Confiné(e)s et à bout d’idées, les Québécois et Québécoises ont entrepris de se désennuyer depuis le printemps dernier en se lançant dans une panoplie de nouveaux projets et de passe-temps tels que la cuisine, l’écriture, la musique, les rénovations et le tricot. Cette dernière activité, qui occupe les mains et l’esprit, a connu un engouement spectaculaire dans les derniers mois.
« [Le tricot] a toujours [eu] un aspect calmant, méditatif et productif en même temps », explique Céline Barbeau, propriétaire et créatrice de la Maison Tricotée de la rue Fleury, à Montréal.
L’art du tricot a une signification historique bien particulière. « Durant la Seconde Guerre mondiale, [on donnait des tricots aux] blessés souffrant de choc post-traumatique, ça leur permettait de baisser [leur] angoisse », ajoute-t-elle.
La cocréatrice de l’Espace tricot sur l’Avenue de Monkland à Montréal, Lisa Di Fruscia, explique que c’est le contexte de la crise économique de 2008 qui l’a amenée à créer sa boutique : « Le tricot a fait un retour incroyable parce que c’était un moment [durant lequel] les gens avaient moins d’argent. Il y a eu un retour vers les choses importantes [comme le] travail manuel et [les] fibres naturelles ».
Depuis le début de la pandémie de COVID-19, beaucoup d’adeptes se sont mis ou remis au tricot pour se calmer ou simplement pour passer le temps. Peu importe la raison, une tendance semble se dessiner : en temps de crise, on tricote.
Un intérêt soudain et marqué
« [C’est] un classique projet pandémique », indique Mélanie Loubert, la co-créatrice de Mamé, une compagnie florissante de vêtements crochetés inclusive fondée en juillet 2020. Les deux fondatrices de Mamé, Mélanie Loubert et Magalie Billardon, toutes deux étudiantes à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), font maintenant du crochet tous les jours pour répondre aux commandes qu’elles reçoivent. Elles font d’ailleurs des morceaux sur mesure pour permettre à tous les types de corps de porter les différents modèles, une option d’achat qui demeure rare. « On veut rendre le plus de monde heureux », affirment candidement les fondatrices.
Mamé n’est pas la seule entreprise de tricot qui a connu une croissance importante depuis la pandémie. « [Au mois de] mars de l’année passée, on a doublé nos revenus », explique Mme Di Fruscia. « Les gens tricotaient déjà [avant la crise sanitaire] et avaient très peur de ne pas avoir accès aux boutiques et au matériel dont ils avaient besoin », explique la co-créatrice de l’Espace tricot. Pourtant, selon ses observations, ce sont justement ces personnes qui se sont précipitées pour se procurer du matériel nécessaire pour poursuivre leurs projets plutôt que celles qui ont découvert le tricot durant le confinement.
Dans la dernière année, pandémie oblige, plusieurs entreprises d’ici ont effectué un virage technologique. Par exemple, la Maison Tricotée s’est mise à donner des ateliers gratuits en ligne. « Au premier confinement, on a fait une couverture. On donnait deux carrés à faire par semaine. C’était une initiation au tricot, donc on commence tout simple et puis on complique les choses au fur et à mesure », explique la propriétaire Céline Barbeau. Ces cours ont d’ailleurs attiré jusqu’à 150 membres venant de partout dans le monde. « Au lieu d’être limité au Québec, des tricoteuses de France se sont greffées à ça, des gens d’Algérie, du Portugal…», affirme-t-elle.
Des défis de taille
Dans le cadre d’activités tactiles telles que le tricot, l’enseignement en ligne n’équivaut pas au présentiel. Pour ceux et celles qui ont commencé à tricoter en pleine pandémie, la crise sanitaire représente un défi, constate Lisa Di Fruscia. « La qualité de la laine, quelles aiguilles vont avec quelles laines, quels projets sont [idéaux pour les débutants] », sont des exemples de connaissances importantes qui ne peuvent pas être transmises facilement à cause des règles sanitaires, particulièrement la distanciation sociale.
« Les cours en ligne sont plus compliqués », affirme quant à elle Madeleine Savard, copropriétaire de la boutique Les tricoteuses du quartier. Elle explique qu’il est très difficile d’expliquer un concept manuel à distance. « Quand tu veux enseigner le tricot, tu n’as pas le choix de te rapprocher de la personne », renchérit-elle.
Tissés serré
Malgré les défis que cause la pandémie de COVID-19, la communauté fait preuve d’une grande humanité en ces temps d’incertitude. Par exemple, Madeleine Savard s’est assurée qu’on prenait soin des membres plus âgés de la communauté. « J’ai aidé les personnes par téléphone. C’est pas tout le monde qui a le service en ligne et qui va sur le web, surtout chez les personnes âgées. Je leur décrivais les couleurs, on faisait les livraisons en 24 heures. Mon mari, mon gendre [et moi] donnions du service rapide pour que les personnes se sentent comme si elles sortaient au magasin », décrit-elle.
Elle trouvait important de soutenir les membres de sa clientèle moralement : « J’ai eu des personnes qui m’ont parlé pendant des heures car ils étaient seuls et ça faisait des mois qu’ils n’avaient parlé à personne. Prendre le temps de les écouter, ça a été bénéfique pour moi aussi », explique-t-elle avec humilité. Mme Savard ajoute que « dans un temps comme ça, si tu n’essaies pas d’aider ton prochain, ça ne sert à rien de continuer ».
Mention photo Lila Maitre | Montréal Campus
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