Écrivain touche à tout, « médecin généraliste de l’écriture » de son propre aveu, Jason Roy nous plonge dans une pléthore d’univers et de genres hétérogènes dans son plus récent recueil Les paresseux aiment les histoires brèves, amalgame de nouvelles originales et autres, publiées dans diverses revues littéraires.
Si son précédent recueil Nos regards traîtres jouissait d’un fil conducteur en la thématique du regard, c’en est tout autrement pour celui-ci : l’auteur estrien, qui est aussi professeur de français et de littérature, se porte à la défense du recueil hétérogène dans un « petit avant-propos sans prétention ». Après cet éditorial plutôt théorique, Jason Roy y va d’un argument concret percutant: les 31 nouvelles qui suivent. À géométrie variable sur le plan de la longueur ー de la qualité aussi, dans une moindre mesure, ー les récits proposés par l’auteur brillent par leurs différences.
Du lot, soulignons d’emblée la qualité des trois Échos, courte trilogie éminemment puissante, traitant de réalités toutes contemporaines, chacune s’intéressant au tragique de la condition humaine. De manière connexe, Jason Roy choisit dans L’esprit de famille un narrateur dont seule la chute nous révélera la nature pour traiter des horreurs de la guerre, horreurs vécues par les survivantes. « C’était la conséquence de la conquête militaire, dont l’horreur se prolonge après la chute des hommes dans l’acharnement contre les femmes qui restent », peut-on notamment y lire.
Plus légère, la nouvelle Fondu enchaîné atteste encore une fois de la grande maîtrise narrative de l’auteur, lui qui s’improvise adolescent pour traiter d’intimidation. Une chute qu’on devine bien vite éclipse toutefois une prose autrement ludique et accrocheuse. Vient ensuite Le sangue-wish, hybride du tragique et du ludisme susmentionnés, nouvelle coup de poing qui, en quatre petites pages, fait sourire, les yeux humides.
L’auteur flirte par moment avec la novella, plus longue et étoffée que la nouvelle traditionnelle, et y plonge de manière assumée dans Le traqueur pour clore le recueil. Jason Roy rayonne dans ce genre qui, affirme-t-il, « permet d’aller plus en profondeur dans la caractérisation des personnages et la complexification de l’intrigue » . Plus l’ascension est longue et plus la chute est brutale pourrait-on croire, mais au-delà de cette généralité, la plume de l’auteur se fait d’autant plus enchanteresse lorsqu’elle s’éternise et prend le temps de s’imposer.
Sans être franchement malhabile, le nouvelliste se fait plus chancelant dans les nouvelles policières, celles qui relèvent du fameux polar. Ainsi les Paysage près de Lesage et Cavale boréale ーcette dernière touche également à la science-fiction ーsont moins convaincantes et leur intrigue semble en mal de profondeur. Loin d’un touche-à-tout maître de rien, Jason Roy s’illustre dans les nouvelles fantastiques, desquelles nous retiendrons surtout Il y a des pommes, dont le ton à faire frémir rappelle Edgar Allen Poe et où la chute laisse pantois.
Un pari réussi
Ceci étant, la plume du nouvelliste sait se faire porteuse d’une grande sensibilité et c’est lorsqu’il colle à des sujets réalistes qu’il s’impose véritablement. Ce sont ces nouvelles dont nous gardons souvenir une fois le recueil terminé. Les autres, aussi réussies soient-elles, s’inscrivent dans le recueil davantage comme un moment de répit bienvenu.
Ayant fondé sa propre maison d’édition, Jason Roy jouit d’une pleine liberté dans son oeuvre. Ce faisant, il parvient, dans Les paresseux aiment les histoires brèves, à s’émanciper de la condition sine qua non qui régit traditionnellement la publication d’un recueil : une ligne directrice. En ce sens, le recueil saura plaire à un vaste lectorat: « Je suis certain que le lecteur peut avoir bien du plaisir avec un recueil hétérogène », croit aussi l’auteur.
Photo Lila Maitre | Montréal Campus
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