Plusieurs membres du corps professoral de l’UQAM se sentent dépassé(e)s par la surcharge de travail, mais aussi par la perte du contact humain qu’amène l’enseignement en ligne. Des problèmes que l’Université pourrait mieux atténuer, mais qui vont au-delà de ces enjeux, croient les personnes contactées par le Montréal Campus.
Le professeur du Département des sciences de la Terre et de l’atmosphère, Daniele Luigi Pinti, voit cette année comme sa « pire année d’enseignement » depuis ses débuts à l’UQAM, il y a 11 ans. Il considère que l’enseignement en ligne est particulièrement « déprimant », puisque, comme les caméras de ses étudiants et étudiantes sont souvent fermées, il se retrouve à faire un « monologue » sans pouvoir évaluer leurs réactions. Le professeur aimerait rappeler à la communauté étudiante que « l’enseignement se fait par deux acteurs qui doivent échanger. Ce n’est pas à sens unique. »
Anne-Sophie Bally, chargée de cours au Département de linguistique, souligne d’ailleurs qu’il y a plusieurs étudiant(e)s dont elle n’a jamais vu le visage parce que leur caméra n’a jamais été allumée. Elle affirme que l’absence de rétroaction physique rend impossible de ressentir « le pouls d’une salle de classe ».
La chargée de cours se souvient de la « grosse culpabilité » qu’elle a ressentie au premier confinement, alors qu’elle devait s’occuper de ses trois jeunes enfants à la maison tout en terminant la session d’hiver 2020 de son domicile. Pour y parvenir, elle devait laisser ses enfants devant des écrans pendant de longues heures. Encore aujourd’hui, Mme Bally a « l’impression d’être moyenne partout, d’être à moitié enseignante, à moitié maman, à moitié amoureuse. » Selon l’enseignante en linguistique, les femmes payent très fort le prix de cette charge mentale par toutes ces « micro-choses » que la pandémie a ajoutées dans sa vie familiale.
Humain avant tout
Pour le président du Syndicat des professeures et professeurs enseignants de l’UQAM (SPPEUQAM), Olivier Aubry, il est important de se rappeler que chaque enseignant(e) vit la pandémie avant toute chose. Chaque personne doit donc composer avec ses responsabilités personnelles, en plus de celle de ses étudiants et étudiantes, affectant ainsi sa charge mentale.
« Les enseignant(e)s, comme tout le monde, souffrent de la situation actuelle », croit le professeur à l’École des médias, André Mondoux, soucieux d’être à l’écoute de ses étudiants et étudiantes. Ainsi, pas question de faire « comme si de rien n’était » : le professeur se connecte sur Zoom avant le début du cours pour discuter, met de la musique pendant ses pauses, incite ses élèves à allumer leurs caméras et, surtout, il allège les exigences du cours.
« La pandémie est venue éteindre la flamme de l’enseignement chez les plus vieux […] et chez les plus jeunes [qui ont des enfants à la maison], elle a créé une surcharge de travail », remarque Olivier Aubry, alors que plusieurs départs à la retraite ont récemment été précipités au cours des derniers mois. Il déplore que les professeur(e)s enseignant(e)s n’aient pas accès à du matériel adéquat ni à la reconnaissance de leur travail.
Pour M. Aubry, la demande principale du SPPEUQAM depuis le début de la pandémie est claire : réduire la taille des groupes-cours, pour alléger le poids des responsabilités de ses membres. « [Le personnel enseignant a] dû s’adapter très rapidement en 2 semaines [au début de la pandémie], alors que ça prend normalement un an pour élaborer un cours à distance », rappelle le président du Syndicat des professeurs et professeures de l’UQAM (SPUQ), Michel Lacroix.
Entre les mains de la technologie
« Par l’enseignement en ligne, on s’est retrouvé à moins aimer notre métier », considère Anne-Sophie Bally. Elle juge difficile de s’épanouir en passant de longues heures à effectuer des tâches technologiques. Selon elle, celles-ci sortent des obligations d’enseignement.
Bien que Mme Bally ait suivi les conseils pédagogiques de l’UQAM afin d’adapter pleinement ses cours en ligne à la session d’automne, elle a réalisé que ce n’était pas possible pour sa santé mentale. Pour la session d’hiver, elle tente de trouver un équilibre entre aider ses élèves et penser davantage à elle-même.
La formation à distance représente une fois et demie le temps de préparation d’un cours normal, souligne M. Lacroix. Ce temps ajouté est nécessaire pour préparer le cours et soutenir les participant(e)s. Il estime pourtant que l’UQAM n’a pas adapté adéquatement son enseignement en ligne pour soutenir le corps professoral et pour offrir une éducation de qualité à la communauté étudiante. Selon le président du SPUQ, « l’Université sait qu’il y a des problèmes, mais, dû à des contraintes financières, il y a un décalage entre le discours et les mesures concrètes. »
À la croisée des chemins
La directrice du Service du développement organisationnel, Annie Corriveau, et la directrice du Service du personnel enseignant, Josée Dumoulin, mentionnent que plusieurs ressources ont été mises en place pour soutenir le corps professoral tel que des formations et des groupes d’échange. L’administration de l’UQAM fait aussi davantage la promotion du Programme d’aide aux employé(e)s. Pour Mme Bally, qui passe déjà 50 à 60 heures à travailler, prendre une heure pour une séance de thérapie, dont 6 séances sont offertes par l’UQAM, ne ferait que lui enlever du temps pour s’occuper de ses enfants.
L’UQAM a agi dans l’optique de « trouver les moyens pour se réorganiser en gardant toujours la priorité sur la qualité de l’enseignement », affirment Annie Corriveau et Josée Dumoulin du vice-rectorat au développement humain et organisationnel. Selon elles, il est trop tôt pour tirer des conclusions, car on peut difficilement isoler les répercussions du confinement de ceux du télétravail.
Malgré les inquiétudes autour de la santé mentale, Geneviève Hervieux est d’avis que les tabous qui l’entourent existent toujours. « J’ose croire qu’on est à la croisée des chemins, que la pandémie nous force à une prise de conscience », espère-t-elle. Par-dessus tout, elle souhaite que l’on puisse « ressortir de cette épreuve avec plus d’humanisme » et que l’on s’en outille dès maintenant pour passer au travers.
Mention photo : Édouard Desroches
Laisser un commentaire