Si une plus grande conscience environnementale encourage les artistes à changer leurs pratiques, certains reconnaissent que les possibilités sont toutefois limitées, et surtout, qu’elles ne doivent pas être imposées.
« On est devant le défi aujourd’hui de considérer la nature d’une manière autre [qu’]une ressource qui est là pour subvenir à [notre] créativité », croit la professeure à l’École des arts visuels et médiatiques de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) Gisèle Trudel.
Selon la titulaire de MÉDIANE, la Chaire de recherche du Canada en arts, écotechnologies de pratique et changements climatiques, il faut voir au-delà de l’oeuvre elle-même. Mme Trudel est d’avis que l’artiste doit entamer dès la conception de son projet une réflexion sur l’impact de chaque étape de la chaîne de production industrielle. Elle considère « naïf » que l’artiste agisse librement en négligeant les implications derrière chaque geste.
Un devoir de responsabilité
L’artiste a une « obligation » de considérer l’impact environnemental avant la « puissance artistique » de son oeuvre, croit le cinéaste et essayiste Hugo Latulippe.
Le cinéaste met ses croyances en application avec sa plus récente production, parue en février, La crise climatique… Ça change quoi?, qui est carboneutre. Dans cette série documentaire, penseurs, militants, artistes et scientifiques du Bas-Saint-Laurent partagent leur vision d’une société métamorphosée dont la mission est de préserver notre planète. Pour atteindre la carboneutralité, M. Latulippe paie la coopérative Arbre-Évolution afin de replanter un nombre suffisant d’arbres pour neutraliser le bilan d’émissions de gaz à effet de serre de la série documentaire.
« Je pense qu’il y a des considérations qui dépassent l’élan artistique », juge M. Latulippe. Il croit que l’art ne doit pas trébucher dans les « considérations morales », mais que l’artiste doit réfléchir à sa démarche sans négliger l’intégrité et la puissance de son geste. Au-delà de la carboneutralité, M. Latulippe estime que réduire les voyagements est une option à considérer pour réduire l’impact environnemental de projets cinématographiques.
Pour la coordonnatrice générale et artistique du Festival Diapason, Laurence Perreault, les valeurs environnementales de l’équipe ont mené à de nombreuses mesures écoresponsables. « C’est un devoir [pour un festival] de ne pas générer trop de déchets et de faire attention à [son] empreinte écologique », souligne Mme Perreault.
Le festival de musique basé à Laval a lancé en 2021 un Guide de développement durable dont l’objectif est de mettre en place des mesures qui auront un impact sur l’empreinte écologique du festival. Le Guide indique que les loges des artistes sont zéro déchet, la signalisation est intemporelle afin d’être réutilisée annuellement et le prêt ainsi que la location sont favorisés à l’achat pour le matériel nécessaire, notamment. Mme Perreault souhaite que les mesures prises dans le festival inspirent d’autres événements musicaux, mais aussi les commerçants autour du site à mettre en place des mesures plus écoresponsables.
Mme Trudel, qui travaille avec les technologies médiatiques dans le cadre de son travail à la Chaire, reconnaît la surproduction des appareils technologiques. Elle choisit plutôt d’intégrer cette réalité à sa démarche artistique plutôt que de lui faire abstraction. Émerveillée par la nature, elle donne un sens esthétique à des outils technologiques afin de comprendre le fonctionnement des arbres. Reconnaître des enjeux environnementaux permet une plus grande responsabilisation de l’artiste, croit la professeure.
Au-delà du milieu artistique
Selon Hugo Latulippe, les artistes sont particulièrement sensibles aux enjeux environnementaux, et plusieurs ressentent le besoin de jouer un rôle par rapport aux réalités écologiques de notre époque. Le cinéaste souligne toutefois qu’il « ne faut pas faire reposer cette responsabilité sur les artistes ». Il rappelle que ceux-ci sont déjà affectés par le sous-financement, comme la réduction des budgets et l’absence d’indexation, c’est-à-dire que ces montants n’évoluent pas en fonction de l’augmentation des coûts.
La carboneutralité ajoute aussi des coûts supplémentaires à la production de l’artiste. M. Latulippe opte pour que le « problème » soit évalué « du point de vue structurel du financement des institutions [culturelles] » plutôt qu’en mettant la pression sur l’artiste. Selon lui, un meilleur financement serait nécessaire pour donner envie aux artistes de faire davantage de productions carboneutres.
Si l’artiste doit reconnaître son rôle dans la chaîne de production, Gisèle Trudel croit que l’on doit « sortir de l’approche moralisante ». La professeure estime qu’aucune pratique artistique n’est exempte d’un impact écologique nuisible. Il ne doit pas y avoir de règle ni d’unique façon de faire les choses, soutient-elle. Cette réalité n’est toutefois pas unique à l’artiste, nuance la professeure, puisque « l’artiste est aussi un citoyen ».
La professeure rappelle que plusieurs secteurs sont beaucoup plus nuisibles à l’environnement. Selon elle, la solution quant aux enjeux climatiques se trouve par un « enchevêtrement entre plusieurs acteurs » dont le rôle initial devrait revenir au gouvernement.
Mention illustration Malika Alaoui | Montréal Campus
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