En démarrant Avec notre sang, le fondateur du projet, Guillaume Savard, souhaitait inviter la communauté gaie, bisexuelle, transgenre, bispirituelle et queer (GBT2Q) du Canada à revendiquer son accès au don de sang. Selon les restrictions de Santé Canada, directement liées à une crise de contamination dans les années 1980, le groupe GBT2Q doit s’abstenir d’avoir des relations sexuelles avec d’autres hommes trois mois avant de pouvoir faire un don.
L’objectif de ce projet est d’amener cette part de la population, mais aussi quiconque désirant s’allier à la cause, à signer un « engagement solidaire », informe M. Savard. Chaque signataire s’engage ainsi à faire un don de sang uniquement lorsque la restriction sera levée. Avec ce projet, lancé sur les réseaux sociaux en octobre, le jeune homme vise « une mobilisation pancanadienne de la communauté GBT2Q et une prise de conscience basée sur de vraies informations [plutôt que sur des préjugés]. »
À la suite de la crise nord-américaine d’infections du virus de l’immunodéficience humaine (VIH) dans la communauté GBT2Q au milieu des années 1980, la Croix-Rouge canadienne, l’organisme qui gérait les réserves canadiennes de sang à l’époque, a pris la décision que tout homme ayant eu un rapport sexuel avec un autre homme (HARSAH) dans sa vie après 1977 ne pourrait donner du sang, peut-on lire sur le site de la Société canadienne du sang. En 2013, les restrictions passent à cinq ans, puis à un an en 2016. Santé Canada exige depuis 2019 une abstinence sexuelle de trois mois aux HARSAH.
Selon des données disponibles sur le site de Santé Canada, 70,4% des 2561 cas déclarés positifs au VIH en 2018 étaient des hommes et parmi eux, 58,1% étaient des HARSAH. « La raison pour laquelle le critère [d’abstinence sexuelle] avait été implanté existe toujours, c’est en raison du groupe à risque que constituent les HARSAH en ce qui concerne deux maladies transmissibles par le sang, à savoir le VIH et la syphilis », explique le porte-parole d’Héma-Québec, Laurent Paul Ménard.
Selon le professeur adjoint de l’École de santé publique de l’Université de Montréal Olivier Ferlatte, la proportion plus élevée de VIH parmi cette population « ne nécessite pas nécessairement une intervention où on doit empêcher ce groupe de donner du sang. » Il estime que les avancements scientifiques sont suffisants pour limiter les risques, comme la médication prise par les personnes ayant le VIH limitant presque complètement le risque de transmission sexuelle de la maladie. La progression des technologies de dépistage pratiquées sur chaque don de sang devrait permettre un accès à tous et toutes, croit M. Ferlatte.
Des « excuses publiques »
Au-delà de cet engagement, Avec notre sang demande « un changement du formulaire [à remplir au moment de faire un don de sang] pour qu’il soit basé sur des facteurs de risque qui sont identiques à tous », stipule M. Savard. Ce dernier croit que le formulaire doit être basé davantage sur les pratiques sexuelles des individus puisque « peu importe ton genre, ton orientation sexuelle ou ton identité de genre, du sexe non protégé comporte un risque. » Les organismes de collecte de sang seraient hésitants à faire ces changements par crainte de perdre des dons réguliers, avance le jeune homme.
L’initiateur du projet exige aussi des « excuses publiques » des organismes canadiens de collecte de sang et du gouvernement fédéral pour les tabous imposés à la communauté GBT2Q.
Ultimement, Avec notre sang souhaite un changement de gouvernance chez Héma-Québec et la Société canadienne du sang afin que les postes décisionnels soient occupés par des personnes qui sont plus représentatives de la diversité. À son avis, cela permettrait une « meilleure compréhension des communautés [marginalisées]. »
Pas de risque zéro
Le professeur adjoint à l’École de santé publique de l’Université de Montréal, M.Ferlatte, juge que « contrairement à Héma-Québec, le VIH ne discrimine pas » selon l’orientation sexuelle. Il rappelle que les préjugés qui ont longtemps existé dans le système de santé publique se sont estompés, mais perdurent dans la population en général. Les restrictions mises en place contribuent à marginaliser la communauté GBT2Q, croit quant à lui M. Savard.
« Dans un monde idéal, ce qu’on souhaite c’est de pouvoir qualifier […] le plus grand nombre de donneurs possibles en minimisant le risque de la plus grande façon possible », avoue le porte-parole d’Héma-Québec, qui insiste sur le fait que « le risque zéro n’existe pas ». M. Ménard rappelle d’ailleurs que « Santé Canada a le mot de la fin » quant aux restrictions qui entourent le don de sang en territoire canadien.
Santé Canada y va de façon très prudente afin d’éviter de faire face à un autre scandale de contaminations de VIH sur des produits sanguins comme celui qu’a vécu la Société canadienne du sang dans les années 1980, croit l’agente de recherche et de planification du département de sexologie de l’UQAM, Jessica Caruso.
Celle qui collabore aussi à des recherches entourant le don de plasma par les HARSAH estime que le Canada préfère y aller « étape par étape » pour s’assurer de minimiser le risque de contagion par le sang. « Participer aux études reste le meilleur moyen de faire avancer les choses plus rapidement », juge Mme Caruso.
Ménard souligne tout de même que Héma-Québec, conjointement avec la Société canadienne du sang, participe à des études financées par Santé Canada afin de déterminer si les HARSAH dans un « couple stable » pourraient se qualifier pour donner du sang sans respecter la période d’abstinence sexuelle. L’objectif est « d’aller chercher des données probantes qui permettraient scientifiquement de réévaluer les critères de qualification actuels et d’envisager un assouplissement supplémentaire », affirme le porte-parole.
Mention photo : Lila Maitre | Montréal Campus
Cet article est paru dans l’édition papier du 1er décembre 2020.
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