Le Canada dit non aux thérapies de conversion

Le projet de loi visant à proscrire les thérapies de conversion au Canada a finalement reçu la sanction royale le 8 décembre 2021. Longtemps passées sous silence, ces pratiques ont contribué à la persécution des personnes sortant du cadre hétéronormatif. Regard sur l’histoire de ces pseudo-thérapies désormais interdites.

« J’avais 16 ans. Le psychiatre me répétait que tous les homosexuels finissaient comme des clochards, que je n’aurais jamais d’amis ou d’emploi », relate amèrement Robert Dole, aujourd’hui âgé de 75 ans.

En 1962, peu de temps après son entrée dans une prestigieuse académie du New Hampshire, il a été contraint de subir deux ans de traitements psychiatriques afin de « guérir » son homosexualité.

L’auteur américain s’est exilé au Québec il y a 44 ans. S’il affirme avoir mené une vie convenable malgré cette torture psychologique, il sait aussi qu’il en gardera des séquelles pour le restant de ses jours.

Une loi contournée

Bien que la Loi canadienne sur les droits de la personne condamne la discrimination et le harcèlement des personnes homosexuelles depuis 1996, les traitements de conversion — aussi appelés « thérapies de réorientation sexuelle » — étaient toujours pratique courante au pays. L’enquête Sexe au présent, parue en février 2020, révèle que quelque 47 000 hommes canadiens et canadiennes appartenant à la communauté LGBTQ+ auraient subi une forme de thérapie de conversion au cours de leur vie.

Le gouvernement fédéral reconnaît les thérapies de conversion comme étant « toute pratique qui vise à changer l’orientation sexuelle d’une personne pour la rendre hétérosexuelle, à changer son identité de genre pour la rendre cisgenre ou à changer son expression de genre pour qu’elle corresponde au sexe qui lui a été attribué à la naissance»

Cette pratique peut prendre diverses formes et se dérouler dans des contextes variés, allant de milieux privés ou publics à des « camps de conversion », précise Martin Blais, sexologue et titulaire de la Chaire de recherche sur la diversité sexuelle et la pluralité des genres de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). 

Le « mouvement ex-homosexuel », un catalyseur

Selon Michel Dorais, sociologue de la sexualité et du genre, les thérapies de conversion remontent à plusieurs décennies et étaient généralement pratiquées « sous le couvert de croyances religieuses ». L’homosexualité étant condamnée par la foi chrétienne, plusieurs adeptes n’ont eu d’autre choix que de réprimer leur soi-disant « déviance » par le biais de méthodes pseudo-thérapeutiques, comme la réorientation sexuelle.

« Il faut aussi se rappeler que, jusqu’en 1973, être homosexuel était considéré comme une maladie mentale aux États-Unis », ajoute M. Dorais. Cette stigmatisation, entre autres, a contribué à l’apparition du « mouvement ex-homosexuel », une doctrine chrétienne selon laquelle l’homosexualité peut être conjurée à l’aide de prières. Ce mouvement — mené par des personnes ayant été « guéries » de leur attirance envers le même sexe — serait à l’origine des thérapies de conversion, qui se sont ensuite propagées aux États-Unis et dans l’ouest du Canada au cours des années 70 et 80.

Des séquelles psychologiques permanentes

Malgré les revendications de certaines organisations anti-LGBTQ+, la communauté scientifique se montre unanime : les traitements de réorientation sexuelle sont inefficaces, voire délétères. Dans un communiqué datant de 2015, la Société canadienne de psychologie a déclaré que ce genre de thérapie est susceptible d’entraîner des résultats négatifs comme de la détresse, de l’anxiété, de la dépression et un dysfonctionnement sexuel.

« C’est une torture physique et mentale : les gens étaient parfois privés de nourriture et de sommeil », explique Michel Dorais. « Il y a un apprentissage de la haine de soi. Pendant des mois, voire des années, les gens apprennent à se détester eux-mêmes. »

Un pas vers le progrès

Bien que les thérapies de conversion aient longtemps été associées à la religion, elles s’exercent aujourd’hui davantage « dans un contexte médical et thérapeutique », soutient Gabrielle Bouchard, coordonnatrice au Centre de lutte contre l’oppression des genres. 

Cette dernière estime que certains et certaines psychiatres, psychologues et thérapeutes utilisent encore des outils de thérapie psychologique dans le but de « normaliser » les individus qui s’écartent du modèle hétéronormatif et cisgenre. « Une thérapie de conversion, ça peut aussi être de forcer une personne LGBTQ+ à prouver son identité », précise Mme Bouchard. Elle reconnaît toutefois que ce phénomène reste difficile à quantifier, les preuves liées à ce genre de pratique étant presque inexistantes.

Aux yeux du sexologue Martin Blais, le nouveau projet de loi du gouvernement fédéral représente tout de même un pas dans la bonne direction. « L’interdiction des thérapies de conversion envoie le message aux professionnels de la santé que de telles pratiques sont non éthiques, en plus d’être désormais illégales », atteste-t-il.

Gabrielle Bouchard, elle, demeure dubitative quant à l’impact réel d’une telle loi. « C’est un outil qui va nous permettre de continuer la bataille. […] Des lois comme celle-ci peuvent être intéressantes, mais elles doivent avant tout passer le test de l’application », conclut-elle.

Une illustration d’Édouard Desroches | Montréal Campus

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