les étudiants internationaux. Quelqu’un qui arrive de Paris est mieux traité qu’un autochtone qui vient d’une communauté éloignée», déplore-t-il. Pourtant, le coordonnateur estime qu’un étudiant né dans une réserve risque d’avoir un plus grand choc culturel en arrivant à l’UQAM, comparativement à un étudiant étranger ayant toujours vécu en milieu urbain. Malgré un torrent de demandes de la part du CPN, l’Université du peuple ne comptabilise pas le nombre d’étudiants autochtones inscrits, les catégorisant comme étudiants réguliers.
Quand elle s’est installée à Québec pour étudier au Cégep Limoilou, Shanice Mollen-Picard s’est elle aussi retrouvée sans ressources adaptées, à plus de 1000 kilomètres de Mingan, sa communauté natale, où elle a vécu une grande partie de sa vie. «Ce qui a été le plus difficile, c’est que le français n’est pas ma langue maternelle. J’étais loin de ma communauté et j’avais rarement la chance de parler ma langue», raconte-t-elle.
Pour essayer de favoriser l’intégration d’étudiants dans la même situation que Shanice Mollen-Picard ou Sipi Flamand, le Cercle des Premières Nations de l’UQAM déplace des montagnes afin de joindre le plus d’étudiants autochtones possible, mais le manque de ressources est flagrant. «Je crois qu’il y a une mauvaise compréhension du contexte autochtone et de leurs enjeux spécifiques, estime l’enseignant à l’UQAM spécialisé sur la condition autochtone, Nicolas Houde. On n’en parle pas beaucoup dans les médias, ni à l’école.»
Un pont entre deux cultures
Nicolas Houde explique que le taux d’obtention du diplôme d’études secondaires est très bas chez les autochtones. Responsables de leur propre système d’éducation, les communautés ont souvent du mal à préparer leurs jeunes aux études supérieures, uniquement accessibles en dehors des réserves. «Les sociétés autochtones sont plus traditionnelles, plus orales, explique le professeur. Ce n’est pas nécessairement facile de développer des méthodes scolaires qui peuvent à la fois remplir les besoins locaux et faire le pont avec un système d’éducation étranger.»
D’autres provinces canadiennes, dont l’Ontario, ont créé des collèges destinés aux autochtones pour favoriser cette transition entre l’éducation dans les réserves et celle au sein de la population non autochtone, fait valoir Nicolas Houde. Au Québec, il n’existe que l’Institution Kiuna, à Odanak, un Cégep inauguré en 2011 qui vise à former des citoyens des Premières Nations tout en mettant leur culture en valeur.
Aujourd’hui, Sipi Flamand complète sa troisième session à l’Université Laval. Parallèlement, le jeune homme travaille pour l’Association autochtone de l’Université afin d’apporter un soutien aux étudiants dans la même situation que lui. «Il y a peu de ressources, mais au moins on essaie de faire une petite différence», note-t-il. Il n’a pas été aussi facile pour Shanice Mollen-Picard de prendre racine dans une grande ville. Tout de même déterminée à obtenir son diplôme, la jeune fille a choisi de terminer ses études collégiales à Sept-Îles, afin de pouvoir se rapprocher de son village. «En communauté, tu vis proche des gens, tandis qu’en ville c’est beaucoup plus individuel. La vie n’est vraiment pas pareille», explique-t-elle.
Pour Gustavo Zamora Jiménez, la priorité reste de se mobiliser pour prendre les choses en main. «L’intégration et le soutien des étudiants autochtones, ce n’est pas uniquement du ressort du gouvernement, s’enflamme le coordonnateur. C’est aussi la responsabilité des universités et de la société en général.»
Photo: La communauté de Manawan, dans Lanaudière.
Crédit : Flikr
Laisser un commentaire