Les artistes québécois(es) qui chantent en anglais sont régulièrement pointé(e)s du doigt, reconnu(e)s coupables du syndrome « I want to pogne ». Et si le français n’était pas la seule manière d’exprimer sa québécitude ?
« Il ne faut pas dire que certaines personnes sont québécoises et d’autres ne le sont pas, parce qu’elles ne parlent pas français. Il y a des Québécois anglophones. C’est une minorité, mais qui existe quand même », affirme Makendal St-Félix.
Du nom de scène Maky Lavender, il a grandi entouré du français et du créole. Aujourd’hui, c’est principalement en anglais que l’artiste s’exprime, en composant des morceaux de rap, de funk et de soul.
Il a grandi entre l’est et l’ouest de la ville, et c’est en vivant dans des quartiers comme Côte-des-Neiges, « où des centaines de langues sont parlées dans quelques blocs », que le rappeur montréalais a développé sa plume cosmopolite.
« J’ai fini par parler la langue de mon quartier et donc faire de la musique dans cette langue-là »
Maky Lavender
« J’ai fini par parler la langue de mon quartier et donc faire de la musique dans cette langue-là », explique Maky Lavender, qui attribue la multiplicité linguistique de son œuvre à la diversité de son environnement.
Lavender affirme que jouer avec le choix des idiomes dans ses chansons peut aussi être une forme d’expression artistique.
« Si je veux être un peu plus humble, un peu plus calme dans mes propos, je vais parler en français. Et si je veux vraiment plus avoir de bravado, je vais parler en anglais », commente-t-il.
Pour la chanteuse québécoise Avril Jensen, ce sont des influences extérieures qui ont façonné son choix de s’exprimer musicalement en anglais, malgré ses racines hispanophones et francophones.
« Il y a des périodes de ma vie où 90 % de la musique que j’écoutais était anglophone », confie-t-elle. Elle avoue avoir aujourd’hui beaucoup plus de facilité à écrire en anglais que dans ses langues natales.
Le Québec ou l’international ?
Le Guide de mise en marché de la musique québécoise francophone de l’ADISQ, réalisé en 2024, indique que la musique étrangère anglophone est la catégorie la plus populaire chez les Québécois(es) ; elle est écoutée par 80 % de la population.
Pour ce qui est d’apprécier la musique, peu importe si elle est francophone, le public est manifestement au rendez-vous.
« Au Québec, c’est sûr que ça ne va jamais être pour une raison financière que le monde va chanter en anglais, parce que c’est très dur de commencer »
Avril Jensen
Les deux premières années de sa carrière ont été parsemées de refus et de critiques de la part de l’industrie québécoise, car ses chansons étaient en anglais. La chanteuse a finalement dû modifier son premier simple pour y incorporer du français.
« C’est plus facile de percer à l’international en chantant en anglais, mais quand tu fais carrière au Québec, c’est mieux de chanter en français », affirme Maky Lavender.
Plusieurs artistes au Québec choisissent l’anglais dans l’espoir de rejoindre un plus grand auditoire et de s’exporter mondialement. En revanche, cette école de pensée est désavantagée au sein de l’industrie locale, qui impose des balises et des restrictions pour favoriser l’art francophone.
Selon le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC), le contenu en français d’une chanson doit composer au moins 51 % de celle-ci pour qu’elle soit mise dans la liste de chansons francophones des radios commerciales. Celles-ci consacrent 65 % de leur programmation hebdomadaire à leur liste de chansons francophones.
« Un artiste est payé beaucoup plus cher pour jouer à la radio que pour jouer sur Spotify. Ce ne sont pas des cennes, ce sont des dollars », avance Patrice Caron, fondateur et directeur du Gala alternatif de la musique indépendante du Québec (GAMIQ). Il explique que ces quotas peuvent influencer le processus créatif des artistes, car la diffusion de leurs œuvres ainsi que leurs revenus en dépendent.
« L’artiste devient pogné dans des lois, alors que, normalement, un artiste est considéré libre. Il y a un petit paradoxe », remarque Sylvie Genest, professeure émérite au département de musique de l’UQAM.
Le goût amer de l’industrie
Certain(e)s, comme Makendal St-Félix, ont le sentiment d’être classé(e)s comme appartenant à la « scène anglophone » de l’industrie musicale, ce qui, selon lui, peut les priver d’opportunités au Québec.
« On te reproche d’avoir du succès en dehors de la bulle du Québec », se désole le musicien. Cela crée une impression de devoir « choisir » entre la scène locale et internationale, et de se retrouver brimé(e) dans son expression artistique au cours de la création.
Vincent Letellier, ancien membre du groupe anglo-québécois The National Parcs, est d’avis que la meilleure façon pour un(e) artiste de faire carrière est de miser sur une démarche authentique et originale.
« Je vois d’un mauvais œil les artistes 100 % francophones qui se mettent à chanter en anglais avec un accent cassé et des textes très inférieurs à ce qu’ils seraient capables d’écrire en français », atteste le musicien.
Il conteste la croyance selon laquelle il faut compromettre son identité pour s’exporter, puisque la qualité de l’œuvre d’un(e) artiste réside dans sa maîtrise de l’écriture, la beauté de ses textes et les images qu’il ou elle réussit à créer.
Une identité québécoise partagée
La musicienne considère que c’est « quasiment réducteur de dire qu’au Québec, notre seul aspect culturel, c’est de parler français ».
« Que je sois gérée par des Québécois, que mes producteurs, les gens qui travaillent sur ma musique soient Québécois ; c’est tout un mélange qui fait que, pour moi, ce n’est pas juste [la langue française], la culture québécoise », témoigne Avril Jensen.
Selon M. Letellier, l’identité québécoise ne se limite pas qu’à l’expression de la langue française, « c’est une recherche de qualité et une originalité qui se dégage de beaucoup d’artistes québécois qui font qu’on voyage avec notre art, indépendamment du style ».
Il croit que faire briller la multiplicité des langues qui cohabitent au Québec, soit l’anglais, le français, le créole ou l’espagnol, peut être une manière de faire rayonner la richesse de l’identité québécoise à l’international.
Laisser un commentaire