Alors que son entourage s’entête à lui dire qu’elle est un garçon, Gabrielle Boulianne-Tremblay sait qu’elle est différente : elle est née dans le mauvais corps. Peine, amour, déception, violence et bonheur s’entremêlent et se mélangent dans son touchant roman transidentitaire, La fille d’elle-même.
« “T’es une fille trans, mais ça paraît pas.” Ça ne paraît pas non plus que j’ai envie de mourir, et pourtant », peut-on lire dans l’autofiction de Gabrielle Boulianne-Tremblay, en kiosque le 25 février aux éditions Marchand de feuilles. Audacieusement honnête, l’oeuvre saisit et choque sans pour autant être sensationnaliste.
L’autrice a commencé à écrire le roman il y a une quinzaine d’années. À l’époque, l’adolescente ne sait pas encore qu’elle est une femme trans. C’est seulement avec les années que le roman devient une autofiction: « Quand on fait le pari de l’autofiction, on fait le pari de sauter dans le vide ne sachant pas si le parachute va s’ouvrir », illustre-t-elle. Le pari est aisément réussi. L’authenticité de Mme Boulianne-Tremblay transperce l’œuvre. Le livre est d’autant plus poignant en sachant que l’autrice y a « incisé » nombre de traumas qu’elle a elle-même vécus.
Malgré le caractère fictif du livre, l’universalité de certains thèmes rend l’œuvre accessible. La quête de la protagoniste, même si elle est en grande partie transidentitaire, ne rend pas le roman exclusif à la communauté LGBTQ+. En plus de rechercher qui elle est, elle désire aimer, être aimée et, ultimement, être heureuse. « La poursuite du bonheur est quelque chose que tout le monde a en commun. On a tous cette même aspiration qui est d’être heureux », explique Gabrielle Boulianne-Tremblay.
Une fiction éducative
À travers une écriture fluide, accessible et surtout prenante, le roman de Gabrielle Boulianne-Tremblay réussit à être divertissant. Il est également éducatif, sans jamais tomber dans quelconque lourdeur pédagogique. Au-delà de la réalité poignante décrite et du portrait des violences multiples dont sont victimes trop de personnes trans, les dernières pages du roman troublent et choquent encore davantage. Alors que la protagoniste sombre dans une pléthore d’idées noires, une douzaine de crimes transphobes sont crûment décrits.
« Sincèrement, si j’avais écrit que sur les violences qui se sont passées envers les personnes trans dans les 20 dernières années, j’aurais eu un livre complet juste avec ça. C’est tristement impressionnant », déplore l’autrice. En 2019 seulement, 331 meurtres envers des personnes trans ont été commis. Raison de plus pour Gabrielle Boulianne-Tremblay pour partager cette oeuvre.
L’inconnu de manière immersive et intelligente
Le personnage principal n’est jamais nommé. Si ce choix semble déconcertant, il permet paradoxalement de rendre le roman plus immersif. La protagoniste, en processus d’identification, se cherche. Ne pas la nommer met en évidence cette part d’inconnu dans laquelle elle est plongée. Il s’agit d’un choix conscient de la part de l’autrice, qui réussit avec brio à faire plonger son lectorat dans l’histoire de la protagoniste.
Première rentrée scolaire, chicanes déchirantes de famille, déceptions amoureuses, pensées suicidaires : le lecteur et la lectrice est présent(e) aux premières loges du récit de la jeune femme. La personne qui lit le livre voit sa main être tenue tout au long de son cheminement. L’autrice souhaitait d’ailleurs permettre la rencontre d’une personne trans dans son récit d’apprentissage, considérant que, selon une étude menée par la Gay and Lesbian Alliance Against Defamation (GLAAD), 80% des États-Unien(ne)s ne connaissent pas de personne trans. « Je [voulais] que les gens rencontrent et accompagnent une personne trans dans son cheminement», souligne Mme Boulianne-Tremblay.
Pour l’autrice, coucher ses mots sur papier n’a pas été évident, mais demeurait essentiel, car « l’ignorance engendre la peur, qui engendre la haine, qui engendre la violence », conclut-elle.
Mention photo Justine Latour
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