Financement menacé, surveillance accrue des projets de recherche, pressions idéologiques : la lutte contre les élites universitaires américaines menée par Donald Trump se fait sentir jusqu’à l’UQAM, selon des professeur(e)s.
« La situation aux États-Unis commence déjà à cloisonner les échanges avec nos collègues américains », remarque Ariane Ollier-Malaterre, professeure à l’École des sciences de la gestion (ESG) et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la régulation du digital dans la vie professionnelle et personnelle. La professeure en ressources humaines, qui collabore régulièrement avec ses homologues aux États-Unis, remarque que l’arrivée au pouvoir de Donald Trump a affecté la fluidité de leurs échanges.
« Mes collègues américains sont en retard dans leurs travaux parce que, là-bas, c’est le chaos », explique-t-elle. Mme Ollier-Malaterre observe que certain(e)s voient leur recherche compromise alors que d’autres craignent de perdre leur emploi.
Une conférence déplacée
La professeure à l’ESG s’inquiète aussi du resserrement des frontières mené par l’administration Trump. « Mes collègues américains qui ont une identité transgenre ou qui sont sur un visa de travail n’osent pas voyager à l’extérieur des États-Unis », remarque-t-elle, en expliquant qu’ils et elles craignent de ne pas pouvoir rentrer au pays par la suite.
L’Association canadienne des professeures et professeurs d’université recommande, depuis le 15 avril dernier, aux universitaires canadien(ne)s de privilégier la participation à distance afin d’éviter les déplacements aux États-Unis. « C’est une catastrophe, parce que beaucoup de projets de recherche naissent dans les échanges informels des rencontres en personne », déplore Mme Ollier-Malaterre.
Une conférence organisée par le Work and Family Researchers Network, à laquelle la professeure devra assister en 2026, a d’ailleurs été déplacée de Chicago à Montréal en raison d’une « profonde inquiétude concernant les voyages aux États-Unis ».
La pointe de l’iceberg?
Le 27 mars dernier, la Dre Joanne Liu, professeure à l’Université McGill et ex-présidente de Médecins sans frontières, rapportait avoir vu l’une de ses conférences annulée par l’Université de New York. Des diapositives sur l’aide humanitaire à Gaza auraient été à l’origine de cette décision. Quelques jours plus tôt, le gouvernement français déplorait le refoulement d’un chercheur du Centre national de la recherche scientifique à cause de propos anti-Trump trouvés dans son téléphone cellulaire.
« Est-ce que c’est juste la pointe de l’iceberg? », suggère Frédérick Gagnon, directeur de l’Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand. Pour lui, ces cas traduisent un climat où la recherche devient plus politique et plus surveillée. « Certains professeurs remettent leurs projets en question pour les années à venir, explique-t-il, car on se sent moins à l’aise de s’exprimer sur certains sujets. »
Financement et partenariats instables
Frédérick Gagnon raconte que plusieurs de ses collègues collaborent avec des centres de recherche aux États-Unis dont le financement a été mis en péril par l’administration Trump. Plusieurs programmes de recherche canadiens dépendent du financement américain. Le National Institutes of Health (NIH), une agence gouvernementale américaine, octroie à lui seul environ 40 millions de dollars américains par année à des projets de recherche canadiens.
Récemment, un questionnaire envoyé par les autorités américaines à plusieurs universitaires financé(e)s par les États-Unis a semé le doute quant à la stabilité de ces partenariats. On y pose des questions sur les objectifs de recherche afin d’assurer une cohérence avec les « valeurs patriotiques américaines » telles que définies par l’administration actuelle. Selon Ariane Ollier-Malaterre, l’orientation idéologique du questionnaire entre en conflit avec certains de ses projets, notamment parce qu’il nie le principe d’identité de genre.
Atteinte à la liberté universitaire?
Québec solidaire a d’ailleurs proposé une motion, au début du mois d’avril, qui visait à dénoncer « les attaques idéologiques contre la liberté académique en milieu universitaire», en soulignant la menace américaine. Pour Yves Gingras, professeur à l’UQAM ayant siégé au comité d’expert(e)s à l’origine de la Loi sur la liberté académique dans le milieu universitaire, il n’y a pas lieu de s’inquiéter.
« Je ne vois pas comment les décisions politiques américaines pourraient affecter la liberté académique au Canada », soutient-il. « La liberté académique, ce n’est pas d’avoir le droit à l’argent, mais le droit d’étudier ce que l’on veut. Après, il faut trouver l’argent pour le faire. »
Selon lui, la situation actuelle est une occasion pour les universités canadiennes de faire preuve de courage, même lorsqu’elles sont soumises à des pressions financières.
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